Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Séfou Fagbohoun: « On a de sérieuses raisons d’avoir des regrets… »

28 avril 2009 par La Presse du Jour

 

sefou-fagbohoun1Le président Séfou Fagbohoun du Madep a enfin décidé de rompre le silence. Dans une interview exclusive qu’il nous a accordée, «Le coq d’Adja Ouèrè» s’est prononcé sur les sujets brûlants de l’actualité nationale. Il a parlé de Nago, de Kérékou, de Idji, des ministres Abiola et Aguiah,  de la menace qui pèse sur la démocratie béninoise et naturellement de son incarcération injustifiée jusqu’à ce jour.

 

Monsieur le président, depuis votre retour au pays, on a l’impression que vous avez opté pour le silence. Pourquoi un tel choix ?

 

C’est exact ! J’ai  fait ce choix parce que ça me permet de voir  réellement ce qui se passe dans mon pays et de comprendre la nouvelle évolution des choses. Notre expérience en matière de connaissance de notre pays ne permet plus de parler en désordre si l’on veut être proche de la réalité.

 

Voulez-vous  ainsi dire que sous le changement il faut savoir parler ?

 

Vous avez très bien  compris monsieur le journaliste.

 

Et pourquoi donc cette trop grande prudence ?

 

C’est pourtant simple. Si un footballeur professionnel, mondialement reconnu accepte rencontrer un amateur qui ne sait pas jouer, sur le terrain, le premier, malgré ses qualités, sera un mauvais joueur. Il ne fera rien de bon parce que, en face, il n’y a pas un répondant comme lui. Plus grave, il risque  même de se faire briser les pieds pour rien. C’est pour cela que nous avons fait cette option pour éviter que l’amateur ne nous brise les pieds avant même que le vrai match n’ait lieu.

 

Dès votre retour au pays, vous avez rencontré le chef de l’Etat sans qu’on ne sache vraiment pourquoi. Pouvez-vous nous dire à présent le menu de ce tête-à-tête ?

 

Je l’ai rencontré en août 2008. Il s’agit d’une visite de courtoisie qui a finalement duré 2 h 45mn.

 

Pourquoi ?

 

Parce que j’ai voulu à cette occasion savoir le pourquoi de mon arrestation. Vous n’êtes pas sans savoir que  jusque-là, personne, que ce soit les magistrats, les avocats ou moi-même, ne savait pourquoi j’ai été mis aux arrêts. Le comble,  c’est que jusqu’à aujourd’hui je suis resté sur ma  faim.

 

Voulez-vous dire que le Chef de l’Etat même ne sait pas pourquoi vous avez été arrêté ?

 

En tout cas, on ne m’a donné aucune réponse convaincante. Je crois  d’ailleurs que là où nous en sommes maintenant, le peuple béninois comprend de quoi il est question.

 

Selon vous, de quoi est-il est question ?

 

Il est question d’un acharnement inutile  et injuste dont j’ai été l’objet. Les Béninois ont compris cela heureusement.

 

Qu’en  est-il de vos comptes gelés ?

 

Jusqu’à aujourd’hui, mes comptes partout au monde demeurent gelés, mais il faut avouer que cela n’a pas commencé sous le changement. C’est depuis 2005 que le régime Kérékou a gelé mes comptes.

 

Pourquoi ?

 

Pour des raisons que beaucoup connaissent déjà. Face au problème de la révision de notre Constitution peu avant la fin du mandat de Kérékou, on n’a pas noté en moi une disponibilité à accepter la chose. J’ai choisi d’aller contre parce que je ne veux pas faire partie de ceux qui préparaient l’assassinat de notre démocratie  chèrement acquise lors de la conférence nationale. Pour cela, on a décidé de bloquer toutes mes affaires.

 

Mais voilà que celui qui a bénéficié de ce combat aggrave encore votre situation. Finalement, ne regrettez-vous pas d’avoir navigué  à contre courant de la révision ?

 

Je ne regrette absolument rien. Si c’était à refaire, je n’hésiterais pas une seule seconde à le faire pour le bien de notre démocratie et de notre pays à nous tous. Il n’est pas du tout question d’aller dans le camp du regret pour ce qui est de ce dossier. Par contre, par rapport à la gestion actuelle du pays, on a de sérieuses raisons d’avoir des regrets et dans ce cas, je ne suis pas le seul. C’est tout le peuple béninois  qui a des regrets par rapport  à la gestion du changement.

 

Finalement, vous auriez préféré de loin Kérékou à Yayi alors ?

 

Mathieu Kérékou a montré aujourd’hui qu’il est un politicien professionnel et non un amateur. J’en ai parlé au début. Je n’en dirai pas plus.

 

Depuis son départ en 2006, est-ce que vous vous êtes rencontré une seule fois ?

 

Oui, il m’a  appelé  quand j’étais évacué en France. Après, nous nous sommes vus et nous avons beaucoup échangé. Notre dernière rencontre remonte à l’inhumation de Salomon Biokou. Régulièrement nous nous appelons. Honnêtement, je salue sa maturité politique.

 

Vos échanges portent généralement sur quoi ?

 

Sur beaucoup de choses. Vous savez que ce n’est pas des choses à mettre sur la place publique. Une fois encore, je dis qu’il demeure un homme de grande maturité politique.

 

Vous êtes finalement rentré dans vos fonctions de député. Etes-vous fier d’appartenir à une législature à problème ?

 

Tout d’abord, je remercie le peuple béninois qui m’a élu malgré que j’étais détenu à la prison civile de Cotonou. C’est une première dans notre pays pour ne pas dire en Afrique. On peut comparer mon cas à celui de feu N’Krumah du Ghana. En 1956, alors qu’il était en prison, son parti a obtenu lors des  législatives une large majorité au parlement, ce qui lui a permis dès sa sortie de prison de se retrouver premier ministre.
Cela mérite que je salue le peuple béninois pour sa maturité. C’est finalement ce peuple qui m’a élu qui a compris que je suis victime d’un acharnement inutile.
Pour en revenir à présent à votre question je dirai simplement que j’ai le cœur gros chaque fois que je constate que notre parlement ne fonctionne pas bien.

 

Comment expliquez-vous cela ?

 

Cela rejoint l’amateurisme dont j’ai parlé. Le minimum en démocratie, c’est le respect des textes ce qui n’est pas le cas maintenant avec ceux qui dirigent notre parlement. Je donne un exemple précis pour édifier les uns et les autres. On convoque une plénière et le président laisse les députés, disparaît et devient introuvable. Or, dans le cas d’espèce, le minimum pour le président, c’était d’ouvrir la session. L’autre  chose que je veux faire remarquer est qu’on clôture  une session extraordinaire sans qu’aucun dossier ne soit étudié et ceci, en l’absence des deux secrétaires. Dans ce  cas, qui contrôle  finalement la clôture ? Voilà comment notre parlement est géré aujourd’hui.

 

Vous est-il arrivé d’en parler en tête-à-tête avec Nago ?

 

J’ai rencontré le président Nago à mon retour au pays.  Nous avons bien échangé et il m’a avoué son propre  handicap. Je lui ai donné des conseils nécessaires afin qu’il soit à la hauteur de la mission qui lui est assignée. Malheureusement je constate aujourd’hui qu’il ne tient pas du tout compte des conseils qu’on lui prodigue. C’est vraiment dommage !

 

Quel était son handicap ?

 

Ce n’est pas maintenant qu’il faut en parler. Le moment viendra

 

Selon vous quelle est la porte de sortie pour Nago ?

 

La seule solution, c’est que ceux qui poussent Mathurin Nago à multiplier les erreurs le laissent travailler afin que le parlement joue effectivement son rôle d’institution de contre pouvoir.  Autrement, pour l’honneur  de la famille Nago, pour l’honneur de sa race, le président de l’Assemblée doit déposer le tablier. Cela fait  trois fois de suite que son rapport d’activité a été  rejeté. C’est dire clairement qu’il faut qu’il tire lui-même cette conclusion. Lors de ma rencontre avec le chef de l’Etat en août 2008, je lui avais déjà suggéré d’enlever Nago compte tenu de la situation.

 

Et quelle a été sa réponse ?

 

Il m’a répondu  que son souhait à lui est que Nago reste et continue à assumer ses fonctions. Je lui ai ajouté que Nago même est un homme respectueux mais qui est victime d’un système. Ce ne sont pas les députés qui forment le gouvernement. Pourquoi Yayi, lui, tient à imposer un président aux députés dans les conditions qu’on sait ? Cela ne marchera jamais.

 

La Cour Constitutionnelle vous somme de désigner rapidement vos représentants à la Haute Cour de Justice au risque de tout perdre. Qu’en dites-vous ?

 

Le peuple béninois connaît mieux que moi la Cour que nous avons maintenant. Il faut voir comment les membres ont été désignés pour mieux qualifier cette  Cour. Parmi les membres, il y en a qui sont allés aux  législatives sur la liste Cauris sans réussir à se faire  élire. Il y en a qui ont quitté  le gouvernement Yayi pour se retrouver à la Cour. Il y en a encore qui sont tous les jours avec la première dame et qui sont récompensés de cette façon. On parle même d’une belle-sœur dans le groupe…Bref, il y a tout ce qu’il faut pour que cette Cour ne soit pas au service de notre démocratie. Le peuple  béninois comprend parfaitement ce que représente cette Cour. Mon souhait est que leurs décisions ne nous  amènent pas un jour dans la violence.

 

L’actualité de ces derniers jours est relative à la démission  de Rachidi Gbadamassi du G13. N’avez-vous pas peur de cette démission au sein des G et F ?

 

La démission de Gbadamassi ne fait peur à personne  au sein des G et F  et ne nous complique rien au parlement. La preuve, vous avez vu ce qui s’est passé jeudi dernier, malgré le départ de ce député en ce qui concerne l’examen du rapport d’activités du président Nago. C’est vous dire que rien n’est encore perdu et rira bien qui rira le dernier. Je vous donne un exemple par rapport à cette démission. C’est comme quelqu’un  qui a utilisé de faux billets de banque pour acheter de la drogue. Le vendeur a  déjà pris les billets et remis la marchandise avant de constater qu’il s’agit de faux billets. Est-ce qu’il peut aller au tribunal se plaindre ? Qui est dans ce dossier le fabriquant de faux billets ? Qui est le vendeur de drogue ? L’avenir nous édifiera.

 

N’avez-vous pas peur de perdre la majorité au parlement ?

 

En politique tout est possible, mais les députés de la cinquième législature, toutes tendances confondues, sont des hommes mûrs. C’est d’ailleurs pourquoi  je suis fier de me retrouver dans ce groupe. On ne peut pas être  dans ce milieu  et avoir peur de quoi que ce soit. Ils savent ce qu’ils doivent faire pour sauver le pays et notre démocratie.

 

Revenons aux «G et F», pensez-vous qu’il s’agit vraiment d’une alliance sûre ?

 

Pour moi, tous ceux qui composent cette alliance n’ont  plus de choix parce que nous sommes tous victimes du système actuel. Même ceux qui n’ont pas été en prison comme moi sont victimes d’une manière ou d’une autre du système Yayi. On cherche à opposer des membres d’une même famille. On cherche à casser à tout prix des familles. On cherche   à casser des ménages. On cherche  à opposer des amis. Face à une telle réalité, avons-nous vraiment un choix autre que celui qui s’est imposé à nous depuis que nous avons décidé  de nous mettre ensemble ?

 

Pourtant, on découvre déjà que pour 2011, il sera difficile voire impossible aux G et F d’avoir un seul candidat. N’est-ce pas, selon vous, la fin d’un rêve ?

 

Notre démarche n’est pas un rêve. Nous avons l’obligation de faire l’option qui arrange le pays et qui va sauver la démocratie. Entre présenter plusieurs candidats et n’avoir qu’un seul, logiquement lequel  arrange notre pays ? La  question est actuellement en étude dans notre laboratoire et le moment venu, les Béninois seront situés.

 

A quand ce moment ?

 

Vous êtes trop pressé. Boni Yayi s’était vraiment manifesté  à deux mois du scrutin de mars 2006. Malgré cela, il a été élu. Pourquoi pas notre candidat, étant donné que  le principe est déjà acquis. Laissons le temps au temps.

 

Mais de quelle force disposent les «G et F» pour prétendre faire partir Yayi en 2011 ?

 

Le premier qui a une force sur cette terre est le créateur. Le second, c’est le peuple. Je n’en dirai pas plus.

 

Mais il se fait que ce peuple est avec Yayi

 

C’est vous qui le dites. A notre âge, on ne peut plus croire au Père Noël.

 

Personnellement, que reprochez-vous au changement ?

 

Quand on parle de changement, il est temps que les Béninois comprennent qu’il y en a deux types : le changement en bien et celui en mal qui fait souffrir les populations. Ce que je constate aujourd’hui est que celui que nous connaissons depuis 2006 est en mal. Ce n’est pas le changement dont rêvent nos populations. Un constat fait par le peuple. Il n’y a donc pas de raison que moi qui suis un élu de ce peuple pense le contraire. Nous voulons  un changement en bien pour les Béninois et non ce qui se passe maintenant, aucun espoir n’est permis. Je reviens sur l’amateurisme dont j’avais parlé ultérieurement.

 

Vous n’êtes pas sans savoir que vos alliés G et F se demandent si vous n’avez rien à voir dans la présence au gouvernement de deux de vos militants

 

Lors des séminaires de Bohicon, j’ai déjà répondu à cette préoccupation des uns et des autres, préoccupation tout de même légitime. Je répète une fois encore  que les gens que vous connaissez bien ont organisé une opération Kamikaze contre le Madep, ce qui n’a finalement pas marché. Le moment venu cette question sera tranchée et nos alliés seront très satisfaits. Ils comprendront que nous sommes sérieux et que nous resterons sérieux.

 

Mais chaque fois que l’occasion se présente, les deux  ministres ne manquent pas de dire que le Madep est bel et bien au gouvernement. Comment expliquer ce flou ?

 

Je suis heureux aujourd’hui que les deux ministres se réclament du Madep au lieu de dire que c’est parce qu’il ont démissionné qu’ils sont allés au gouvernement. C’est le contraire que j’aurais regretté parce que le 21 octobre 2008, le Chef de l’Etat m’a dit que c’est à cause de moi qu’il a mis les deux dans son gouvernement. Je lui ai répondu qu’il s’est trompé  et qu’il  devrait rencontrer au préalable toute la classe politique  sans exception, ce qui traduisait une marque de considération pour tout le groupe au lieu de vouloir du Madep seul. Je lui ai  même précisé que aussitôt sorti de son bureau, je ferai sortir un communiqué pour informer l’opinion publique de ce que le Madep n’a officiellement envoyé personne au gouvernement, ce qui a été fait.

 

Mais cela n’a apparemment rien donné. Où en est-on finalement avec le congrès annoncé il y a un moment ?

 

Cela se prépare activement parce que le Madep ne peut pas aller à un congrès improvisé. Nos amis de l’intérieur comme de l’extérieur du pays seront invités à ce rendez-vous. Ce  sera vraiment un événement.

 

Mais avant, votre silence accentue les querelles au sein du parti, comme c’est le cas entre Kint Aguiar et Kolawolé Idji.

 

Je suis heureux de votre question. Un responsable comme moi aujourd’hui, ne peut pas se lever tous les matins et parler en désordre. J’ai quitté Cotonou pour Paris le 27 mars 2009 dernier. Le lendemain, on m’appelle pour me dire que François Abiola avec certains éléments Cauris dont Nago sont allés à Pobè dire que Fcbe  a déjà pris tout le Plateau. Je continue de témoigner que Nago n’a jamais dit ça. S’il le dit, cela voudra dire qu’il a vu cela dans un rêve. Moi, je ne peux pas aller soutenir quelqu’un à Bopa aujourd’hui et déclarer que j’ai pris le Mono. Quelque chose fait défaut à ce niveau. J’ai été à Sakété le 20 avril dernier. Je ne vous dis rien par rapport à la mobilisation que cela a suscité. Pourtant, c’est  là où François Abiola est né.
Pour en revenir à votre question, ni Idji, ni Kint Aguiar, aucun d’eux n’est venu se plaindre de l’autre auprès de moi. Une chose est certaine, dans tous les partis du monde, on rencontre des situations du genre. Prenez l’exemple du parti socialiste en France. A un moment donné Kint Aguiar et Idji vont s’asseoir autour d’une même table et boire. Si réellement entre les deux hommes, il y a problème, cela sera réglé. Rien ne nous dépasse. Pour le moment, je n’ai aucune connaissance de ce que vous dites. En tout cas, si je n’arrive pas à régler ce problème, c’est que je ne mérite plus d’être président du Madep.

 

Où en êtes vous par rapport à vos domaines arrachés ?

 

L’heure de la clarification de ces dossiers a sonné. Pour ce qui est de mon domaine situé sur la route de l’aéroport, la justice depuis 2008 a tranché en notre faveur. L’ordonnance est avec nous. Ceux qui occupent le domaine le savent bien. Il en sera de même pour le reste étant donné que  tous mes terrains ont de titre foncier. Seul Dieu peut me priver de cela. C’est l’occasion pour moi de saluer le courage des magistrats, des avocats et de notre justice en général dans l’examen de ce dossier.

 

Votre message à l’endroit des députés, de vos militants et du Chef de l’Etat

 

A l’endroit des députés, je leur souhaite courage et vigilance. Je ne souhaite pas qu’ils deviennent des objets qu’on achète avec de l’argent.

 

Propos recueillis par Marie-Richard Magnidet

Tag(s) : #Politique Béninoise
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :