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  Photo : ''L'Afrique traverse une période particulièrement prometteuse où plusieurs facteurs se conjuguent pour renforcer les perspectives économiques.'' - Crédit : DR
 

Ancien ministre des Finances du Bénin, Abdoulaye Bio-Tchané occupe le poste de directeur du département Afrique du FMI depuis mars 2002. Il est titulaire de mastères en économie de l'université de Dijon et en études bancaires du Centre ouest-africain de formation et d'études bancaires de Dakar.

Il a commencé sa carrière comme économiste à la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), où il a gravi les échelons pour devenir Directeur du Département des études économiques et de la monnaie, poste qu'il a occupé jusqu'à sa nomination à la tête du ministère des Finances du Bénin en 1998. Au début des années 90, Bio-Tchané avait passé deux ans au département Afrique du FMI, dans le cadre d'un détachement de la BCEAO. Le Bulletin du FMI s'est entretenu avec lui des perspectives de l'Afrique subsaharienne pour 2007. De la même manière aussi, les réformes dans lesquelles est engagé présentement le FMI ont été parmi les principaux sujets abordés.

Le Potentiel : Comment se porte l'Afrique?

Abdoulaye Bio-Tchané
: L'Afrique traverse une période particulièrement prometteuse où plusieurs facteurs se conjuguent pour renforcer les perspectives économiques. Ces dernières années la croissance s'est accélérée pour se situer dans la fourchette des 5-6 % et l'inflation s'est repliée aux alentours des 6-8 %. Cette bonne orientation s'explique par une conjoncture extérieure favorable - comme la forte demande de produits à l'exportation -, la bonne tenue des investissements et les solides gains de productivité.
Mais cette embellie est surtout le fruit de meilleures politiques économiques. La prudence des décisions macroéconomiques et l'intensification du travail de réforme dans de nombreux pays de la région sont à la base de l'essor de ces dernières années. Il s'agit maintenant d'entretenir et de généraliser cette croissance. J'espère que nous sommes en présence d'un cercle vertueux de réforme, stabilisation et croissance, qui imprimera un élan décisif vers les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).

Le Potentiel : Concrètement, que font les pays d'Afrique subsaharienne?

Abdoulaye Bio-Tchané
: Premièrement, les pays producteurs de pétrole ont épargné une part substantielle de leurs recettes supplémentaires, et cette prudence leur sera salutaire. Elle leur permettra d'accroître judicieusement les dépenses prioritaires - comme dans les secteurs de la santé et de l'éducation -, d'investir davantage dans l'infrastructure à mesure que se renforcera leur capacité d'absorption, et de neutraliser autant que faire se peut les risques macroéconomiques liés à une plus forte entrée de recettes. Deuxièmement, le récent boom des matières premières et l'essor de l'économie asiatique ont multiplié les débouchés à l'exportation de l'Afrique subsaharienne. Autrement dit, la conjoncture est sans doute opportune pour inverser la diminution tendancielle de la part de la région dans le commerce mondial. Les échanges avec l'Asie, et notamment avec la Chine, connaissent une expansion spectaculaire, même si les exportations vers les pays de l'Union européenne et vers les États-Unis sont 2½ fois supérieures.
Enfin, l'amélioration des résultats macroéconomiques et l'allégement de la dette ont modifié les perspectives à moyen terme de nombreux pays. Les marchés obligataires nationaux ont gagné en vigueur, et les investisseurs étrangers de portefeuille s'intéressent de très près à plusieurs pays. Les gouvernements doivent toutefois rester vigilants et s'assurer que tout endettement à des conditions non concessionnelles se maintienne dans des limites viables et serve exclusivement à des fins productives.

Le Potentiel : Pourquoi alors la région risque-t-elle de ne pas atteindre les OMD?

Abdoulaye Bio-Tchané
: L'Afrique a pris du retard par rapport à la plupart des autres régions, mais elle avance vers les OMD. Certes, les taux de croissance actuels ne suffiront pas à les atteindre en 2015. Pour réduire la pauvreté de moitié il faudra un, voire deux points de croissance de plus que jusqu'à présent. Par ailleurs, il reste des obstacles - ne serait-ce que structurels - à surmonter pour atteindre les OMD non liés aux revenus.
Cela dit, même s'il est peu probable que la plupart des pays d'Afrique subsaharienne atteignent les OMD, il en est certains qui avancent résolument; le Mozambique est un bon exemple. Malgré les inondations et le renchérissement du pétrole, le Mozambique a enregistré un taux de croissance de 8,5 % l'an dernier. Entre 1997 et 2003, grâce à des politiques macroéconomiques prudentes et à des réformes énergiques, le Mozambique a réussi à ramener la pauvreté de 69 à 54 %.
C'est le seul pays d'Afrique qui peut s'enorgueillir d'avoir réduit la pauvreté rurale encore plus que la pauvreté urbaine. Le Mozambique a doublé le nombre d'enfants scolarisés dans le primaire, réduit la mortalité maternelle et infantile et commencé à fournir des traitements antirétroviraux aux patients séropositifs. Bref, il a démontré qu'avec suffisamment de volonté politique et économique on peut aller très loin.

Le Potentiel : Qu'en est-il des promesses d'une aide plus généreuse pour l'Afrique?

Abdoulaye Bio-Tchané
: Comme vous le savez, au sommet de Gleneagles en juillet 2005, le G-7 s'est engagé à accroître de 50 milliards de dollars d'ici 2010 l'aide en faveur des pays pauvres. Si les tendances actuelles se maintiennent, cela ne se produira pas, notamment en Afrique subsaharienne. Exception faite du Nigéria, qui est loin d'être le pays le plus pauvre du continent, l'aide publique à la région stagne depuis 2003. Il est donc d'autant plus important que les pays bénéficiaires utilisent à bon escient l'aide qui se matérialise. Les montants n'en sont pas moins considérables si l'on sait qu'ils représentent en moyenne 9% du PIB et quelque 36 % des dépenses publiques pour l'ensemble de l'Afrique subsaharienne (à l'exclusion de l'Afrique du Sud).
Certes il faut faire plus, mais la communauté internationale fournit un concours substantiel.
L'allégement considérable de la dette a dégagé une marge de manoeuvre budgétaire qui permet de financer des dépenses de lutte contre la pauvreté. Mais, comme sur le front de l'aide, l'ouverture des marchés aux exportations des produits africains marque le pas, au même titre que l'achèvement du cycle de Doha et la réduction des subventions aux exportations de produits agricoles.
Cela étant, sans contester l'importance de l'aide, il est également essentiel de disposer d'un secteur privé plus dynamique pour doper les taux de croissance et avancer vers les OMD. L'amélioration du climat des affaires sera décisive pour stimuler l'activité du secteur privé.
Aujourd'hui, en Afrique subsaharienne, les entreprises doivent surmonter beaucoup plus d'obstacles réglementaires que partout ailleurs dans le monde, qu'il s'agisse de permis, d'emploi, du crédit ou de démarches purement administratives. Le rapport Doing Business in 2007 de la Banque mondiale classe 175 pays selon la facilité qu'ils offrent dans la pratique des affaires. En moyenne, les pays d'Afrique subsaharienne sont classés à la 131e position.
Les exemples de l'Afrique du Sud, de Maurice, de la Namibie et du Botswana, classés parmi les 50 premiers pays, devraient être une source d'encouragement.

Le Potentiel : Que peut-on faire pour que l'aide soit plus rapide et plus effective?

Abdoulaye Bio-Tchané
: Il faut un travail d'équipe entre donateurs et bénéficiaires. Les bailleurs de fonds prennent déjà des engagements pour que l'aide soit moins difficile à utiliser, plus prévisible et mieux alignée sur les priorités des pays bénéficiaires. Ces derniers, quant à eux, se sont engagés à mener des politiques plus judicieuses pour mettre cette aide mieux à profit et pour l'utiliser de façon plus transparente. Bien entendu, le FMI est déterminé à appuyer les uns et les autres dans cette entreprise.

Le Potentiel : De manière plus générale, que fait le FMI pour aider les pays africains?

Abdoulaye Bio-Tchané
: La tâche la plus redoutable pour l'Afrique subsaharienne est de faire reculer la pauvreté et d'avancer vers les OMD. Comme je le disais tantôt, pour atteindre l'OMD consistant à réduire la pauvreté de moitié d'ici 2015, il faut non seulement maintenir les taux de croissance élevés de ces dernières années - avec des taux annuels proches de 6 %, qui ont certes doublé depuis les années 90 - mais qui plus est les porter à 7 % au moins. S'agissant des autres OMD, comme par exemple ceux ayant trait à la santé et à l'éducation, il faudra également que les budgets se consacrent davantage à la lutte contre la pauvreté et à la promotion de la croissance et que les flux d'aide complémentaires, y compris ceux issus de l'allégement, soient utilisés de manière plus efficace.
Le FMI aide l'Afrique subsaharienne à surmonter ces difficultés. Sa Stratégie à moyen terme se propose de mieux centrer les activités dans les pays à faible revenu, en insistant sur les domaines où l'institution jouit d'un avantage comparatif. Sur d'autres dossiers nous devrons par ailleurs collaborer de manière plus effective avec la Banque mondiale ou d'autres institutions.
Dans nos sphères de compétences primordiales nous pouvons aider l'Afrique subsaharienne à relever le défi de la lutte contre la pauvreté, premièrement en offrant aux pays nos conseils sur les politiques qui leur permettront de gérer efficacement l'aide et de préserver la soutenabilité de la dette; deuxièmement en encourageant la stabilité macroéconomique; troisièmement, en aidant les pays à entreprendre des réformes dans leur régime commercial et leur secteur financier, de sorte qu'ils puissent se prévaloir des possibilités d'investissement; et, enfin, en aidant les pays à mener des réformes de gestion des finances publiques pour donner plus d'efficience à la formulation et à l'exécution du budget et renforcer le processus de responsabilisation.
Notre assistance technique - depuis le siège ou par le biais des centres régionaux établis à cette fin (les AFRITAC) - est déterminante pour renforcer la capacité des pays dans ces domaines. Elle porte notamment sur la gestion des finances publiques, la stabilité financière et la bonne mise en oeuvre de la politique monétaire et de l'appareil statistique.

Le Potentiel : On reproche au FMI de ne pas faire assez pour encourager les flux d'aide, voire de bloquer l'utilisation de l'aide. Qu'en pensez-vous?

Abdoulaye Bio-Tchané
: Le FMI est déterminé à aider les pays à atteindre les OMD et il ne cesse de promouvoir la cause de l'aide au développement et du commerce libre et équitable. Durant l'année écoulée il a mis en oeuvre l'initiative d'allégement de la dette multilatérale (IADM) et, du coup, effacé la dette qu'avaient envers lui 20 pays pauvres; à terme une quarantaine de pays à faible revenu sont concernés. Nos conseils de politique économique, nos programmes et notre assistance technique ont été constamment affinés pour promouvoir la croissance et combattre la pauvreté.
Nous avons notamment apporté une contribution décisive à la stabilisation et à la croissance en Afrique subsaharienne et dans d'autres pays à faible revenu durant la décennie écoulée. Cette contribution jette les bases d'une croissance soutenue et d'une véritable réduction de la pauvreté. Compte tenu de l'ampleur de la tâche, personne ne peut prétendre en faire assez. En fait, il importe surtout de veiller à ce que notre démarche soit pertinente dans nos sphères de compétences primordiales et à ce que notre action complète celle des pays à faible revenu et des autres partenaires au développement. C'est là l'esprit de notre Stratégie à moyen terme.
Notre mission principale est d'accompagner les politiques dans les domaines où le FMI dispose d'un savoir-faire particulier, pour promouvoir la stabilité macroéconomique, aider les pays à recueillir les fruits d'une aide accrue et éviter qu'ils ne retombent dans le surendettement. Mais si notre travail doit aller au-delà des bases d'une forte croissance et de la lutte contre la pauvreté, nous devons améliorer notre collaboration avec les autres partenaires au développdement - notamment la Banque mondiale - et les autres bailleurs de fonds.
Le processus d'élaboration de stratégies de lutte contre la pauvreté, le redéploiement de l'action des donateurs privilégiant davantage le soutien budgétaire par rapport à l'aide-projet, et l'apparition de nouveaux prêteurs sont autant de phénomènes qui renforcent nos relations d'interdépendance. Nous devons définir des modalités plus efficaces de contribution à l'action planétaire pour que la stabilité macroéconomique soit le terreau d'une croissance soutenue capable de faire reculer la pauvreté.
Tag(s) : #Politique Béninoise
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