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Article paru dans le quotidien béninois l'Autre Fraternité

Révision de la Constitution béninoise : POURQUOI CERTAINS BENINOIS SE FONT-ILS PEUR ?

 

 

20 avr, 2012 | Par | Rubrique : A la une, Politique  

 

 

La Constitution de la République du Bénin, adoptée par référendum du 02 décembre 1990, fonde le Renouveau Démocratique. Cette Constitution est une Constitution de sortie de crise qui fait écho à la Conférence Nationale des Forces Vives tenue à Cotonou du 19 au 28 février 1990. Elle fut d’abord l’œuvre d’un pouvoir législatif dérivé, le Haut Conseil de la République (H.C.R.), puis celle d’une Commission constitutionnelle chargée de la rédaction d’une Constitution nouvelle pour le Bénin. Ainsi, ce seront quinze personnes (quatorze hommes et une femme) qui ont eu la mission de rédiger la Constitution du Bénin. Des quinze membres la Commission, on compte treize juristes spécialisés dont un mandaté par l’Association des Juristes Africains (A.J.A.).

 

 

L’avant-projet de Constitution déposé par le Président de la Commission, le Professeur Maurice Ahanhanzo Glélé, prévoyait la mise en place d’un régime de type présidentiel qui accorde de larges pouvoirs au Chef de l’Etat, équilibrés par un savant système de checks and balances (Assemblée Nationale, Cour constitutionnelle,

Cour suprême, Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, Conseil Economique et Social). A l’époque, seules deux considérations politiques alimenteront les débats : la limitation de l’âge des candidats (entre 40 et 70 ans, ce qui élimine de facto tous les anciens Présidents de la République [le Général Mathieu Kérékou, Président en exercice n’étant pas concerné par la disposition]) et la nature présidentielle ou semi-présidentielle du régime. C’est pourtant l’avant-projet de la Commission Glèlè qui sera voté par référendum le 02 décembre 1990 à une écrasante majorité de 96,9 % des suffrages exprimés.

 

 

C’est cette Constitution, toujours en vigueur et jamais modifiée, qui trouble le sommeil de certains béninois depuis quelques mois. Depuis que le Président de la République, le Dr Boni Yayi, a décidé d’y apporter quelques modifications conformément à son programme de campagne lors des dernières élections présidentielles qui a vu l’écrasante majorité des béninois lui renouveler son mandat et ce, dès le premier tour.

 

Il convient de faire l’état des lieux de cette Constitution, vingt-deux ans après, avant de faire l’inventaire des innovations qu’apporte le projet de révision constitutionnelle du Président Boni Yayi.

 

 

ETAT DES LIEUX DE LA CONSTITUTION BENINOISE DU 02 DECEMBRE 1990

 

 

Dans tout pays démocratique, la Constitution est au sommet de la hiérarchie des normes. Selon Hans Kelsen (1881 – 1973), toute norme juridique reçoit sa validité de sa conformité à une norme supérieure, formant ainsi un ordre hiérarchisé. Au Bénin, personne ne conteste cette supériorité de la Constitution à toute autre norme juridique (loi, décrets, circulaires). Au Bénin, c’est la Cour constitutionnelle (un organe politico-juridictionnel) qui est chargée de veiller à la conformité de tout acte législatif ou règlementaire à la Constitution. Ces décisions ne sont susceptibles d’aucun recours.

 

 

- La Cour constitutionnelle béninoise est un organe politique de par la nomination de ses membres

 

 

Selon l’article 115 alinéa 1er de la Constitution, la Cour constitutionnelle est composée de sept membres dont quatre sont nommés par le Bureau de l’Assemblée Nationale et trois par le Président de la République pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Autant dire que si le Président de la République dispose d’une majorité confortable à l’Assemblée Nationale, la Cour devient une Institution monocolore. Ce schéma n’est pas spécifique au Bénin en ce qui concerne le caractère politique de la Cour.

 

En France par exemple, tous les anciens Présidents de la République sont membres de droit, sans limitation de durée de mandat, du Conseil constitutionnel. Pourtant, il ne viendra à l’esprit de personne de traiter le Conseil constitutionnel d’une Institution partisane. Il ne faut pas perdre de vue que c’est le Président de la République qui nomme aux plus hautes fonctions administratives.

 

 

- La Cour constitutionnelle béninoise est un organe juridictionnel de par ses attributions

 

 

Parmi ses nombreuses attributions, on note dans l’article 117 :

 

« La Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur la constitutionnalité des lois organiques et des lois en général avant leur promulgation. Elle est juge de la régularité et de la contestation des élections présidentielles et législatives, etc.).

 

Par loi organique, il faut comprendre une loi placée en-dessous de la Constitution mais au-dessus des lois ordinaires. C’est une loi qui vient préciser ou compléter les dispositions de la Constitution. Cependant, elle est pour la Constitution ce qu’un Décret d’application est pour une loi. Contrairement à une idée répandue, une loi organique est prévue par la Constitution. Les hommes politiques béninois qui invitent le Président Boni Yayi à réviser la Constitution par des lois organiques se comportent comme des profanes. Ils méconnaissent la nature de cette norme juridique.

 

Innovation majeure, La Cour constitutionnelle peut être directement saisie par tout citoyen béninois sans « aucun filtre ».

 

De par la moralité et la notoriété de ses membres, il ne viendra à l’esprit de personne de traiter cette Haute juridiction de partisan. En effet, ses décisions s’imposent aux plus hautes autorités de l’Etat.

 

Ce n’est pas parce qu’il y a eu, récemment, en Côte d’Ivoire et au Sénégal, quelques dérives des institutions similaires qu’il faut diaboliser les sages de la Cour constitutionnelle du Bénin. En cela, comparaison n’est pas forcément raison.

 

 

LES INNOVATIONS QU’APPORTE LA REVISION CONSTITUTIONNELLE VOULUE PAR LE PRESIDENT BONI YAYI

 

 

La Constitution du Bénin a bien fait les choses puisque, dans le titre XI, elle a prévu les modalités de sa révision. C’est ainsi que l’initiative de la révision appartient au Président de la République et aux députés.

 

Deux voies sont ouvertes à tout projet ou proposition de révision :

 

 

- La voie parlementaire sans référendum

 

 

Il faut alors que le projet soit voté par la majorité des quatre cinquièmes des députés. L’Assemblée nationale étant composée de 83 députés, le vote favorable de 67 députés s’avère impératif. Pour mémoire, le Président Boni Yayi dispose aujourd’hui d’une majorité de 63 députés au parlement béninois. A ce jour, trois des 63 députés se sont ouvertement prononcés contre tout projet de révision.

 

 

- La voie référendaire

 

Outre le vote des trois quarts des députés et en l’absence de la majorité des quatre cinquièmes, pour être révisée, la voie référendaire est obligatoire.

Pour tous ceux qui sont pour l’immutabilité de la Constitution béninoise, qu’ils soient juristes ou non, une question de bon sens indique qu’aucune œuvre humaine n’est parfaite. C’est ainsi que la Constitution française de 1958 a connu 24 révisions constitutionnelles depuis son adoption. Seules deux des 24 ont emprunté la voie référendaire (Loi constitutionnelle du 04 juin 1960 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel et Loi du 02 octobre 2000 portant réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans).

Avant son élection à la présidence de la République française en 2007, Nicolas Sarkozy avait promis de réformer la France. Ce qu’il fut par une révision constitutionnelle de grande ampleur dans la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Selon les spécialistes, 40% des dispositions de la Constitution de 1958 ont été réécrites à cette occasion. L’une des innovations majeures de cette loi fut l’introduction en droit français de la Question Prioritaire de Constitutionnalité. Il s’agit ni plus ni moins de l’introduction dans l’arène judiciaire français d’un contrôle à postériori de la validité d’une loi. Le citoyen ordinaire devient ainsi le censeur du législateur. Aucun parlementaire français n’a crié à une réduction de ses prérogatives.

Pourquoi certains Béninois agitent alors le chiffon rouge ?

 

Le Président Boni Yayi a dit qu’il effectuait son dernier mandat. Tout le peuple béninois et la communauté internationale en ont été témoins. De surcroit, malgré son ampleur, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 n’a pas fait basculer la France dans une sixième République. Faisons donc confiance au Président Boni Yayi.

Qui peut être fondamentalement contre ces cinq propositions de révision constitutionnelle du Dr Boni Yayi ?

 

- Création de la Cour des comptes

Il s’agit d’une exigence communautaire de la CEDEAO pour fiabiliser les comptes publics

 

- Constitutionnalisation de la CENA

Il s’agit de rendre pérenne cette Institution chargée d’organiser les élections au Bénin en la soustraignant aux contingences politiques

 

- Constitutionnalisation des désistements lors des scrutins présidentiels

Il s’agit d’inscrire dans le marbre et figer définitivement les conditions de désistement pour éviter un vide juridique au sommet de l’Etat. En effet, par deux fois, lors des scrutins présidentiels de 1996 et 2001, le Bénin a failli vendanger sa démocratie à cause de l’égo de certains candidats à la plus haute fonction de l’Etat.

 

- Le Médiateur de la République

L’exécutif voulait en faire un organe administratif régi par un Décret. Le législateur a décidé de le transformer en une Institution de la République. Le Président Yayi a pris acte et a décidé de constitutionnaliser la seule Institution de la République non reconnue par la Constitution. Il s’agit d’une mise aux normes.

 

- La Haute Cour de Justice

Depuis sa création, elle n’a jugé personne. En effet, les règles de son fonctionnement se sont avérées inadaptées aux délinquants en col blanc. Si on veut lutter véritablement contre la corruption, la loi ne suffit pas à cause de la qualité de certains fossoyeurs de l’économie nationale. Les modifications constitutionnelles projetées concernent, entre autres, deux aspects importants au regard du droit pénal et de la procédure pénale. Primo, il s’agit de rendre imprescriptibles les crimes économiques. Secundo, de rendre inéligibles les députés reconnus coupables de ces mêmes crimes. Osons le dire, ces dispositions visent les députés indélicats qui vont s’abriter sous l’immunité parlementaire. Elle s’analyse comme la jurisprudence dite Jacques Chirac.

CONCLUSION

 

Le Président Boni Yayi a été élu sur son projet de société qui vise à reformer le Bénin. Nul ne saurait donc l’empêcher d’appliquer son programme, sous réserves de sa conformité à la Constitution. Tout le tohu-bohu actuel se base sur les débats en Commission au parlement. En plénière, il appartiendra aux membres du gouvernement de répondre à toutes les questions sur le projet de révision. Celui-ci ne doit pas être noyé par certains députés qui ont certainement des choses à se reprocher. Le Président Yayi étant au début de son second et dernier mandat, c’est le moment idoine pour toiletter la Constitution du 02 décembre 1990 qui résulte des débuts difficiles pour notre fragile démocratie. C’est donc maintenant ou jamais !!!

 

- Si le Président François Mitterrand n’avait pas osé, la peine de mort n’aurait pas été abolie en France. Elle est désormais inscrite dans la Constitution française.

-

- Si le Président Valéry Giscard d’Estaing n’avait pas osé, l’Interruption Volontaire de la Grossesse (IVG) n’existerait pas en France.

 

Le Président Boni Yayi doit oser pour faire aboutir son projet de réforme constitutionnelle.

 

Non à la dictature de l’opinion manipulée.

Benoît ILLASSA

 

Source: L'Autre Fraternité

Tag(s) : #Politique Béninoise
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