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ENTRETIEN

ECONOMIE : « Si l’Afrique ne crée pas massivement des emplois décents, elle deviendra une poudrière »

Propos recueillis par Gilles Naudy

LE MONDE Le 29.09.2015

Mario Pezzini est directeur du centre de développement économique de l’OCDE et organisateur du 15e Forum sur l’Afrique de Berlin depuis cinq ans. Il a enseigné l’économie industrielle à l’Ecole des mines et a été membre du gouvernement régional d’Emilie Romagne.

Les Africains se sont déjà dotés d’un agenda 2063, mais semblent peiner à penser le court et le moyen terme. N’est-ce pas un handicap ?

L’Afrique est consciente de la nécessité d’une stratégie de moyen terme. C’est déjà le cas en Asie, de certains Etats qui sont familiers avec l’idée de planification, comme le Japon, le Vietnam ou la Chine. Des pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire et le Ghana ont déjà commencé déjà à élaborer des visions de développement à moyen terme. Tous les systèmes de coopération et l’opérationnel des politiques économiques se fondent sur des informations statistiques. Mais il manque à l’Afrique des outils statistiques plus fins et fiables.

Cette transition vers un modèle de développement durable et inclusif en Afrique, comment la percevez-vous, au-delà des déclarations d’intention ?

Le grand défi africain est démographique, puisque sa population va doubler d’ici 2050. Si l’Afrique ne trouve pas la possibilité de créer chez elle massivement des emplois décents, le continent sera une poudrière. C’est une urgence ! Les gouvernements et les institutions africaines en sont très conscients. Pour répondre à ce défi, il faut bien sûr accélérer le développement des industries de transformation. Mais cela ne suffit pas. Il faut diversifier les économies et limiter l’emprise des rentes sur elles. Prenez l’exemple de la Tunisie qui a connu dix années de croissance et qui s’est soldée par une révolution au bout. La croissance doit être équitable, soutenable et ouverte à l’entreprenariat international et local. Auparavant, nous pensions qu’il suffisait de déréglementer et que le reste suivrait. Or, le reste ne suit pas. Il n’y a pas de recettes toutes faites, mais il y a une claire nécessité de stratégie de développement industriel. L’Afrique doit inventer sa trajectoire propre. Les Africains ont commencé à exprimer une vision. Il faut maintenant la mettre en œuvre.

Le forum que vous avez organisé évoque, au sujet de cette transition, des opportunités d’affaires nouvelles. Quelles sont-elles selon vous ?

On souligne souvent que l’Afrique attire déjà les investisseurs étrangers et qu’elle pourrait faire davantage. Les opportunités d’affaires concernent les Africains d’abord. Cela doit venir d’eux. Par exemple, il faut faire émerger des entreprises du secteur informel. Il serait également souhaitable que l’agriculture serve davantage les marchés locaux et régionaux et que se développent sur place des industries agroalimentaires. C’est fondamental.

Les investisseurs étrangers en Afrique contribuent-ils assez à cette transition ?

En Afrique, on oscille entre le drame et l’euphorie, entre le juste et l’injuste, mais il y a une énergie, un désir d’aller vers plus de développement et d’équité. Mais cela n’est pas suffisant. Je pense, par exemple, que les investissements externes devraient assurer davantage de transferts de savoirs, de technologies. Des changements pourraient se profiler. Certains signaux envoyés par la Chine témoignent d’ailleurs du souci d’améliorer leurs relations avec leurs partenaires africains. Elle n’est pas la seule. Il y a maintenant des investisseurs indiens qui arrivent avec des projets dans le secteur de l’informatique, des Brésiliens dans l’agroalimentaire, des Turcs et des Coréens. Même si ces investissements ne se font pas toujours dans les conditions les plus favorables pour les populations, il est très difficile d’en faire le procès. Car ces investisseurs étrangers sont aujourd’hui la première source de financement de l’Afrique, devant les transferts de la diaspora africaine et très loin devant l’aide au développement.

Que manque-t-il encore aux pays africains pour réussir cette transition ?

Il leur manque la capacité à lever des impôts. Nombre de pays du continent n’arrivent à collecter que des sommes de l’ordre de 10 à 15 % de leur PIB. Ce n’est même pas suffisant pour assurer les fonctions régaliennes. A titre de comparaison, le taux de prélèvement fiscal des pays de l’OCDE est en moyenne de 35 % du PIB. Il ne suffira pas aux Etats africains d’arriver à taxer les ressortissants. Ils ont aussi beaucoup à faire pour limiter les transferts de fonds vers les paradis fiscaux et l’optimisation fiscale des grandes entreprises multinationales.

Source : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/09/29/si-l-afrique-ne-cree-pas-massivement-des-emplois-decents-elle-deviendra-une-poudriere_4776709_3212.html

ECONOMIE : « Si l’Afrique ne crée pas massivement des emplois décents, elle deviendra une poudrière »
Tag(s) : #Politique Africaine
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