Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

 ALLEMAGNE - Chasseur de plagiat : l'homme qui fait plonger les élites

 

 

Spécialisé dans la chasse au plagiat, Martin Heidingsfelder est un justicier d'un nouveau genre qui gagne sa vie en traquant la fraude aux titres universitaires. Sa dernière victime : Annette Schavan, la ministre de la Recherche, acculée à la démission le 9 février. Sa prochaine cible : Angela Merkel.

 

· |

 

· 13 février 2013

 

Schavan se tient devant un panneau : "Université Heinrich Heine de Düsseldorf". Angela Merkel lui dit : " Pour la campagne électorale, c'est par là". Un dessin de Hachfeld.

 

Un montant à cinq chiffres, voilà ce qu'un client a proposé à Martin Heidingsfelder s'il réussissait à prouver qu'Angela Merkel s'est rendue coupable de plagiat dans sa thèse de doctorat. Pour l'heure, le spécialiste refuse de dire où il en est dans ses recherches. Il est débordé de travail. "J'ai tellement de demandes que je n'en vois pas le bout", explique-t-il. Martin Heidingsfelder est chasseur de plagiat professionnel. Les gens le paient pour passer au peigne fin les travaux universitaires de personnalités politiques. Parmi ses clients figurent des particuliers, de grands médias, mais aussi des personnes du monde politique.

 

Jusqu'à présent, la recherche de plagiat était essentiellement exécuté par des internautes militants et bénévoles. Leurs découvertes ont mis fin à plusieurs carrières. En 2011, Karl-Theodor zu Guttenberg (CSU) a dû renoncer à son titre de docteur, ainsi qu'à son poste de ministre [chrétien-social] de la Défense. Le 5 février dernier, c'est Annette Schavan (CDU) [ministre chrétienne-démocrate de l'Education et de la Recherche et amie personnelle d'Angela Merkel] qui s'est vu retirer son titre de docteur par l'université de Düsseldorf. [Acculée politiquement à la démission le 9 février, elle réfute l'accusation de plagiat et porte plainte contre le retrait de son titre universitaire.] Plusieurs internautes avaient pourtant pris sa défense, mais Martin Heidingsfelder a ouvert un site – SchavanPlag Wiki – qui a révélé des preuves de plagiat de plus en plus nombreuses à l'encontre de la ministre.

 

Heidingsfelder a fait de la chasse au plagiat une véritable entreprise. Chaque analyse préliminaire est facturée environ 300 euros. Pour ce prix, il se procure le document incriminé, le scanne et l'examine à l'aide d'un logiciel spécialisé. Il estime chaque journée de travail supplémentaire à 500 euros. Les motivations de ses clients sont variées. "Il y a des histoires personnelles, parfois des questions d'honneur, parfois des gens qui veulent prouver à d'autres qu'ils ont fondé leur vie sur la fraude." Une chose est sûre : ses clients sont prêts à payer très cher pour prouver la culpabilité de personnalités politiques célèbres.

 

Un site qui fonctionne sur le principe du "crowdsourcing"

 

Heidingsfelder se concentre pour l'instant sur la fraude aux titres universitaires parmi les candidats aux élections législatives régionales et fédérales de 2013 [cinq scrutins au total, voir encadré]. Pour ce faire, il a créé le mois dernier un site – PolitPlag – avec la liste des personnes visées. Parmi elles se trouvent la ministre [chrétienne-démocrate] du Travail, Ursula von der Leyen (CDU), ainsi que le président fédéral des libéraux, Philipp Rösler (FDP). Le site fonctionne sur le principe du crowdsourcing : les utilisateurs versent une certaine somme à Heidingsfelder avec le nom du candidat aux élections qu'ils souhaitent voir examiné. Le versement minimal est de 20 euros. Une fois qu'un nom a rassemblé suffisamment de fonds, le travail de vérification peut commencer. "Pour tous les candidats – même ceux pour lesquels il manque de l'argent – nous avons trouvé un moyen de vérifier leur travail", peut-on lire sur le site Internet. Heidingsfelder et ses trois collaborateurs ont déjà 80 thèses de doctorat à examiner.

 

Les opposants aux internautes anonymes chasseurs de plagiats considèrent le travail rétribué tel qu'il se pratique sur PolitPlag comme un progrès. "Les personnes qui se trouvent dans le viseur sont peut-être choisies pour de basses motivations, mais le fautif n'en est pas moins fautif", explique Volker Rieble, expert juridique dans le domaine. Quelles que soient les motivations, les chasseurs de plagiat ont objectivement un effet positif sur la recherche scientifique. Par ailleurs, leur travail permet d'échapper au manque de transparence des réseaux anonymes et d'identifier clairement les accusations.

 

Martin Heidingsfelder est lui-même un ancien chasseur anonyme. En mars 2011, sous le nom de Goalgetter, il crée la plate-forme VroniPlag, qui doit permettre à un groupe d'internautes militants de démasquer les plagiats des responsables politiques. Ils se font connaître en 2011 en révélant les fraudes de deux eurodéputés libéraux, Silvana Koch-Mehrin et Jorgo Chatzimarkakis [tous deux FDP – ils ont respectivement perdu en juin et juillet 2011 leur titre universitaire de docteur]. La presse allemande parle alors de la nouvelle démocratie Internet et du pouvoir des masses anonymes. Le nom de Martin Heidingsfelder apparaît sur plusieurs forums. Il décide de rendre ses activités publiques. A l'époque, il affirme ne pas être motivé par l'argent. Ses relations avec les autres militants deviennent toutefois tendues et il finit par rompre avec eux. En novembre 2011, il s'installe comme chasseur de plagiat indépendant. "La recherche de plagiat me prend beaucoup de temps. Il faut bien que je vive de quelque chose", explique-t-il aujourd'hui.

 

Son changement d'attitude envers l'argent lui vaut les critiques de ses anciens compagnons. "C'est tout à fait lui de chercher à faire du fric", écrit un internaute sur le site du réseau VroniPlag (toujours anonyme) à propos du dernier projet de Martin Heidingsfelder. Lui-même se sent souvent persécuté. PolitPlag est régulièrement victime d'attaques de spams. Heidingsfelder serait pourtant prêt à partager ses bénéfices avec d'autres chasseurs de plagiat. "S'il n'y avait pas tant de trolls sur PolitPlag, les gens qui s'intéressent vraiment à la question pourraient participer", explique-t-il. Ils pourraient également toucher leur part du gâteau.

 

Afficher l'intégralité de l'article

 

Lire tout l'article

 

 

CONTEXTE — Une croisade pour la probité des élus

 

 

La démission rapide de la ministre de l'Education et de la Recherche, Annette Schavan (CDU)– au profit de Johanna Wanka (CDU) –, s'inscrit dans la campagne naissante pour les élections au Bundestag qui se tiendront le 22 septembre. Bien que respectée par toute la classe politique, cette proche d'Angela Merkel ne pouvait ni poursuivre sereinement sa mission, qui implique de nombreux contacts avec la sphère scientifique, ni compliquer l'accession de la chancelière à un troisième mandat.

 

L'année 2013 est une année à fort enjeu élecrotal, durant laquelle se succéderont cinq consultations. Toute la démarche de Martin Heidingsfelder s'inscrit dans une croisade d'un nouveau genre pour la probité des élus. Martin Heidingsfelder lui-même est candidat aux élections législatives régionales de Bavière le 15 septembre prochain. Inscrit au Parti social-démocrate (SPD) jusqu'en octobre 2012, Heidingsfelder, 47 ans, défendra cette fois les couleurs du Parti des pirates. Interrogé récemment sur cette mutation politique, il répondait : "J'accroche davantage avec les Pirates qu'avec le SPD parce qu'ils sont des adeptes de la démocratie de base."

 

Dans un entretien accordé au quotidien régional Hamburger Morgenpost, Heidingsfelder confie : "Bien avant que je milite avec les Pirates, j'avais une double appartenance politique – ce que personne, au SPD, ne savait. Une nuit, j'ai démissionné et, moins de dix heures après, j'apparaissais sur la liste des Pirates." Parmi ses dernières confidences, on relève également qu'il a actuellement une quarantaine de livres à examiner, dont une quinzaine écrits par des députés. Sur ses propres chances en politique, il avoue qu'elles sont "minimes", mais il estime pouvoir rapporter aux Pirates bavarois des voix supplémentaires émanant des rangs conservateurs. Son avenir semble axé sur la chasse professionnelle au plagiat et, peut-être, l'offre lui en ayant été faite, rédigera-t-il une thèse de doctorat...

 

Source : http://www.courrierinternational.com/article/2013/02/13/chasseur-de-plagiat-l-homme-qui-fait-plonger-les-elites

 

Tag(s) : #Politique Internationale
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :