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Lignes Ennemies
par Souleymane Jules Diop

 

  

 

 


 

Le vent de révolte


 

« Du sublime au ridicule,
il n’y a qu’un pas »


Napoléon 1er

 

S’il nous faut nommer la situation insupportable que vivent les Sénégalais, elle se résume en un seul mot dans la bouche du président de l’Assemblée nationale, TRAGEDIE. Un mot n’a jamais résonné avec autant de justesse dans les oreilles des populations que celui qui a fait écho dans les murs du Parlement. Le fait tragique ne vient pas de la nature du désastre lui-même. C’est le sentiment d’impuissance qui habite les Sénégalais, avec l’impression que quoi qu’ils fassent, ils vont devoir encore supporter les mensonges de ce régime. Avec, la moiteur de la nuit, les aliments qui pourrissent dans les frigos, la disparition des petits métiers qui ont fait j usqu’ici le charme de nos quartiers populaires et apporté du petit revenu à nos familles. Le poisson et la viande ne se conservent plus, alors que le lait et le beurre ont disparu. On n’entend plus le ronronnement des machines à coudre qu’accompagnait le crissement des pédales. Les petits commerces ferment les uns après les autres, jetant dans les rues des milliers de chômeurs et de mendiants. Tous les jours, s’offre aux yeux du monde entier, le spectacle de femmes qui reviennent du marché le seau vide, de jeunes qui prennent le chemin des océans pour échapper à la misère, de pères de familles qui rasent les murs après une journée sans travail. Nous ajouterons bientôt à ce lot de misère les hôpitaux sans médicaments, les tonnes de déchets qui envahissent les rues de la capitale.

 
On n’avait besoin d’aucune science particulière pour prédire une telle catastrophe. Elle était inscrite dans le temps. Imaginez les centaines de milliards investis dans le cadre de l’Anoci pour quelques kilomètres d’asphalte, les dizaines de milliards investis dans la plus grande opacité pour la réfection de La Pointe de Sangomar, les 23 milliards investis dans l’achat d’un terrain à New York. Autant d’investissements injustifiés, de pratiques frauduleuses, alors que nous avions besoin de cet argent dans les domaines de la Santé, de l’Education et de l’Energie. Des milliers de milliards de francs ont été mobilisés ces dix dernières années. Mais elles n’ont servi qu’à quelques coquets montages et à des détournements massifs. Les salaires des ministres ont été doublés, les salaires des directeurs d’agence et des magistrats triplés. Dès qu’un député terminait une législature, il était sûr de partir avec les clés de sa voiture de fonction. Encore aujourd’hui, aucun mouvement de soutien politique ne sort du palais de la République sans recevoir, sous enveloppe, des dizaines de millions de francs. Nous feignions de l’ignorer, mais nous savions tous que ce train de vie dispendieux et irréfléchi mènerait à la catastrophe.


Quand nous avertissions les Sénégalais des malheurs qui les guettaient, nous passions pour des oiseaux de mauvais augure et des rancuniers, devant « les réalisations visibles » du président de la République. Le chef de l’Etat pouvait encore compter sur le soutien de ses militants fanatisés, prêts à sauter sur tous ceux qui osaient le critiquer, comme des pitbulls enragés. J’ai été accusé de ne m’en prendre qu’à lui et à sa famille. Mais qui d’autre devrions-nous interpeller dans la gestion catastrophique de ce pays, sinon Abdoulaye Wade ? Nous voilà maintenant abandonnés seuls à notre misère. Il était mardi dans une suite royale à Chicago, avec son fils Karim arrivé en Jet privé. Il était mercredi à Washington à recevoir les femmes, toujours absorbé par la contemplation de son moi.

 
Les coupures d’électricité ne sont que la partie la plus insupportable d’un drame qui s’est généralisé. 13 millions de sénégalais doivent maintenant se soumettre au bon plaisir d’un seul individu, Samuel Sarr. Un homme né de l’autre côté du fleuve Gambie, à Banjul, que personne ne peut prétendre connaître. Il nous était apparu comme le conseiller financier d’Abdoulaye Wade, quand l’affaire Me Babacar Sèye a éclaté. Son CV, présenté par les services de communication de la présidence de la République au moment de sa nomination au gouvernement, se résumait à ceci : « Samuel Amete Sarr Le ministre de l’Energie qui est né en 1965, a obtenu un Mba en Finance Internationale à l’Université du Quebec à Hull Canada. Il a occupé les fonctions d’analyste financier à la Banque Worms – Paris, de directeur Général de la Société Gampower en Gambie et de directeur Général de la SENELEC. » N’importe quel agent de la présidence de la République aurait pu vérifier un tel mensonge auprès des universités canadiennes. L’auteur de ce bref résumé oublie sciemment de nous dire où est né Amet Sarr. Et qu’il ne peut pas avoir dirigé la société d’électricité gambienne, l’avoir abandonné en l’état pour devenir ministre de l’Energie au Sénégal. Pas les journalistes, qui semblent, pour certains, subjugués par le regard livide de cet homme, toujours retiré derrière ses petits binocles. Il arrive que les journalistes présentent, dans deux journaux différents, le même article, à la virgule près, vantant les mérites de Samuel Sarr.


Ce qui rend cette situation encore intenable, ce sont les mensonges que nous entendons sur la gestion de la Senelec. Samuel Sarr a plusieurs fois annoncé la fin des délestages, depuis huit ans que dure ce drame. Se présenter devant la représentation nationale pour justifier les coupures par du mauvais fuel est une ignominie. Comme si les délestages n’avaient commencé qu’avec l’arrivée de ce prétendu mauvais fuel. Point besoin d’être un devin, pour savoir qu’à la mi-juillet, nous allons encore découvrir qu’il nous a menti. Il se pourrait même que tout ceci soit le résultat profitable de manœuvres démagogiques pour offrir un marché d’un milliard de francs. Nous laissons trop agir un autocrate qui a perdu l’esprit. Il laisse faire tous ces voyous pour le seul plaisir de voir dans le fond de leur pupille, la preuve qu’ils lui doivent tout.


Mais le lien avec le pays, lui, est déjà rompu. Abdoulaye Wade a toujours pensé qu’il pouvait agir impunément. Quand, il y a trois ans, des journalistes français sont allés le trouver au palais de la République pour lui parler des coupures d’électricité pénibles pour les ménages, sa réponse avait été que les Sénégalais ne seraient pas gênés de retourner à l’âge de la bougie. Et que l’aimant à l’excès, ils se garderaient de descendre dans la rue pour protester. C’est l’illusion qu’entretiennent tous les despotes, que leurs peuples leur sont naturellement soumis. Quand les peuples commencent à se révolter, ils les répriment avec le sentiment illusoire que les forces de police leur sont naturellement acquises et qu’elles pourront les protéger. Il est bien triste qu’Abdoulaye Wade se laisse emporter par de telles illusions.

SJD

 


 
Tag(s) : #EDITORIAL
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