23/01/2016
Le génie intellectuel est-il capable d’un quelconque miracle, face aux besoins d’une nation africaine jeune et dépourvue ?
François Mazet : Au Bénin, la candidature de Lionel Zinsou est au centre de la campagne pour la présidentielle de février, au centre de tout, y compris des pires controverses. L’ancien président Nicéphore Soglo, à propos du soutien de son parti à cette candidature, concédé sans son accord par son fils, parle de « crime de haute trahison contre l’intérêt supérieur du Bénin ». Alors, pourquoi tant de haine ?, est-on tenté de demander.
Jean-Baptiste Placca : Parce que Lionel Zinsou semble être, à tort ou à raison, le grand favori de cette présidentielle. Mais cela pourrait n’être bon, ni pour lui ni pour le Bénin. Il recueille des ralliements aussi surprenants et mystérieux que ceux d’Adrien Houngbédji ou de Léhady Soglo. Que leur a-t-on promis ? De quoi les a-t-on menacés ? Comment expliquer que tous ces adversaires résolus du président Yayi Boni se rallient subitement à la candidature de ce Béninois de la diaspora, ramené et imposé, de fraîche date, par le même Thomas Boni Yayi ?
En écoutant les réponses que l’intéressé lui-même fait invariablement aux coups violents que lui portent certains ténors de la vie politique nationale, l’on a l’impression qu’il est persuadé qu’une partie de la classe politique lui voue, sans raison, une haine viscérale.
N’est-ce pas la réalité, après tout ?
Peut-être. Mais le sujet d’élite qu’il est devrait comprendre aisément la gêne évidente que suscite le mécanisme par lequel il se retrouve, du jour au lendemain, Premier ministre, puis, tout aussi subitement, en position de prendre, presque trop facilement, la magistrature suprême dans un pays que beaucoup lui reprochent de n’avoir jamais fréquenté qu’en vacancier.
Il aura, dans ce cas, cinq années, peut-être dix, pour mieux connaître ses compatriotes de là-bas.
En dehors de cette impression de vouloir faire une prise facile, l’on ne comprend pas le besoin, pour un homme comme lui, de vouloir, à tout prix, diriger ce pays, gouverner ce peuple. Et puis, c’est un bien mauvais service rendu à la démocratie que de donner ce sentiment qu’en quelques manipulations savamment orchestrées, l’on peut, en un rien de temps, s’emparer de la magistrature suprême, dans une jeune nation, dans une démocratie qui se cherche. Une OPA sur tout un Etat, aussi facilement, aussi vite, c’est inquiétant pour la démocratie, inquiétant pour l’Afrique.
A ce point ?
C’est ce qui explique la virulence des propos de Nicéphore Soglo. Ce qu’il refuse, c’est ce qu’il qualifie de « tourbillon où l’argent et les intérêts personnels semblent tout emporter dans leurs flots, y compris les fondements éthiques de la société ».
Et pourtant, intrinsèquement, Lionel Zinsou, est quand même un atout pour son pays, non ?
Absolument. Ce qui pose problème, c’est la façon dont on semble lui avoir balisé le chemin. Nicéphore Soglo dénonce « un usage illégal des institutions, des moyens et biens de l’Etat au bénéfice d’un candidat qu’ils disent pseudo-officiel ».
Oublions les ralliements résignés ou opportunistes, pour ne regarder que l’étrangeté du tableau. Dans le contexte français, où Lionel Zinsou plonge, après tout, les racines de ce que lui-même a de plus convaincant à faire valoir, comment qualifierait-on ce qu’il est sur le point de réussir au Bénin ? Une OPA ? Un parachutage scandaleux ?
Vaudrait-il mieux, pour lui, d’abandonner la partie ?
Trop tard. A présent, il doit y aller. Mais, s’il y va et qu’il perd, ce sera, pour lui, une leçon de modestie, dans une vie de premier de la classe.
Et s’il gagne ?
Alors, l’Histoire l’attendra au bout de l’aventure, pour apprécier si être premier de la classe, au pays des Blancs, a un quelconque sens, au regard des défis qui sont ceux des peuples africains. Et l’on attendra la fin du premier mandat pour apprécier ce que ses immenses connaissances valent, au pied du sous-développement, qui est tout de même la réalité du Bénin. Et si sa présidence n’est point couronnée de succès, de bien-être pour le peuple, alors, il sera entendu, une fois pour toutes, que les prestations d’éloquence et d’érudition n’ont rien à voir avec la conduite d’une nation dépourvue de tout, et qui rêve de miracles.
Si, après son premier mandat et peut-être en plus un second, le Bénin devient une terre de prospérité et un Etat de droit, alors, ce pays se sera, une nouvelle fois, distingué comme un laboratoire des expériences qui méritent d’être osées, dans la quête sans fin de l’excellence, sur ce continent.
En d’autres termes, il n’a pas le droit d’être comme les autres, enfin, un chef d’Etat moyen ?...
A quoi bon tout ce parachutage, ces arrangements auxquels les Béninois ne comprennent rien, si c’est juste pour que lui devienne chef d’Etat ? S’il n’a pas des résultats éblouissants pour ce peuple, ce serait une véritable imposture, après-coup.
Lionel Zinsou est féroce, vis-à-vis de la Banque mondiale, qu’il accuse de se tromper souvent, de mettre dix ans à étudier les projets, sans que l’on sache si elle finira par les financer… Plus généralement vis-à-vis des institutions multilatérales de financement du développement, il n’est pas tendre, et leur recommande de se cantonner à tout ce qui n’est pas rentable, pour laisser la place à la finance. Vis-à-vis de la colonisation britannique, portugaise et française, notamment, il a aussi la dent dure. D’ailleurs, il la juge « rudimentaire, archaïque et simplificatrice ».