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Veille juridique / Judiciaire / Pénal

A propos de la décision du Conseil Constitutionnel du 9 août 2007 sur la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs

Référence de la publication : Doctrine n°18157
Publié le lundi 22 octobre 2007 sur www.net-iris.fr/veille-juridique/doctrine/18157
Rédigé par Raphael Piastra


La lutte contre les récidivistes était un thème de campagne fort du candidat Nicolas Sarkozy. A peine élu celui-ci fit préparer, sous la houlette de son Garde des Sceaux Rachida Dati, un projet de loi en ce sens.

Vivement critiqué par le milieu judiciaire, ce projet le fut aussi par l'opposition qui ne manqua pas de saisir le Conseil Constitutionnel. Ce dernier vient donc de rendre sa décision qui, un peu contre toute attente, avalise le texte en tous les points de contestation. Peu de temps après cette décision, l'affaire Evrard à Roubaix vient relancer gravement le problème de la récidive des pédophiles.

"Récidive : cause d'aggravation de la peine résultant pour un délinquant de la commission d'une seconde infraction dans les conditions précisées par la loi,après avoir été condamné définitivement pour une première infraction. La récidive est dite générale ou spéciale selon qu'elle existe pour deux infractions différentes ou seulement pour deux infractions semblables ; elle est dite perpétuelle ou temporaire selon qu'elle existe quel que soit le délai qui sépare les deux infractions ou seulement si la seconde infraction est commise dans un certain délai qui court à compter de l'expiration de la première peine" (Lexique des Termes Juridiques-Dalloz-2007). C'est l'art.133-8 et s. du Code Pénal qui fixe les règles en la matière.

C'est essentiellement la multiplication des affaires de récidive des délinquants mineurs et de certains délinquants sexuels qui a motivé le gouvernement pour ce texte de loi. Le rapt du jeune Enis, à Lille, par F.Evrard pédophile multirécidiviste (près de 20 ans de prison) montre, s'il en était besoin, la gravité du problème. Tout comme l'incarcération le jeudi 16 août à Carcassonne, d'un autre pédophile récidiviste. Avant que d'analyser la décision on est en droit de se demander ce qu'il en est des chiffres.

Sans entrer dans le détail il est opportun de rappeler que, selon le récent rapport d'Annie Kensey et Pierre Tournier ("La récidive des sortants de prison"), 52% des sortants de prison récidivent dans un délai de cinq ans après leur libération. La récidive en matière de crimes est inférieure à 1% (1,8% pour les viols et à moins de 0,5% pour les meurtres). En revanche elle est estimée à 42% chez les auteurs de vol et de recel. Et c'est en ces domaines que les infractions des mineures sont les plus nombreuses.

Selon le Ministère de la Justice en cinq ans, soit de 2000 à 2005, le nombre de condamnations en récidive a augmenté de 68,5%. En 2000 les tribunaux répressifs et les cours d'assises ont jugé 20.000 personnes en constatant leur récidive légale. En 2005 ce sont 33.700 personnes qui ont été jugé ainsi. Pour ce qui est des crimes et délits violents la progression est de 145% en cinq ans avec 4.500 condamnations en 2005. Sachons aussi qu'environ 25% des condamnés le sont pour des infractions à caractère sexuel. Force est de constater que les chiffres parlent d'eux-mêmes…

C'est donc dans ce contexte que la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, dite "loi Dati", a été adoptée. Il convient de dire quelques mots de celle-ci. Elle se décompose en deux chapitres principaux dont le premier est consacré aux peines minimum et à l'atténuation des peines applicables aux mineurs et le second à l'injonction de soins. En visant d'abord les mineurs ce texte remet en cause la célèbre ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, modifiée à 27 reprises par diverses lois et règlements (28ème fois avec cette loi).

Relativement aux peines minimales et aux peines applicables aux mineurs, la loi fixe désormais des seuils (art.132-18, 19 du C.Pénal). Il est également prévu à l'art.132-20 et s des atténuations de peines. Quant aux injonctions de soins elles deviennent, pour l'essentiel, une obligation pour les délinquants ou criminels sexuels soumis à suivi socio-judiciaire.

C'est donc sur la base de l'art.61 de la Constitution que le Conseil Constitutionnel (CC) a été saisi le 31 juillet 2007. Il était contesté trois aspects de la loi. D'abord la mise en place de peines minimales en cas de récidive, puis le droit applicable aux mineurs récidivistes et enfin l'injonction de soins. Dans sa décision du 9 août ce dernier a rejeté le recours et reconnu conforme à la Constitution l'ensemble des dispositions contestées.

Il conviendra donc d'analyser comment le Conseil a triplement validé cette loi.

I) De l'instauration de peines minimales

    Les auteurs de la saisine estimaient que l'instauration de peines minimales portait atteinte à plusieurs principes constitutionnels : nécessité des peines, individualisation de celles-ci, indépendance de l'autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle, droits de la défense, droit à un procès équitable.

    A) Sur la nécessité des peines

    Rappelons que c'est l'article 8 de la Déclaration de 1789 qui prévoit que "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires…". De même l'art.34 de la Constitution de 1958 énonce que "la loi fixe les règles concernant… la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables". Le Conseil estime que pour les faits commis en état de récidive légale le fait que la juridiction puisse prononcer une peine inférieure "notamment en considération des circonstances de l'infraction (…) ne porte pas atteinte au principe de nécessité des peines". Le Conseil se prononce également sur les faits commis à nouveau en récidive légale. Il estime que "eu égard à ces éléments de gravité (délit d'atteintes aux biens avec violences ou punis de dix ans de prison), l'instauration de peines minimales d'emprisonnement à environ un tiers de la peine encourue, soit le dixième du quantum de la peine que la juridiction peut prononcer compte tenu de l'état de récidive légale, ne méconnaît pas le principe de nécessité des peines". On peut considérer que eu égard à la multiplication des cas de récidive particulièrement graves, le législateur a voulu inciter le juge à être plus répressif. Selon nous, la récidive, et plus encore la multi-récidive, de faits graves apparaissent comme une cause d'aggravation à double titre. D'abord subjectivement elles révèlent une dangerosité persistante. Objectivement ensuite l'utilité sociale implique une sanction plus sévère. Le cas de F.Evrard l'illustre parfaitement.

    Ce n'est bien sûr pas la première fois que le Conseil a à se prononcer sur ce principe de nécessité des peines (20 janvier 1981 - loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes ; 3 sept. 1986 - loi relative à la lutte contre la criminalité et la délinquance ; 20 janvier 1993 - loi instituant une peine incompressible et relative au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale ; 16 juillet 1996 - loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public ; 13 mars 2003 - loi sur la sécurité intérieure ; 8 décembre 2005 - loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales). Dans la plupart des espèces le Conseil a précisé qu'il ne lui appartenait pas "de substituer sa propre appréciation à celle du législateur".

    Cela étant c'est une innovation que de se prononcer sur des peines minimales, qui sont par ailleurs pratiquées dans de nombreux pays de l'Union Européenne. Il conviendra donc d'observer comment les juges vont mettre en oeuvre ces peines minimales, arsenal nouveau dans notre droit pénal, chargées de lutter contre la récidive.

    B) Sur l'individualisation des peines

    Celle-ci est issue des art.6 et 8 de la déclaration de 1789. Selon le premier la loi "doit être la même pour tous (…). Tous les citoyens étant égaux à ses yeux". On a vu ci-dessus ce qu'il en était du second. Le texte de loi prévoit que pour les faits de récidive légale, la juridiction tient compte "des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion de celui-ci". Le texte de loi prévoit aussi que les juridictions ne peuvent, pour des faits particulièrement graves commis pour la troisième fois ("une nouvelle fois en état de récidive légale") prononcer une peine inférieure à une peine minimale lorsque l'auteur des faits présente des "garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion".

    Le Conseil a estimé que le principe d'individualisation "ne saurait faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions ; qu'il n'implique pas d'avantage que la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la personnalité de l'auteur de l'infraction". Désormais, et cela correspond incontestablement au nécessaire réalisme du droit pénal, les circonstances des faits et les garanties d'insertion ou de réinsertion de l'auteur sont aussi officiellement prises en compte.

    Il s'avère que sur les faits commis une nouvelle fois en état de récidive légale (les multirécidivistes), le Conseil a précisé que la peine minimale avait pour but d' "assurer la répression effective de faits particulièrement graves et (de) lutter contre leur récidive". Le Conseil estime ici que nonobstant la loi, la juridiction garde le pouvoir, selon les art.132-40 et 132-41 du Code Pénal, de faire surseoir partiellement à l'exécution de la peine, la personne condamnée étant placée sous le régime de la mise à l'épreuve.

    Enfin le Conseil a estimé que la loi ne dérogeait pas aux règles de l'art.122-1 du Code Pénal. Ainsi les juridictions continueront à tenir compte, notamment en cas de nouvelle récidive, du trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré le discernement de l'auteur d'une infraction au moment des faits.

    Là également le Conseil s'est plusieurs fois prononcé sur l'individualisation des peines (20 janvier 1981 - déjà cité ; 15 mars 1999 - loi organique relative à la Nouvelle Calédonie ; 27 juillet 2000 - loi relative à la liberté de communication ; 22 juillet 2005 - loi sur l'audience d'homologation de la reconnaissance préalable de culpabilité ; 3 mars 2007 - loi relative à la prévention de la délinquance). Dans la majeure partie des espèces il a reconnu que cette individualisation était constitutionnelle.

    Ici aussi il conviendra d'observer comment les juges mettent en pratique cette règle. Il faut cependant constater que, si ces peines minimales tendent à orienter notre arsenal pénal vers le système de la peine fixe ordonnée uniquement par la loi, elles ne sauraient empêcher le juge d'exercer son pouvoir d'appréciation quant aux circonstances des faits, à la personnalité de l'auteur et de ses garanties de (ré)insertion. Dès lors ces peines ne sont nullement incompatibles avec la personnalisation des peines chère à notre système pénal.

    - Relativement aux autres exigences constitutionnelles soulevées par les auteurs de la saisine, le Conseil a estimé que la loi ne portait atteinte ni à la compétence de l'autorité judiciaire gardienne de l'autorité individuelle (art.66 al 2 de la Constitution), ni aux droits de la défense (art.8-1 de la déclaration de 1789, al.1 du Préambule de 1946), ni au principe du procès équitable (Pacte International des Droits Civils et Politiques, art.6 parag.1 de la CEDH).

    II) Du droit applicable aux mineurs récidivistes

      Il convient de préciser ici que le code pénal de 1810 ne prévoyait pas de présomption d'irresponsabilité pour le mineur (la majorité pénale était alors de 16 ans). Le juge devait se soucier du discernement. Sans celui-ci le mineur était soit relaxé, soit acquitté, soit mis en maison de correction. Si le discernement était prouvé, le mineur était condamné à une peine pour laquelle s'appliquait l'excuse atténuante de minorité. En 1906 une loi sur la majorité pénale des mineurs est votée.

      C'est une loi de 1912 qui a supprimé la question du discernement et instauré une présomption d'irresponsabilité des mineurs de 13 ans auxquels pouvaient être proposées des mesures éducatives. Au-delà de cet âge et jusqu'à 18 ans (nouvel âge de la majorité pénale), ils pouvaient être condamnés avec le bénéfice de l'excuse de minorité.

      C'est l'ordonnance du 2 février 1945 qui a parachevé la réforme de 1912 et créé des juridictions spécialisées pour les mineurs. Cette ordonnance a été révisée 26 fois jusqu'à ce jour.

      Qu'est-ce que la minorité pénale aujourd'hui ? En quelques mots c'est l'état de l'auteur d'une infraction qui n'a pas encore 18 ans. Le régime de responsabilité est alors variable selon l'âge et il existe deux hypothèses. Soit le mineur a moins de 13 ans auquel cas il n'est justiciable que de mesures d'assistance éducative. Soit il a entre 13 et 18 ans et peut être condamné à une peine mais avec le bénéfice possible de l'excuse atténuante de minorité, obligatoire de 13 à 16 ans, facultative de 16 à 18 ans (art.122-8 du code pénal, art.1 à 24 de l'ordonnance de 1945).

      La loi examinée par le Conseil maintient le principe selon lequel les mineurs de plus de seize ans bénéficient d'une atténuation de peine. Le texte dispose que, par exception, cette atténuation ne s'applique pas lorsque certaines infractions graves ont été commises pour la troisième fois. Il est spécifié également que le Tribunal pour Enfants peut en décider autrement par décision spécialement motivée.

      Le Conseil Constitutionnel dans sa décision a d'abord estimé que "l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle".

      Il rappelle ensuite que "toutefois la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives". Et le Conseil de préciser que "les dispositions originelles de l'ordonnance du 2 février 1945 n'écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n'excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention". Le Conseil de conclure que "telle est la portée du PFRLR en matière de justice des mineurs". Ces précisions nous semblent fondamentales en ce sens qu'elles justifient, ni plus ni moins, à la fois la validation de la loi sur ce point, mais aussi et surtout le fait que celle-ci permette dorénavant de mieux réprimer les mineurs récidivistes. Et l'on sait que ceux-ci se sont multipliés au cours des dix dernières années.

      L'existence d'une justice particulière des mineurs est donc un "principe fondamental reconnu par les lois de la République" (PFRLR). Précisons que ces PFRLR font partie intégrante du bloc de constitutionnalité. Ils sont mentionnés au paragraphe 1 du Préambule de 1946 mais ils ont été consacrés par le Conseil Constitutionnel pour concilier entre elles diverses normes constitutionnelles. Pour simplifier disons qu'afin de les consacrer le Conseil exige que les PFRLR proviennent d'une "législation républicaine" antérieure à 1946 et jamais contredite par une loi républicaine depuis lors.

      Dès lors le Conseil juge qu' "en adoptant ces dispositions, le législateur n'a pas porté atteinte aux exigences constitutionnelles propres à la justice des mineurs". C'est en 2002 (29 août - loi d'orientation et de programmation pour la justice) que le Conseil s'est prononcé pour la première fois sur le droit applicable aux mineurs récidivistes. Depuis lors d'autres décisions ont suivi (2 mars 2004 - loi d'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ; 3 mars 2007 - loi relative à la prévention de la délinquance). Il appartiendra aux juges là aussi d'expérimenter ces nouvelles règles plus répressives envers les mineurs récidivistes.

      III) De l'injonction de soins

      Rappelons que l'injonction de soins est une mesure qui intervient dans le cadre du prononcé d'un suivi socio-judiciaire. Elle est prévue à l'art.131-10 du Nouveau Code Pénal. Pour sa mise en oeuvre le juge de l'application des peines (JAP) désigne sur une liste de psychiatres ou de médecins spécialisés, un médecin coordonnateur (art.L.3711-1 du code de la santé publique ; art.R.355-33 et s. du décret du 18 mai 2000). Ce dernier invite le condamné à choisir un médecin traitant et à défaut il est choisi par le JAP. Si besoin il conseille le médecin traitant et transmet au juge les éléments pour contrôler l'injonction de soins. Une fois la peine arrivée à terme, il informe le condamné des possibilités de poursuivre le traitement ainsi que la durée de celui-ci. C'est au médecin traitant de délivrer les attestations de suivi de traitement pour que le condamné atteste du suivi de l'injonction. Il doit aussi informer le JAP de l'interruption du traitement. Il peut informer le médecin coordonnateur de toute difficulté afin d'en avertir le juge. Il peut enfin demander au juge une expertise médicale (art.L.3711-3 code de la santé publique).

      Selon l'art.763-7 du code pénal si un suivi avec injonction complète une peine d'emprisonnement, le condamné doit effectuer celle-ci dans un établissement spécialisé adapté. C'est au JAP d'informer le condamné de la possibilité d'entreprendre un traitement (information renouvelée tous les 6 mois). Si la peine est suspendue ou fractionnée, ou en cas de placement extérieur ou de semi-liberté les obligations de suivi socio-judiciaire s'appliquent.

      La nouvelle loi a voulu en quelque sorte renforcer l'injonction de soins en l'érigeant en procédure automatique pour les condamnés à un suivi socio-judiciaire (ce qui vise avant tout les délits ou crimes sexuels), à une peine d'emprisonnement avec mise à l'épreuve ou les placements sous surveillance judiciaire. De même la loi modifie les conditions d'octroi des réductions supplémentaires de peine ainsi que de la libération conditionnelle aux personnes condamnées pour un crime ou un délit pour lequel un suivi socio-judiciaire est encouru (là encore crime ou délit sexuel principalement).

      Le Conseil constate que les personnes ainsi condamnées "ne pourront être soumises à une injonction de soins que s'il est établi, après une expertise médicale, qu'elles sont susceptibles de faire l'objet d'un traitement". Le juge constitutionnel précise que "par les mots "sauf décision contraire", le législateur a expressément préservé la possibilité pour la juridiction ou le JAP de ne pas prévoir cette injonction de soins". Le pouvoir d'appréciation du juge est ainsi préservé. De même le Conseil énonce que "les dispositions contestées qui privent les personnes incarcérées du bénéfice des réductions supplémentaires de peine réservent également la faculté d'une décision contraire du juge ou du tribunal de l'application des peines". Là encore le libre-arbitre, notamment du JAP, est préservé.

      Le Conseil constate enfin que les obligation de soins fixées à l'art.11-I de la loi et reprises aux articles 717-1, 763-7, 731-1 du code de procédure pénale "font toujours intervenir une décision juridictionnelle qui ne revêt aucun caractère d'automaticité". Le rôle du juge et toutes les garanties judiciaires sont donc préservés.

      Dès lors les sages concluent que "la mise en oeuvre de ces dispositions ne méconnaît ni les principes de nécessité et d'individualisation des peines, ni les articles 64 et 66 de la Constitution" (ces derniers visant l'indépendance de l'autorité judiciaire pour le premier et l'autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle pour le second). A plusieurs reprises le Conseil s'était prononcé sur l'injonction de soins (22 novembre 1978 - loi en matière d'exécution des peines privatives de liberté ; 3 septembre 1986 - loi relative à la lutte contre la criminalité et la délinquance ; 8 décembre 2005 - loi sur le traitement de la récidive).

      Il est utile de dire que si l'obligation de soins n'a pas donné la pleine mesure de son efficacité en France c'est essentiellement en raison d'un gros manque de moyens. Et depuis 1998 pas moins de trois lois sont intervenues en la matière.

      C'est ici que le cas de F.Evrard est révélateur. S'il s'avérait qu'il a, comme il le dit lui-même, "connu une quarantaine d'enfants" mais n'a "été condamné que pour trois" (Le Parisien-21 août 07), il serait le symbole d'une faillite judiciaire et pénitentiaire. D'autant que la justice l'avait placé "sous surveillance judiciaire" ! Sorti de prison début juillet, il était convoqué seulement fin août pour un contrôle. Ce délai de deux mois est anormal. D'autant qu'en prison des signes de sa pédophilie persistaient (carte postale d'enfant dénudé, sites sur son ordinateur). Est-ce uniquement ici un problème de moyens ?...

      Cela étant même si la "loi Dati" renforce l'injonction de soins et le suivi, elle ne changera pas grand-chose selon nous si un effort budgétaire très conséquent n'est pas fait pour la justice et le monde pénitentiaire. A ce propos rappelons qu'un récent rapport du Conseil de l'Europe classait la France au 23ème rang en matière de budget alloué à la Justice… Plus qu'une antépénultième loi, c'est un budget digne de ce nom qu'il faut à cette dernière. Mais il faut aussi que chaque acteur, justice, milieu pénitentiaire, corps médical et social, communique loyalement et objectivement. A cet égard nous pensons que le secret médical doit être relativisé face aux pédophiles multirécidivistes.

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      Au moment de conclure il est important de souligner que le Conseil a donc eu à juger une énième loi touchant à la justice. Avec la police c'est le domaine qui a été le plus réformé au cours de ces dernières décennies. Chaque ministre, ou presque, y a mis sa griffe. Et l'on est en attente de la grande réforme qui devait suivre le rapport de la Commission Vallini suite à l'affaire d'Outreau (celle de P. Clément n'étant qu'un ersatz). Tout comme l'on est à la veille d'un changement (nécessaire) de la carte judiciaire.

      Au risque de verser dans l'antienne, il est impérieux que les politiques se décident enfin à doter la justice de moyens dignes de ce nom. Plus qu'une nouvelle réforme, redisons que c'est de moyens avant tout financiers et humains dont elle a besoin. A ce titre la France, on l'a dit, est un des parents pauvres de l'Union Européenne.

      Alors qu'en sera-t-il de cette loi contre la récidive des majeurs et des mineurs ? On se rend compte qu'à peine entrée en application, l'affaire Evrard éclate. Après une vingtaine d'années de prison pour des faits similaires, ce sexagénaire a été mis en examen pour "enlèvement, viols et agressions sexuelles en récidive" puis écroué. Cet individu avait été libéré à peine un mois auparavant. Son dossier psychiatrique évoque "une dangerosité criminologique" et il y est mentionné une injonction de soins avec suivi socio-judiciaire "justifiée" mais d'une "efficacité incertaine" (Le Parisien, 18 août 07). Sa notification de sortie, datée du 8 juin, mentionne un risque de "récidive avéré". Et il est livré à lui-même durant deux mois…Et d'autres pédophiles, récidivistes ou pas, doivent sortir de prison sous peu.

      Seule l'application de la loi permettra d'ici quelques mois de juger de son efficacité.

      Mais malgré une injonction de soins renforcée, et en l'absence d'un véritable contrôle de celle-ci, on peut être dubitatif sur la récidive des délinquants sexuels.

      La "loi Dati" empêchera-t-elle d'autres cas Evrard ? Doutons-en d'autant plus que le président Sarkozy a annoncé, le 20 août dernier, quatre mesures: renforcer le suivi, stopper les remises de peine automatiques, créer des hôpitaux fermés, envisager la castration chimique. Et il s'en suivrait une nouvelle loi à l'automne (avec des risques de censure du CC) !

      Inspirons-nous peut-être aussi des exemples étrangers en matière de suivi des pédophiles récidivistes. On constate que la plupart d'entre eux pratiquent notamment la castration chimique (Danemark, Canada, Allemagne, certains états américains). Le Royaume-Uni y viendra au printemps 2008. Précisons que fin 2004 D.Perben, alors Garde des Sceaux, avait lancé une étude sur le traitement chimique des délinquants sexuels. Celle-ci, toujours d'actualité, est dirigée par le Dr Stoléru chercheur à l'Inserm et selon lequel, notamment avec un traitement hormonal, "on peut éviter les récidives" (Le Parisien, 20août 07). Les résultats de celle-ci se font plus que jamais attendre.

      De même, et alors que selon l'OMS la pédophilie est une maladie psychiatrique, ne faudrait-il pas réfléchir à des techniques plus invasives comme la neurostimulation ou la psychochirurgie pour les cas les plus graves ?

      En tout état de cause la "loi Dati" devra s'accompagner aussi, notamment à l'égard des mineurs, de mesures sociales et éducatives nouvelles. En particulier dans les banlieues sensibles. Sinon elle ne sera qu'une strate de plus parmi les lois à répétition que l'on nous inflige depuis des années, avec plus ou moins de réussite, en matière judiciaire.

      Gouvernants de France, souvenez-vous avec Montesquieu que "lorsqu'on veut changer les moeurs et les manières, il ne faut pas les changer par les lois" ! Tout au moins pas uniquement avec celles-ci….

      Raphael PIASTRA
      Docteur en Droit Public de l'Université de Paris I
      Maître de Conférences à l'Université d'Auvergne

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