07/08/2016
BENIN – Avec le départ du Président Emile Derlin ZINSOU, je perds un très grand ami : « DEMAIN, IL FERA JOUR… »
Par Benoît ILLASSA
Le Président Emile Derlin ZINSOU était un homme humble, attentif aux problèmes de son peuple, un politique aguerri, un homme de paix qui a lutté pour la démocratie et l’indépendance de notre pays. C’était un grand journaliste et un très grand homme de culture.
« Si dans le domaine de la lutte contre le sous-développement, la pauvreté, les inégalités et l’exclusion beaucoup reste à faire, même dans les pays développés et riches, que dire de l’Afrique dont les Etats sont confrontés à de très nombreux problèmes, tous malheureusement prioritaires, ce qui rend difficile l’établissement d’un ordre de priorité. Il n’y a pas de domaine où la nécessité et l’urgence n’exercent leur pression, alors que les moyens d’agir sont inexistants ou médiocres par rapport aux besoins. Les efforts des gouvernements, si importants soient-ils, sont bien loin de correspondre à ce qui est souhaitable » écrivait le Président ZINSOU au lancement de sa fondation – FIDA – TERRE DES JEUNES – qui mise sur la jeunesse béninoise et africaine comme un premier atout de développement et de l’avenir même du continent africain. Le Président ZINSOU a toujours aimé les jeunes de son pays.
J’ai rencontré pour la première fois le Président E.D. ZINSOU à Paris. Lui avait 70 ans et moi 27 ans. Il était issu de la haute bourgeoisie béninoise, moi de la « middle class ». C’est dire, à priori, que tout nous opposait. Mais, le Président avait une admiration sans borne pour la jeunesse de notre pays, le Dahomey (Bénin). Il n’était ni condescendant, ni autocrate. Rapidement, je deviens l’un des familiers de la rue Pergolèse (75016 PARIS) où vécut pendant longtemps le Président ZINSOU.
A seulement 28 ans, il me chargea de négocier avec les communistes dahoméens du P.C.D. (Parti Communiste du Dahomey) exilés à Paris. Je rencontre effectivement deux de leurs leaders plusieurs fois. A cette étape, pour le Président ZINSOU, « l’urgent est de sortir notre pays de la nuit et du gouffre où il a été plongé et le ramener au jour et à la vie. C’est l’objectif que s’assigne l’U.D.P. (Union pour la Démocratie et le Progrès – parti politique créé en exil). C’est pourquoi, l’U.D.P., sans pour autant entretenir la confusion, fera tout pour réaliser l’union la plus large possible autour d’un projet de société et d’un programme où chaque Dahoméen puisse se reconnaître… »
Malheureusement, à la veille de la Conférence Nationale de 1990, les communistes vont rompre les amarres en refusant toute négociation avec le Président Mathieu KEREKOU et le PRPB, le parti-Etat qui régnait en maître au Bénin. J’ai beaucoup appris avec le Président ZINSOU. Sans fausse modestie, il est mon maître à penser en politique car j’ai été formé par lui. Encore aujourd’hui, son franc-parler me colle à la peau.
A ses côtés, j’ai rencontré beaucoup de personnalités politiques béninoises dont le ministre Bertin BORNA et l’ambassadeur Gratien POGNON. Nous tenions des réunions publiques à l’université Paris-Dauphine où le Professeur Cosme HOUNTONDJI qui y enseignait mettait gracieusement des salles équipées à notre disposition. Il était aussi le Secrétaire Général de Démocratie et Progrès, l’organe d’information du parti dont le siège était au 30 rue de Gramme, 75015 Paris.
A la Conférence Nationale de 1990, j’étais l’un des plus proches collaborateurs du Président E.D. ZINSOU et je suis resté à Paris pour coordonner les actions de soutiens stratégiques. Nous nous parlions quotidiennement, parfois tard dans la nuit. A la veille de la Conférence Nationale de février 1990, le Président avait réussi à rallier autour de lui des personnalités politiques béninoises de premier plan. C’est ce que nous appelons le Groupe des 13 d’Avrankou. Ce groupe est rapidement devenu le Rassemblement des Forces Démocratiques (R.F.D.) à travers une déclaration commune du 15 janvier 1990 à Avrankou.
L’unité ainsi proclamée a joué un rôle important dans le brillant succès de la Conférence des Forces Vives de la Nation. Ce succès n’a été possible que grâce à l’action conjuguée du Rassemblement et de toutes les autres formations politiques réunies avec le Rassemblement des Forces Démocratiques dans le large Front de l’inter-groupe. Mais au lendemain de cette victoire, des dangers apparaissent et dont le moindre n’est pas la prolifération des partis qui se constituaient sur la base de micro-régionalismes de plus en plus exacerbés. Face à ce principal danger qui menace gravement l’Unité Nationale, les anciens partis politiques membres du Rassemblement des Forces Démocratiques, en répondant à une exigence politique, ont décidé de transformer le Rassemblement des Forces Démocratiques en un grand parti national organisés sur des bases démocratiques, pour en faire le ferment et le creuset de l’unité nationale, pour sauvegarder les acquis de la Conférence et affronter avec bonheur les tâches de reconstruction nationale. Fait à Djrègbé le 28 mars 1990. Ont signé :
- Pour le Mouvement Démocratique Républicain (MDR) : Joseph KEKE
- Pour le Front National pour la Démocratie (FND) : Justin AHOMADEGBE
- Pour l’Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP) : Alexandre ADANDE
- Pour le Rassemblement Démocratique Dahoméen (RDD) : Hubert MAGA
En attendant que les historiens se prononcent un jour sur la question, il semblerait que c’est ce regroupement des partis politiques des anciens Présidents de la République qui a conduit les rédacteurs de la Constitution du 11 décembre 1990 à opérer la limitation de l’âge des candidats au scrutin présidentiel à 70 ans. La mesure visait essentiellement le Président E.D. ZINSOU qui avait une popularité certaine dans le pays depuis son retour d’exil.
Je recommande particulièrement le dernier livre du Président ZINSOU que j’ai eu l’immense honneur de lancer à Paris, en avant-première, avec d’autres amis :
En ces temps là…
Riveneuve éditions,
75 rue de Gergovie,
75014 PARIS
Le 28 avril 2013, à Paris, le Président ZINSOU m’a dédicacé le bouquin en ces termes :
« A Benoît ILLASSA, Patriote de choix, d’expérience et d’espérance pour notre commun pays, le Bénin. En témoignage d’estime et d’amitié ».
Malgré le temps qui passe, notre amitié et notre complicité n’ont pas pris une seule ride. Ainsi était le Président : fidèle en amitié. Chaque fois que je revenais de Cotonou, il me confiait des enveloppes avec des chèques à remettre à certains enfants de ses anciens ministres ou collaborateurs encore étudiants. Il recommandait de prendre soins de certains pour les aider à trouver, qui un logement, qui un stage…
Dans son dernier livre, il a rendu un hommage appuyé au Général Mathieu KEREKOU (Page 240) :
« Rendons à César ce qui est à César. Si tout s’est bien passé, sans drame, ni effusion de sang, nous le devons à Kérékou et à Monseigneur Isidore de Souza. La plupart des officiers membres du gouvernement et des grandes instances du pouvoir étaient hostiles à un changement qui les ramènerait à leur place normale. Si Kérékou les avait suivis, n’avait pas résisté à la très forte pression qu’ils exerçaient sur lui, il est probable que nous aurions connu la situation dramatique qu’une attitude similaire provoqua dans d’autres Etats ».
J’ai commencé par les propos du Président E.D. ZINSOU. Je voudrais terminer mes hommages à l’illustre disparu par ce que, personnellement, je considère comme son legs politique à l’endroit de la jeunesse béninoise :
« DEMAIN, IL FERA JOUR…
Nous n’étions pas fiers d’être béninois. Notre pays faisait pitié aux uns, était la risée des autres. Et voici que l’horizon s’éclaircit ; des changements majeurs sont survenus, grâce à la lutte de l’opposition : élèves et étudiants, enseignants, syndicats, mouvements politiques.
Le chemin parcouru en quelques semaines est si considérable qu’il a surpris tous les observateurs. Tous les espoirs sont désormais permis. Toutes les craintes aussi. Car rien n’est jamais définitivement acquis dans le domaine qui nous concerne.
Il faudra chaque jour, consolider la démocratie naissante. Et il faudra du temps et beaucoup d’efforts pour redresser la situation économique, financière et sociale de notre pays.
La part réelle que nos compatriotes de l’extérieur et notamment ceux de France, ont prise aux changements intervenus montre bien que nous avons tous conscience de nos devoirs envers notre patrie. C’est le moment plus que jamais d’intensifier nos efforts dans la réflexion, la participation, la solidarité, pour la reconstruction de notre pays.
Démocratie et Progrès a fait ses preuves, la preuve de son patriotisme, celle que le progrès, l’avenir du Dahomey (Bénin) sont au centre de ses préoccupations et que, si nous ne bâtissons nous-mêmes notre maison, en vain attendrons-nous que d’autres le fassent.
Quand je vois les adhérents de Démocratie et Progrès, leur jeunesse de corps et d’esprit, leur foi, leur enthousiasme et leur générosité, je dis qu’un pays qui a de tels fils ne saurait mourir ni même être condamné.
Alors un espoir raisonné, une certitude m’envahissent : demain, pour notre patrie aussi, il fera jour ». Emile Derlin ZINSOU, Démocratie et Progrès N°1, Editorial, Avril 1990.
IB