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Réponse du Doyen O.B.Q. à ROGER GBEGNONVI  

 

 

Garrigues-Sainte-Eulalie, 07/10/09

 

Bien cher Roger,

 

Dans mon remerciement de m’avoir communiqué ta lettre à «Excellence Monsieur le Président de la République», j’ai promis de te répondre publiquement; le tohu-bohu , les béninoiseries et saloperies qui ont offert à la scène internationale une image aussi triste que lamentable de notre pays ne m’ont pas permis de t’écrire aussi vite que je le désirais; je suppose qu’il ne t’a pas échappé que, bec et ongles, je me battais pour le candidat, non pas du Bénin, puisqu’il ne l’était guère, mais simplement béninois nommé Nouréini Tidjani-Serpos.

 

À Héraklion (Crète) où nous sommes allés sur la tombe de Nikos Kazantzaki érigée sur une éminence d’où le regard embrasse la mer, Maryvonne a cueilli des fleurs de bougainvillier, en a déposé sur la tombe d’Eleni, épouse du célébrissime écrivain grec, morte centenaire; elle en fit de même sur les épais pavés de marbre noir sous lesquels repose le corps de l’auteur de Le Christ recrucifié, avant de me photographier, assis sur l’assemblage de blocs de marbre où me traversa l’esprit la phrase qu’il y a plus de trente ans j’avais lue dans L’Odyssée, à mon avis l’ouvrage dans lequel Kazantzaki aura concentré le paroxysme de sa création littéraire:

"Ci-gît la patience du monde."

Sur l’épitaphe en marbre au pied d’une croix d’un calcinant dépouillement, est gravée en grec ces phrases de L’Odyssée qu’en les découvrant je m’étais dit écrites pour moi:

«Je n’espère rien»

Je ne crains rien

Je suis libre

Il est légitimité qu’il les eût gardées pour lui, mais j’en avais fait ma devise et ne les oublierai jamais. Nous descendions du belvédère d’où la tombe de l’écrivain domine Héraklion quand mon portable sonna: de Paris, un compatriote m’informait: «Nouréini Tidjani-Serpos n’est plus candidat, le Bénin aurait exigé qu’il se retire de la compétition…» Crois-moi si tu veux, soudain spiralé de colère, j’ai entendu retentir dans ma tête comme si de sa tombe Kazantzaki hurlait la citation en exergue de l’épilogue de L’Initié:’

« Malheur à qui ne voit que le masque; malheur à qui ne voit que ce qui se cache derrière

le masque !

Seul possède le regard parfait qui, au même instant, en un éclair, voit le masque très beau

et derrière lui le visage épouvantable.»

 

Mon cher…très cher Roger, en lisant ta lettre à «Excellence Monsieur le Président de la République», j’y ai souligné plusieurs passages; en voici la première:

 

«Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir’’ (Matthieu, 3/17). Une transposition qui induit, malheureusement, le mélange des genres et comme une banalisation des textes sacrés, me permet néanmoins d’affirmer que l’onction reçue par Jésus-Christ à son baptême et lors de la Transfiguration sur le Mont Thabor (id., 17/5) ressemble - mutatis mutandis donc - à celle que le peuple béninois vous a conférée en mars-avril 2006. […] Les ethnies réunies et les partis réunis vous ont désigné comme l’homme de la situation, le ‘‘Fils bien-aimé’’ devant prendre la tête de notre marche vers la terre promise de l’homme nouveau, où nous avons décidé nous-mêmes d’aller.»

 

Dans la marge, j’ai griffonné: «Roger demeure un séminariste; en permanence sur le terrain objectif, que n’avait-il pu songer qu’il y a dans l’Ancien Testament des passages qui brossent mieux le portrait de celui à qui il s’adresse en se référant à Saint Matthieu? Bof! le ver étant déjà dans la pomme, il sera promu ministre; une perte pour l’intelligentsia?

Lénine la qualifiait de la merde du peuple. Je suis fier d’en être mais profondément triste que Roger s’en soit vite extirpé.».

Roger, toi aussi ne voyais «que le masque», «que ce qui se cache derrière le masque.» Aussi as-tu mis du temps, trop de temps à voir «le masque très beau et derrière lui le visage épouvantable.»

 

Serait-ce parce que, ayant objectivement choisi le camp des thuriféraires, tu désirais être ministre? Un jour, en accueillant à Gléxwé l’épouse du chef de l’Etat, tu lui as conféré le titre d’Excellence; stupéfait, j’ai pu téléphoner à l’ami qui te connaît mieux que moi pour lui dire: «Roger rampe, il s’est métamorphosé en wansúgogó, il sera ministre.»

 

Quand tu as eu fait le pas de clerc, l’intéressé t’a écrit que tu serais «comptable» des agissements de ce gouvernement. Nicéphore Soglo, qui me fait l’amitié de m’appeler du Bénin ou à son arrivée en France, a déclaré quand j’ai voulu connaître son avis:

«Si Gbégnonvi reste dix-huit mois, au maximum deux ans dans ce gouvernement, je ne suis plus Soglo!»

Ce n’était pas une vue de l’esprit: Guèdègbé, l’excellent BòkÓnÒ qui prédit au roi Béhanzin ce que l’avenir lui réservait, n’aurait pas vu plus juste. Profondément démocrate dont la liberté et l’esprit d’indépendance ne seront jamais négociables, je m’étais contenté de te féliciter avant de t’informer de l’essentiel de ma conversation, en 1966, avec le président L.S Senghor et Gabriel d’Arboussier, au sujet de l’enseignement des langues africaines. En l’occurrence, avec le temps et l’évolution de la Francophonie, tu n’as pas dû trop pâtir des entraves de ceux que Senghor traitait de «Grands Blancs»; mais de la béninoiserie…

 

Tu as dû lire ceci dans «Esquisse d’un portrait en pied …»:

«Ce n’était qu’à partir d’avril 2007 que j’ai commencé de m’intéresser aux méthodes progressivement préoccupantes du président Thomas Boni Yayi, précisément parce qu’au lieu de ya yi qu’Albert Tévoédjrè avait péroré, elles s’avéraient ya wa. 347 coupures de presse d’avril 2007 à mars 2009; ce serait une lapalissade que d’en inférer: Record largement battu.».

 

Le texte m’a valu la grogne, la hargne, les injures, voire les malédictions de la coterie des thuriféraires et des prébendés dont le chef de l’État achète la conscience, sans négliger celle du vulgum pecus auquel le Changement promis n’apporte rien. Serait-ce un euphémisme si j’écrivais: «la misère régente le Bénin»?

 

L’Oint que tu as semblé avoir perçu ne connaissait pas le pays et ne se décidera pas à le connaître dans ses fondements socioculturels; à cause de cette ignorance et d’une telle inculture, je le combattrai sans concession parce qu’il est nuisible; tu as, toi aussi, dénoncé enfin des méthodes, des mœurs que le président n’ignorait pas. «Excellence, Monsieur le Président de la République», comment les ignorerait-il puisqu’il est à la source des corruptions, violations des droits de l’homme et des crimes qui demeurent sans jugement et impunis? L’échec de son double jeu méprisable m’a fait écrire BRAVO quand fut battu en brèche le candidat qu’en réalité il soutenait pour l’élection du directeur général de l’Unesco.

 

En lisant ta lettre, je n’ai pas eu le moindre doute que la déception, le regret de la faute commise ainsi que l’amertume en eussent été les motivations; homme patient jusqu’à l’obstination, je suis fier d’avoir réagi avant que tu aies décidé de percer ce que le «masque» dissimule. D’autres preuves en ont été récemment fournies quand l’Abbé André S. Quenum, un de mes nombreux neveux, écrivait dans La Croix du Bénin:

 

Funérailles festives d’un scandale au Bénin

 

[… En ces temps-là, nos anciens connaissaient aussi la corruption. Lorsque, gérants de comptoirs pour des propriétaires blancs, ils étaient convaincus d’«un manquant», comme on le disait, lors d’un inventaire, on chuchotait une indignation écœurée: «é du agban»! Quelle honte personnelle et familiale ! Quel scandale social! 

«Mais aujourd’hui, un ministre est indexé dans le scandale politico-financier de la Cen-Sad, il est «mis à l’écart», puis peu après, réhabilité. Alors, il orchestre, dans son Avrankou natal, une pompeuse «cérémonie de remerciement» à la gloire du président de la République. Dans ce dossier où la plupart des noms impliqués sont réhabilités professionnellement ou de toute autre manière, supposez effectivement que le ministre soit «lavé de tout soupçon», en l’absence même de la justice. Mais alors, pour qu’il soit aussi à l’aise, pour fêter à la barbe de toute la nation, où donc est la responsabilité morale de ce ministre-pasteur dans le tort de 70 milliards causé contre une nation affaiblie financièrement, sous sa garde? Il ne faut pas oublier que le président qu’il remercie aujourd’hui s’est dit «responsable» mais non-coupable de ce tort.

 

«

On dirait des funérailles festives pour fermer la page d’un scandale emblématique. […A son tour de parler, le médiateur de la République utilise une métaphore qui en dit tristement long: «On demande à une mère lequel des enfants elle aime le plus. Réponse: le plus petit jusqu’à ce qu’il grandisse, le malade jusqu’à ce qu’il guérisse, l’absent jusqu’à ce qu’il revienne»! Qui ici est mère ou père pour qui? Qui infantilise-t-on? Ce dernier épisode dans le dossier Cen-Sad est moralement plus grave que le tort des milliards. Et pourtant si nous ne prenons garde, le scandale sera ainsi enterré. Glorieusement.»

 

Abbé André S. Quenum

*

En cautionnant la corruption et autres agissements répréhensibles d’«Excellence, Monsieur le Président de la République», Albert Tévoédjrè fournit la preuve du processus grâce auquel, même au pied de la tombe, tout thuriféraire est assuré d’être récompensé.

 

Je ne vais pas recopier mes griffonnages et commentaires afférents à ta lettre de ministre échaudé; la fin, ambiguë, préoccupante, laisse supposer que tu espères à l’éventuel retour au pouvoir de celui que tu as quitté. Mon cher Roger, après avoir écrit:

«un aveu d’échec et d’impuissance. Il n’y a pas de vision, nous ne savons pas où vous nous menez. Le changement, sous votre égide, a échoué. Nous devons recommencer à zéro»,

que sous-entends-tu par:

« Etes-vous capable de reprendre la main, capable de redevenir l’homme de la situation? Vous seul pouvez répondre à la question.»?

 

Et aussi: « Pour ce qui nous concerne, ‘‘le messie viendra le lendemain de sa venue.’’»?

Si tu persistes à voir en Monsieur Thomas Boni Yayi ‘‘le messie (qui)viendra le lendemain de sa venue.’’,c’est que tu ne t’es pas réellement séparé de celui que as semblé renier. J’en conviens, Roger: Béninois «nous n’avons pas le droit de renoncer à l’espoir, espoir tenace, actif et proactif, exigé par l’urgence de la tâche de redressement de notre pays.»

 

Mais voici: n’étant pas du tissu d’un idolâtre, j’en appelle à tous les artistes, intellectuels, universitaires et créateurs du pays et déclare: soucieux du maintien de ses assises, par médiocrité et lâcheté, quiconque s’avère incapable de reconnaître la vérité quand il est en face des constats, travaille à l’irrémédiable déchéance du Bénin. Je n’ai qu’une parole et je précise: l’écho de ma mort parviendra tard au pays natal; nul ne verra mes phanères dans ce pays où l’idolâtrie et l’appât du gain demeureront les moteur de la ruine du peuple.

 

À Rome, Pâques 1959, accueillant le 2ème Congrès des Écrivains et Artistes noirs.qui avait pour titre : Unité et Responsabilité de la Culture négro-africaine, l’extraordinaire Pape Jean XXIII, se référant à la ville de Rome, déclara:

« C’est dans son cadre prestigieux que vous vous appliquez à étudier l’unité et les responsabilités d’une culture négro-africaine. Appartenant vous-mêmes à diverses nations de l’ancien et du nouveau monde, différents par la langue et par le style de vos œuvres, vous vous affirmez liés par une unité, qui est celle de votre race d’origine, et par de communes responsabilités envers votre patrimoine ancestral.

« L’Église apprécie, respecte et encourage un semblable travail d’investigation et de réflexion, qui a pour objet de dégager les richesses originales d’une culture propre, d’en retrouver les points d’appui dans l’histoire, d’en manifester les harmonies profondes à travers des expressions variées, d’en faire bénéficier enfin, par des œuvres nouvelles, les pays respectifs auxquels vous appartenez.

« Partout en effet où d’authentiques valeurs de l’art et de la pensée sont susceptibles d’enrichir la famille humaine, l’Église est prête à favoriser ce travail de l’esprit.[…] On ne peut donc que suivre avec intérêt, messieurs, vos efforts pour rechercher les bases d’une communauté culturelle d’inspiration africaine, en formant le vœu qu’elle repose sur de justes critères de vérité et d’action! »

Voilà l’intelligence en action dans les profondeurs du Saint Père plus habilité que quiconque à se référer «au messie» à «l’ointe».

 

Quand donc, au Bénin, l’unanimité des couches sociales se décidera-t-elle à tuer en elle le vieil homme, à se débarrasser du faux oint qui, la plaçant sous son joug , la conduit vers la mort?

 

Olympe BHÊLY-QUENUM.



 

 

Tag(s) : #EDITORIAL
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