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09/06/2013

BENIN: La Cour constitutionnelle du Bénin : Une composition à problèmes ?


 
CourConstitutionnelleLa composition des cours constitutionnelles est une question fondamentale car il faut faire en sorte que les juridictions constitutionnelles offrent le maximum de garanties d’indépendance en apparaissant crédibles aussi bien aux yeux des autorités politiques dont elles sont chargées de contrôler les actes qu’à ceux des particuliers dont elles sont censées protéger les droits.
Au Bénin, conformément à l’article 115 de la Constitution, la Cour constitutionnelle est composée de sept membres dont quatre nommés par le bureau de l’Assemblée nationale et trois désignés par le président de la République à savoir: trois magistrats, ayant une expérience de quinze années au moins, dont deux sont nommés par le bureau de l’Assemblée nationale et un par le président de la République; deux juristes de haut niveau, professeurs ou praticiens du droit, ayant une expérience de quinze années au moins, nommés l’un par le bureau de l’Assemblée nationale et l’autre par le président de la République; deux personnalités de grande réputation professionnelle, nommées l’une par le bureau de l’Assemblée nationale et l’autre par le président de la République.
Leur mandat est d’une durée de cinq ans ; il est renouvelable une fois (Articles 115 de la Constitution, 7 de la loi organique et 2 du règlement intérieur).
A l’issue des désignations faites par les différentes autorités en 2013, notamment celles du chef de l’Etat, des polémiques, ou, à tout le moins, des étonnements, sont apparus dans les médias. Il convient de faire quelques réflexions sur les différentes catégories de personnalités qui doivent appartenir à la Cour et les critères de leurs nominations.
Les juristes
En tant que juridiction, les cours constitutionnelles sont souvent composées de juristes. Les textes souvent, la pratique quelque fois, l’imposent.
Dans la pratique au Bénin, le respect de la qualité de juriste dans le choix des juges à la Cour constitutionnelle a fait l’objet de débats et de contentieux à propos des deux sous catégories de juristes, à savoir, d’une part, les magistrats, et d’autre part, les juristes de haut niveau (avec ses deux variantes de professeur et de praticiens du droit).
S’agissant de la qualité de magistrat, c’est la décision 15 DC du 16 mars 1993 du Haut Conseil de la République siégeant en qualité de Cour constitutionnelle1 qui a tenté, une première fois, de préciser ce qu’il fallait entendre par magistrat2. Toujours dans la même décision, la Cour s’est prononcée sur le point de savoir si le magistrat admis à la retraite garde cette qualité. En se basant sur la loi applicable au statut des magistrats à l’époque de sa décision, la Cour relève que « le magistrat à la retraite est radié d’office du cadre de la magistrature et ne peut être membre de la Cour constitutionnelle s’il n’a sollicité l’honorariat de sa fonction ». Cette conclusion s’est appliquée en l’espèce à Mme Elisabeth Pognon, sans la frapper, puisqu’en étant mise à la retraite par le décret N° 92-291 du 26 octobre 1992, elle avait encore la qualité de magistrat le 10 février 1992, date à laquelle la décision du bureau de l’Assemblée nationale la désignait au poste de membre de la Cour constitutionnelle.
S’agissant toujours de la qualité de magistrat, une question plus pointue s’est posée, celle de savoir si une personnalité nommée en qualité de magistrat à la Cour constitutionnelle et qui perdait cette qualité en cours de mandat par la mise à la retraite, devait perdre son poste à la Cour constitutionnelle avant la fin de son mandat. A cette question, la Cour constitutionnelle a répondu « qu’aucune disposition constitutionnelle n’[ ] oblige à démissionner pour cause d’admission à la retraite ; ni la Constitution, ni la Loi organique, ni la décision 15 DC du 16 mars 1993 du HCR siégeant en qualité de Cour constitutionnelle sur la qualité des membres de cette Cour, n’autorisent à interpréter la mise à la retraite comme entraînant la fin du mandat de membre »3.
Un dernier point a posé problème s’agissant de la qualité de magistrat. Celui de savoir, si une personnalité ayant cette qualité au moment de sa nomination et qui la perdait en cours de mandat sans perdre celle de membre de la Cour constitutionnelle, pouvait voir son mandat renouvelé en se prévalant de cette même qualité. Deux décisions rendues par la Cour constitutionnelle à l’égard de deux différents membres permettent de comprendre la position de la haute juridiction. La première, la décision DCC 98-052 du 29 mai 1998, porte sur le renouvellement du mandat de Mme Elisabeth Pognon. Pour la Cour, « la nomination de Mme Pognon, le 22 mai 1998, constitue un renouvellement de mandat ; qu’en tant que telle, cette nomination ne peut intervenir qu’en la qualité de magistrat qu’elle avait à sa première nomination, le 10 février 19924, que dès lors, la nomination par le bureau de l’Assemblée nationale, le 22 mai 1998, de Mme Pognon, en qualité de juriste, doit être déclarée contraire à la Constitution »5. La deuxième décision6a trait au renouvellement du mandat de M. Lucien Sèbo. Pour la Cour, « M. Lucien Sèbo a été nommé membre de la Cour constitutionnelle, par décret N° 98-221 du 22 mai 1998 (…), en qualité de magistrat ; (…) Selon l’article 115, alinéa 1, de la Constitution, la durée du mandat est de cinq ans, renouvelable une seule fois. (…) Admis à la retraite depuis le 1er janvier 2003, il n’en a pas moins continué à siéger à la Cour constitutionnelle ; (…) son mandat expire le 6 juin 2003 à minuit ; (…) sa nomination, par décret N° 2003-163 du 16 mai 2003, (…) en qualité de magistrat, constitue un renouvellement de mandat ; qu’en tant que telle, ladite nomination ne peut intervenir qu’en la qualité de magistrat qu’il avait à sa première nomination ». Autrement dit, s’il perdait la qualité de magistrat, il ne pourrait pas voir son mandat renouvelé.
Avec la loi N° 2001-37 du 21 février 2003, la donne a légèrement changé toutefois. En effet, si l’on s’en tenait à cet état de la jurisprudence, M. Bernard Dégboé, magistrat désigné en 2008 par le bureau de l’Assemblée nationale et ayant acquis ses droits à la retraite en cours de mandat, n’aurait jamais pu voir son mandat renouvelé par le même bureau en 2013. Nous avions d’ailleurs affirmé cela il y a quelques temps, en ignorant la loi portant statut de la magistrature. Or, suite à cette méprise de notre part, notre attention a été attirée sur l’article 78, alinéa 2, de ce statut qui dispose : « Le magistrat admis à la retraite demeure attaché au corps de la magistrature et (…) conserve (…) sa qualité de magistrat ».
Il faut donc prendre acte de cette évolution législative et présenter des excuses à M. Dégboé.
Enfin, il convient de relever aussi que la période de formation des magistrats (lorsqu’ils sont auditeurs de justice), est prise en compte pour calculer leur ancienneté. M. Euloge Akpo, magistrat, entré en formation en 1998, a donc bel et bien 15 ans d’ancienneté, et non pas 13.
S’agissant de la deuxième sous-catégorie de juriste, celle de « juristes de haut niveau, professeurs ou praticiens du droit », la jurisprudence de la Cour ne relève que quelques clarifications. La décision 8-DC du 16 juin 1992, statuant sur un recours déniant la qualité de juriste de haut niveau à M. Bruno Ahlonsou, au prétexte qu’il n’est ni professeur, ni praticien du droit (…), a considéré que « le sieur Bruno Ahlonsou est un juriste de haut niveau qui jouit d’une expérience tant dans le domaine judiciaire que dans le secteur des assurances (…) en ce qu’il a été magistrat, puis responsable du département technique des règlements et contentieux dans diverses sociétés d’assurances (…) »7 . En d’autres termes, un « praticien du droit » est toute personne dont l’expérience professionnelle a été acquise dans un ou plusieurs secteurs où le droit est appliqué de manière plus ou moins intense dans le traitement des dossiers.
S’agissant de la qualité de juriste de haut niveau dans sa variante de professeur, si l’on s’en tient à l’énoncé constitutionnel, le « professeur » en dehors d’être juriste, doit aussi être de haut niveau.
Sur le « niveau » qui doit être « haut » s’agissant d’un professeur, on ne devrait pas trouver d’obstacles à considérer qu’il s’agit d’enseignant d’université. On ne peut en effet considérer qu’un professeur de droit dans un lycée, n’ayant que les diplômes lui permettant d’exercer ces fonctions à ce niveau, soit considéré comme un juriste de haut niveau.
Mais il faut rappeler qu’au-delà de la thèse de doctorat qui est le minimum requis pour être considéré comme appartenant au corps des enseignants d’université, l’expression « professeur » ou, de manière précise, « professeur titulaire », est en principe réservée à une partie des enseignants, ceux qui, après leur doctorat, qui ne leur donne que le grade d’assistant, ont gravi les échelons de maîtres assistants, puis de maîtres de conférence. En effet, ces derniers, en attendant de franchir le grade terminal de professeur titulaires, sont appelés « professeurs », dans la pratique. Cette situation rend difficile la détermination du sens que donne la Constitution aux expressions combinées de « juriste de haut niveau » et « professeur ». Il faudrait donc s’en remettre à la jurisprudence ou à la pratique.
La pratique révèle qu’à la première mandature (1993–1998) de la Cour constitutionnelle, le seul enseignant d’université membre de la haute juridiction, M. Maurice Ahanhanzo-Glèlè était « professeur » au sens du Cames, c’est-à-dire « professeur titulaire » d’université en droit public. A la deuxième mandature (1998–2003), en dehors du professeur Ahanhanzo-Glèlè, il y a eu une autre personnalité de la même catégorie et sous-catégorie que lui, Mme Conceptia Denis–Ouinsou. Elle était Maître de conférences et son mandat a été renouvelé pour la période 2003–2008. Si l’on s’en tenait à ces deux personnalités, on pourrait considérer que l’expression « professeur » vise les enseignants d’université de rang magistral. Mais la pratique a remis en cause cette conclusion en 2003 sans que la jurisprudence ne se prononce de manière satisfaisante sur la question.
C’était au sujet de la désignation de M. Christophe Kougniazondé. Alors que des requérants ont saisi la Cour constitutionnelle au motif que cette personnalité, « professeur assistant, n’est ni professeur au sens où l’entendent la Constitution et la loi organique sur la Cour, ni praticien du droit, », et que la Cour avait ainsi la possibilité de se prononcer clairement sur ce qu’il fallait entendre par la combinaison des expressions « juriste de haut niveau » et « professeur », elle a préféré se passer de toute démonstration, se contentant de décider (DCC 03-092 du 4 juin 2003) que l’analyse du curriculum vitae de l’intéressé « révèle qu’il remplit les conditions requises pour être nommé en qualité de juriste de haut niveau. ».L’intéressé offrait un bon cas d’analyse car, en plus d’être assistant au sens du Cames, il est juriste, mais avec une thèse en sciences politiques.
Les personnalités de grande réputation professionnelle.
Sur les sept membres de la Cour constitutionnelle béninoise, deux doivent être « des personnalités de grande réputation professionnelle »8.
La présence de ces personnalités, dès lors qu’elle ne remet pas en cause le nombre majoritaire de juristes composant la Cour, ne peut qu’enrichir la haute juridiction à des moments où elle aura à faire certains choix de société que la seule compétence juridique ou judiciaire ne permet pas – forcément – de réussir. Et en matière de régulation de fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics, domaine dans lequel le droit n’est plus la seule base de résolution des crises, mais où en même temps le besoin de confiance aux juges doit être amplement satisfait, leur apport peut être important.
Mais, comme au Cameroun et au Gabon, la formule prévue est assez vague et ouvre la porte à à peu près toute personne que l’autorité compétente voudrait nommer.
La seule condition à remplir paraît être celle d’expérience professionnelle car comme le relève la Cour constitutionnelle béninoise « la notion de personnalité doit être jumelée avec la qualification et la compétence professionnelle »9. Dans la pratique, c’est un curriculum vitae qui permet de juger de ces qualifications et expériences professionnelles10.
A l’égard des deux personnalités de haute réputation professionnelle de la Cour constitutionnelle béninoise, il peut être constaté une marge de manœuvre très grande laissée aux autorités de nomination.
Pour l’instant, elles ont souvent usé à bon escient de cette marge de manœuvre en ne proposant que des personnalités dont l’expérience professionnelle est au-dessus de tout soupçon. De 1993 à 1998, ont été ainsi choisis le professeur de médecine (Alexis Hountondji) et le premier chef d’Etat du Bénin de 1960 à 1963 (Hubert Koutoukou Maga qui a été à nouveau président de la République de 1970 à 1972) ; de 1998 à 2003, le professeur Hountondji à été reconduit dans ses fonctions avec M. Idrissou Boukari qui avait entre temps remplacé le président Maga décédé en cours de mandat.
De 2003 à 2008, c’est un général de gendarmerie, à la retraite, ancien directeur de la gendarmerie, et ancien ministre de l’Intérieur (le général Pancrace Brathier) qui est devenu deuxième personnalité aux côtés de M. Boukari dont le mandat a été renouvelé. Entre 2008 et 2013, les deux personnalités nommées sont M. Robert Tagnon, ancien ministre, et M. Zimé Yérima Kora-Yarou, administrateur civil à la retraite. Après son décès, M. Robert Tagnon a été remplacé par M. Jacob Zinsounon, économiste, ancien conseiller technique à l’économie du chef de l’Etat.
En 2013 cependant, le jeune âge de la personne choisie par le chef de l’Etat pour occuper cette fonction amène à souhaiter que soit renforcés davantage les critères, notamment d’âge et de nombre d’années d’expériences professionnelles, pour avoir la possibilité d’occuper ce poste de personnalité de « grande réputation professionnelle ».
Gilles BADET
Docteur en droit public
Notes
1 Selon l’article 159, alinéa 3 de la Constitution béninoise du 11 Décembre 1990, « Les attributions dévolues par la présente Constitution à la Cour constitutionnelle seront exercées par le Haut Conseil de la République jusqu’à l’installation des institutions nouvelles ».
2 Recueil des Décisions et Avis de la Cour constitutionnelle du Bénin, 1991-1992,1993, p. 75
3 DCC. 98-052 du 29 Mai 1998, Recueil des Décisions et Avis, 1998, p. 261.
4 Même si par Décret N°92-291 du 26 octobre 1992 elle avait été mise à la retraite et avait ainsi perdu la qualité de magistrat après sa désignation par le Bureau de l’Assemblée Nationale mais avant le début réel de son mandat le 7 Juin 1993, date officielle d’installation de la Cour constitutionnelle. Cette situation ne pouvait lui nuire et l’empêcher d’exercer son mandat, car elle est due, selon la Cour constitutionnelle, à des raisons extérieures aussi bien à sa volonté qu’à celle du bureau de l’Assemblée Nationale.
5 Recueil des Décisions et Avis, 1998, p. 261.
6 DC C 03-081 du 26 Mai 2003, Recueil des Décisions et Avis, 2003 p. 331 et sv.
7 Recueil des Décisions et Avis, 1991,1992, 1993, p. 48
8 Article 114 al 3 constitution du 11 12 90.
9 Décision 15 D C du 16 mars 1993, Recueil 1991, 1992, 1993, p 81.
10 Cf Article 1 de la loi N° 91 – 009 du 4 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle.

 
 
 
 
Tag(s) : #Veille juridique
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