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Jeudi 14 Juin 2007  
     
  L’Enfer des locataires à Cotonou  
     
  En proie à une spéculation sans précédent, le secteur du logement est en plein essor à Cotonou. Face au diktat des promoteurs immobiliers et à la forte demande, les locataires sont obligés de plier l’échine devant les marchands de sommeil. Enquête dans une jungle où proprié¬taires de villas et démarcheurs font leur beurre sur fond de chantage, de spéculation et d’arnaque.  
     
 

Hindé, quartier populeux situé en plein coeur de C otonou. Ce gros bourg jouxtant Dantokpa, le plus grand marché de la sous région vomit chaque matin, des centaines d’âmes qui ne s’y engouffrent que le soir, au crépuscule. Hindé est réputé pour le coût relativement moins cher de ses logements. Au détour des rues jonchées d’ordures qui y mènent, se cache une véritable cité dortoir. Dans ce quartier aux limites confuses, se côtoient d’étonnantes échoppes dont le bric à brac laisse perplexe tout visiteur inhabitué des lieux. Amas de fatras de tôle, palisse ou de bois, ces maisons abritent une multitude de familles. Nous retrouvons dans cet amas de conglomérats, Idriss Mandé alias Imam, un des plus connus agents immobiliers du coin. Imam n’a pas de bureau, son lieu de travail se limite à sa masure construite en contre plaqué, mitoyenne à l’ancienne maison du chanteur GG Vickey. Habillé d’un large boubou à tunique, il nous gratifie d’un large sourire à notre entrée, trahissant une denture ébréchée et jaunie par les noix de cola. Il n’aime pas être appelé agent immobilier, ne l’étant d’ailleurs pas. Il préfère le terme ‘’démarcheur’’, intermédiaire très actif entre les propriétaires de maisons et les clients. Informé de l’objet de notre visite par téléphone à partir de la pancarte de fortune qu’il a installée à l’entrée du quartier, Imam une fois les civilités échangées, avoue ne pouvoir nous aider pour le type de maisons que nous recherchons. « Je ne fais pas les grosses villas. Moi je me suis spécialisé dans la recherche des petites maisons d’une pièce construite en matériaux précaires » avertit le démarcheur, visiblement embarrassé par notre exigence. En terme clair, il ne peut nous trouver dans ce quartier une maison de plus de deux pièces disposant de toutes les commodités modernes. Néanmoins, il se résolut à nous montrer ‘’ses maisons’’, du moins, celles pour lesquelles il est chargé par les propriétaires de trouver des locataires. A Hindé Tokpa, un prolongement du quartier situé à la lisière du lac Nokoué où nous nous sommes rendus, le spectacle se passe de commentaire. Le mal être des locataires Une file de bicoques insalubres nous accueille. Sur le sol argileux et jonché de flaques d’eau, des enfants aux ventres ballonnés s’amusent à pourchasser des porcs crasseux. Ici, vivent plus d’une dizaine de familles, informe Imam. Occupés par des hommes et des femmes aux revenus dérisoires, pour la plupart des commerçants de poissons fumés au marché Dantokpa, ces pauvres paient une redevance mensuelle de 3500 francs. «Le loyer ici est de 3000 FCfa, les 500 FCfa supplémentaires servent à vider la fosse sceptique du WC commun, installé au coeur des agglomérations » explique le démarcheur. «Je n’aime pas trop ce quartier sale, encore moins la promiscuité de cette agglomération » déclare Dettinon, vendeuse d’akassa et de poisson frit. Elle dénonce la cupidité de son propriétaire qui en dépit des 500 Fcfa qu’il prend sur chacune des mensualités ne s’engage pas à vider la fosse septique, remplie et suintant depuis plusieurs mois. « L’odeur nous suffoque mais cela ne l’empêche pas de venir cadenasser notre maison et nous couper l’électricité chaque fois qu’on accuse un retard de plus d’un mois dans le payement du loyer» déplore Dettinon. Parlant d’électricité poursuit-elle, chaque locataire est astreint de payer 1000 francs par mois pour chaque ampoule allumée dans les chambres. Les prises électriques sont facturées à 1700 Fcfa l’unité, et l’usage des fers à repasser électriques et des réfrigérateurs est formellement interdit. « Tout contrevenant à cette règle se voit confisquer, par le propriétaire, les quatre mois de caution sur loyers exigés par ce dernier. Il calcule à sa guise la pénalité et vous laisse la différence après sa défalcation », dénonce Dettinon. Au-dessus de ces cabanes construites en feuilles de tôles renforcées par des briques noircies par la suie, des fils électriques torsadés forment d’inextricables toiles d’araignées supportées par des pieds de tecks vermoulus par les intempéries. Plusieurs incendies ont déjà dévasté ces agglomérations du fait de fréquents courts circuits dus au frottement des fils. Poursuivant notre visite, Imam décide de nous faire découvrir ses ‘’chambres’’ du quartier Akpakpa Dodomè, un quartier excentré de Cotonou, réputé pour son grand banditisme et son plan d’urbanisation sauvage et hors norme. De Hindé à Akpakpa Dodomè, tout au long de l’avenue Delorme qui traverse la métropole béninoise en son milieu, nous découvrons de nombreuses autres baraques plusieurs fois détruites par la municipalité et chaque fois reconstruites par les propriétaires des maisons devant lesquelles elles sont érigées. La tendance à Cotonou, explique Imam, est la rentabilisation du foncier par tous les moyens. Pour ce faire, renchérit-il, beaucoup de propriétaires n’hésitent pas à louer la devanture de leur maison à des commerçants, si ce n’est pas eux-même qui y construisent des boutiques destinées à la location. Le coût du loyer de ces boutiques, poursuit Imam, se situe entre 3000 Fcfa et 50.000 Cfa selon qu’elles soient en matériaux définitifs ou non, situées en plein centre ville ou dans des zones de grandes affluences ou pas. Les dortoirs publics : 200 fcfa la nuit ! Après quelques minutes de circulation, brutalement Akpakpa Dodomè se dresse devant nous, avec ses multitudes de toits coniques en pailles, ses cases en cartons éventrés, ses bicoques en tôles rouillées. Derrière le populaire bazar ‘’Sowéto’’, s’étend sur une dizaine de mètres, un hangar en briques coiffés de feuilles de bac alu. Ici, explique Imam, point n’est besoin de payer des avances sur loyer car il s’agit d’un dortoir public. On ne raisonne pas en terme de chambre mais plutôt de place. « Le propriétaire du hangar loue la place à 200 Fcfa la nuit et par personne», informe-t-il. A même le sol, plusieurs nattes aux fibres effilochées sont étalées. Le hall est désert et Imam explique qu’il en sera ainsi jusqu’à vingt heures, moment d’assoupissement de tous les locataires d’une nuit. Ayelo, revendeuse de gadgets dans les feux tricolores raconte qu’elle est descendue de son Pobè natale pour faire fortune à Cotonou. Elle avoue être dans l’incapacité de louer une chambre dans cette ville qui ne laisse aucune chance aux ‘’sans revenus’’. « « Je préfère payer chaque nuit 200 Francs que de rêver d’un studio dont le coût dépasse mes recettes trimestrielles » explique Ayelo. Elle ajoute que plus de 50 personnes viennent dormir dans le hall chaque nuit. Les dépendances se réduisent à de petits espaces aménagés et protégés par des palissades au milieu desquelles sont placés des sceaux d’eau installés sur des pierres polies par l’usure. Ayelo avoue cependant que les choses ne sont pas aussi faciles. « Pour réussir à prendre un bain le matin, explique-t-elle, il faut se réveiller tôt et accepter de faire la queue. Pis, hommes et femmes utilisent les mêmes douches. Généralement, les claies éventrées par les intempéries ne protègent pas la nudité des femmes et il arrive que des voyeurs nous épient » regrette Ayelo qui affi rme être à la recherche d’un autre dortoir public. « Les clients ne comprennent pas toujours les charges qui sont les nôtres » explique Jean Hounon, le tenancier du dortoir. Il déclare avoir loué auprès du véritable propriétaire, le hall qu’il paie à cent mille Francs Cfa le mois. « Je suis tenu par une obligation de rentabilité encore que la vidange des fosses septiques, les factures d’électricité et l’entretien du dortoir sont à ma charge » souligne M. Hounon. Il reconnaît cependant que l’affaire est rentable mais se refuse à dire le montant exact de ses recettes mensuelles. En journée, il est exigé 100 francs aux usagers qui veulent se reposer, tarif majoré de 50 francs pour ceux qui souhaitent regarder la télévision. « Ils sont nombreux, ces sans domiciles fi xes à venir se reposer ici » se réjouit M. Hounon, pointant un doigt indicateur vers un second hall d’où venaient des bruits et de grands éclats de voix. Quand la télévision n’arrive plus à les distraire du sombre quotidien, explique Hounon, ils s’en remettent au Sodabi, boisson fortement alcoolisée distillée à partir du vin de palme et moins onéreuse que la bière. Les montants des loyers varient à Cotonou en fonction du standing, de la qualité du logement et de son emplacement. Dans la métropole, les prix de location des studios d’une pièce, varient entre 15 000 et 25 000 F Cfa. Tout appartement de deux pièces et plus, disposant d’un sanitaire revient à plus de 50.000 Fcfa. Plus on quitte le centre ville pour les périphéries, le prix des logements est dégressif au point où on peut y louer une villa grand standing pour le prix d’un studio en ville. Pour la plupart des candidats au logement, la distance et surtout les problèmes de transport dissuadent à habiter les zones périphériques, notamment les quartiers comme Cocotomey, Cococodji, Calavi, Akassato, Avotrou, Agblangandan. Dans bien des cas, les clauses contractuelles exigées par les propriétaires des maisons sont scélérates. Jean Godjo, locataire rencontré au quartier Fidjrossè en témoigne. Contrats rigides, propriétaires cupides « J’ai déniché mon appartement grâce au fl air d’un démarcheur qui a contraint le propriétaire à me le concéder à 60.000 Fcfa. J’ai dû payer dix mois de loyer comme garantie, soit une avance de 600.000 FCfa avant d’intégrer affi rme Jean qui s’estime plus chanceux ; son voisin immédiat ayant été obligé à payer 12 mois de garantie. A ces charges s’ajoutent 100 mille Fcfa de caution pour l’eau et l’électricité exigée par le propriétaire. Mais le malheur de ces deux locataires, commencera réellement une fois le contrat de bail signé. « Je me souviens encore des clauses de ce contrat que j’ai dû dénoncer au tribunal, raconte M. Godjo. Le deuxième article de ce contrat locatif, affi rme-t- il, stipule que le silence doit être respecté particulièrement dès 22 heures. Les visiteurs ou visiteuses externes doivent avoir quitté le logement à 23h00 au plus tard. L’article 3 précise que les visiteurs ou visiteuses ne peuvent pas être logés par les résidents, sauf si cela fait l’objet d’une demande expresse auprès du loueur ou de la loueuse. Toute personne non préalablement déclarée avant la signature de ce contrat reconnue ensuite comme résidente entraîne la résiliation du bail. L’usage de la colle, des autocollants ou la perforation des trous sur les murs est interdit. Seules les punaises ou les clous de petites tailles sont tolérés pour fi xer des illustrations. La compagnie des animaux domestiques y est interdite, de même que l’usage des appareils électroménagers de puissance supérieure à 200 Watts. Le comble, souligne M. Godjo, est que le remboursement des 10 mois de caution est subordonné à une expertise des détériorations perpétrées sur la maison, expert commis par le propriétaire mais dont les honoraires sont à la charge du locataire. « Il n’en fallait pas plus pour que je dénonce ce contrat au tribunal », se rappelle Jean Godjo. Il n’a pas gagné son procès, mais il se réjouit d’avoir quitté cette maison qui depuis, n’a plus accueilli aucun locataire, ses voisins l’ayant tous désertée, en dépit des réaménagements plus souples exigés par le juge. Les marchands de sommeil Aujourd’hui à Cotonou, les personnes qui sont à la recherche de logement ne savent plus à quel saint se vouer. Malmenées qu’elles sont d’une part, par les propriétaires de villas ou d’appartements et, d’autre part, par les courtiers qui, face à la montée de la demande, font de la surenchère. Entre les deux, les agences immobilières jouent leur partition : seule une minorité de privilégiés peuvent satisfaire leurs conditions, généralement les expatriés qui sont prêts à arracher à prix d’or, des appartements de grand standing. Dans cette surenchère, agents immobiliers et courtiers sont les plus courtisés. Intermédiaires entre ceux qui sont à la recherche de logements et ceux qui en sont les propriétaires, ils tirent les fi celles du jeu. A l’occasion, ils font monter les enchères en jouant sur l’urgence qu’affi chent certains candidats au logement. Il leur arrive même d’inciter les propriétaires à augmenter les prix de leurs loyers, au regard de l’urgence manifestée par leur client. Les plus malhonnêtes font miroiter de beaux appartements dont les conditions de location sont des plus incitatives, mais vous présentent des maisons minables, quitte à faire payer à leur ‘’victime’’, plusieurs fois la course avant de se décider fi nalement à satisfaire votre exigence. En sus des frais de visite du démarcheur qui tournent autour de 1 500 - 2 000 FCfa, le déplacement est à la charge du client et une commission qui varie entre 30 et 50% du prix du loyer est exigée par les courtiers quand le logement est acquis ou tout simplement un mois de loyer à leur verser. La commission pour les agences immobilières s’élève quant à elle à 100% du prix du loyer et les propriétaires qui leur confi ent leurs logements leur payent 6 à 8% de frais de gérance. Les autres charges qui incombent au locataire sont la caution qui est égale au montant du loyer et une avance d’un à deux mois (ou plus) de loyer à payer avant l’occupation des lieux. Pourtant aucune autorité n’impose des normes sanitaires et sociales à respecter par les propriétaires qui ont la prétention de louer leurs maisons à des familles, avec le cadre de vie acceptable pour un être humain. Promiscuité insoutenable et inadmissible, conditions hygiéniques scandaleuses surtout pour les petits loyers, des bâtiments sans aération comme si on veut y élever des animaux, chaque espace est exploité au cm2 près, pour rentabiliser. L e logement n’est plus un lieu de confort familial, mais un simple dortoir. Les exactions subies par les locataires sont donc à la mesure de la spéculation introduite par ce type d’intermédiaire sur le marché de l’immobilier de location. Les diffi cultés économiques de plus en plus graves que rencontrent les ménages, dans les zones urbaines, contraignent bien des foyers à accuser des retards dans le payement des loyers. Dans ces conditions, commencent pour eux l’enfer et les humiliations. Portes et fenêtres enlevées pour forcer le débiteur insolvable à vider les lieux, des propos humiliants lancés au père de famille devant l’épouse et les enfants sans ménagement… Chez bien des propriétaires la dignité humaine n’a aucun sens. Il est vrai aussi comme font remarquer des propriétaires que certains locataires insolvables, ne font aucun effort d’apurement de leurs dettes, alors que pour des raisons d’humiliation de leur famille, il n’osent pas déménager et habiter un appartement inconfortable, mais moins cher. Et même parfois, s’ils le voulaient, ils ne le peuvent pas. Les exigences de remises en l’état de l’appartement avant leur départ, sont si coûteuses qu’elles engloutissent les cautions et les garanties déposées et que le propriétaire devrait leur rembourser. Cet épuisement exagéré de la caution et de la garantie –forme d’arnaque- les maintient dans une situation dramatique de sans logis, ne disposant plus d’argent pour payer la garantie et la caution du nouvel appartement où déménager après l’expulsion. Pour l’Avocat Jean Claude Gbogblénou, c’est à cause de cette clientèle souvent plus fortunée que les propriétaires montent les enchères, spéculent sur les loyers et font du chantage autour des baux. C’est pourquoi il recommande de lire très attentivement le contrat de bail, qu’il s’agisse d’un bail d’habitation ou d’un bail à usage commercial. Mieux, conseille-t-il, il faut veiller à ce qu’il soit écrit, car cela permet d’apporter aisément la preuve des droits du locataire et des obligations du propriétaire bailleur. Préalablement à la signature du bail écrit qui vous est proposé, insiste Me Gbogblénou, il faut prendre le soin de discerner les clauses ou dispositions essentielles qui vous seront diffi ciles à honorer. « Il est toujours mieux de trouver un terrain d’entente avant toute signature» insiste l’Avocat.

 

 

 
 
   

 

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