26/02/2010
50 ans des indépendances africaines: Quel bilan pour quelle fête ?
La célébration en cette année du jubilé d’or des indépendances en Afrique doit sonner comme le temps d’un nouveau départ des Africains sur la route d’un développement cohérent et harmonieux.
L’année 2010 s’ouvre sur le 50e anniversaire de l’indépendance de beaucoup de pays au sud du Sahara, 17 au total dont le Bénin. Voilà une perspective qui aurait dû être pour nous source de joie. Mais paradoxalement ce qui devrait n’apporter que joie et exultation ne m’inspire que circonspection et même un brin de tristesse. J’ai en moi un goût d’inachevé quant aux immenses espoirs suscités par les indépendances africaines en 1960. Mais pourquoi ce sentiment contrasté naît en moi alors que la célébration d’un anniversaire est synonyme d’enthousiasme et de fête ?
Dois-je le cacher plus longtemps encore ? J’ai, tapi en moi, le sentiment de l’élève qui aurait aimé que l’on retarde indéfiniment la communication des notes d’examen parce qu’il n’aurait pas été à la hauteur des épreuves proposées par les professeurs car lesdites notes auraient été minables. De quelle fierté peut-on se prévaloir quant on sait pertinemment que l’on s’attend à être le dernier de la classe ou à tout le moins quand on s’attend à être logé dans les profondeurs du classement sans autre forme de procès ?
Osons le dire: en d’autres temps, la fête des indépendances qui se prépare nous aurait remplis d’une fierté inextinguible. Elle a plutôt un goût amer parce qu’à aucun moment, les peuples africains n’auraient suffisamment pris la mesure du challenge qui les attend en 1960, aux lendemains des indépendances octroyées par le colonisateur. L’insouciance, l’analphabétisme, la corruption, la paresse, le laxisme, bref l’incapacité affichée des états africains à relever les défis qu’ils devaient surmonter, ont creusé le lit du sous-développement. Les dirigeants lettrés, forts de leur conscience politique et de leur soubassement intellectuel, n’ont pas toujours choisi l’honnête chemin de la prospérité de leur pays. S’il y a un point sur lequel, dirigeants et peuples africains, se sont entendus comme larrons en foire, c’est une certaine complicité dans le mensonge politique. Or il n’y a que la vérité pour libérer l’homme. Alphonse Quenum, prêtre, sociologue et théologien, regrette cet état de chose dans son opuscule bien connu, la mystique du semeur, semeur d’espérance. L’anecdote qu’il rapporte à ce propos peut faire s’esclaffer ceux qui ont le sens de l’humour mais elle est révélatrice d’un curieux état d’esprit qui amène à rigoler des situations qui devraient nous faire pleurer. Ainsi, une population à qui l’on demandait pourquoi elle s’est mise à accuser de tous les maux un président qu’elle applaudissait quelques mois avant sa chute, répond : «Nous savions qu’il nous trompait et nous le trompions en l’applaudissant». Quel dommage et quel gâchis! Quelle perte de temps pour l’un et l’autre! Quel aveuglement! Qui gagne à ce jeu malsain, véritable marché de dupes qui range les deux camps dans le même panier de l’inconscience? Qui gagne à ce jeu, disais-je? «Peut-être ceux-là qui se laissent régir par la logique de la politique du ventre, c’est-à-dire du profit sans scrupules, toujours et partout et qui ne veulent être présents que là où on trouve à manger» accuse Alphonse Quenum. «Ces gloutons du présent ne ressemblent en rien aux semeurs de l’avenir», ajoute-t-il. Le résultat est là, accablant pour tous, reléguant l’Afrique au rang peu glorieux des derniers de la classe. Pour autant que cela soit vrai, on aurait voulu que ce ne fût pas les autres qui nous le rappellent, chacun ayant les problèmes qui sont les siens. «Car si la cour du mouton est sale, il ne revient pas au cochon de le dire», énonce un proverbe africain. Mais la vérité est universelle et comme le dit Amadou Kourouma dans Le soleil des indépendances, « elle brûle et fait rougir les yeux comme le fait le piment». La vérité est là, sèche et brutale que nous assène de façon imperturbable un certain Jacques Guillemain dans une tribune libre paru dans la revue Valeurs Actuelles: «Si aujourd’hui l’Afrique est trente fois moins riche que l’Asie, malgré la manne pétrolière et les 1800 milliards d’euros d’aide internationale reçue, ce n’est pas un hasard. Mais avec 100 coups d’Etat en 50 ans, plus de 80 conflits armés dont 40 guerres civiles et une corruption généralisée, l’Afrique est devenue un épouvantail à investisseurs. Les éternelles lamentations des africains ne suffiront pas à les exonérer de leurs propres responsabilités. L’Afrique est un continent immensément riche, il suffit de se retrousser les manches et de les mettre en valeur». (Valeurs actuelles, 3.757 du 27 novembre 2008).
Voilà pour la situation générale du continent à quelques exceptions près. Où donc se situe le Bénin dans cet univers africain frelaté en cette veille du cinquantième anniversaire de son indépendance. Les résultats auxquels nous sommes parvenus sur le plan politique, économique et social sont à mon avis loin d’être brillants et pas vraiment à la hauteur des espérances suscitées à Porto-Novo quand, le 1ier août 1960, au son de l’Aube nouvelle, l’hymne nationale nouvellement composée, on hissait le drapeau vert-jaune-rouge du Dahomey indépendant à la place de la bande tricolore français. Le climat social fait de grèves réelles et larvées n’est pas au beau fixe. La situation politique n’est pas à la sérénité. Les indicateurs économiques seraient au rouge. Et pourtant ce n’est pas faute d’avoir essayé. Nous avons tout essayé sans y arriver vraiment. Il manquait peut-être ce zeste de volonté commune sans laquelle rien ne peut réellement se faire. Notre désir de réussir n’a pas rencontré le déclic mobilisateur qui transforme les rêves en réalité. De 1960 à 1972, les rivalités politiques n’ont permis à aucun président d’asseoir un programme de gouvernement cohérent. De 1972 à 1989, le Gouvernement militaire puis la Révolution marxiste-léniniste ont suscité des espoirs vite déçus. De 1990 à 1996, le Renouveau Démocratique brûla d’une vive lumière pour s’éteindre avec la même soudaineté, laissant la place à un autre essai politique qui ne résolut pas les problèmes de notre peuple. La farouche volonté des uns et des autres de faire bouger les choses en quittant les sentiers battus a fait imaginer le fameux slogan du «gouverner autrement». La conséquence est la naissance d’un «gouvernement du changement» dont on attend que les fruits réalisent mieux encore la promesse des fleurs.
Pourtant les atouts ne nous manquent pas. Nous avons un pays où l’unité nationale n’est pas un vain mot car les ethnies ne sont pas aussi antagonistes qu’ailleurs. L’ouverture sur l’océan est une chance qui n’est pas suffisamment exploitée chez nous. Les potentialités agricoles attendent d’être mises en valeur. Le tourisme attend d’être mieux développé. Tâches herculéennes que tout ceci ? Peut-être, mais elles ne sont pas des tâches impossibles à accomplir si la volonté d’y arriver anime les décideurs de tout acabit. Justement la volonté d’y arriver, c’est ce qui manque aux peuples et dirigeants confondus. Voici le constat accablant que dresse sans complaisance Bruno Amoussou, président du Parti social démocrate (Psd) dans son discours à la dernière convention du parti naissant, l’Union fait la Nation (Un), à Cotonou, le 31 Janvier 2010 : «Or, les huit millions que nous sommes parmi les milliards d’êtres humains qui peuplent la planète, nous ne parvenons pas à nous réunir autour d’idéaux partagés. Fractionnés en une multitude de groupuscules, nous nous livrons à des combats autour de la pénurie, incapables de mettre en valeur la centaine de milliers de kilomètres carrés que Dieu nous a confiée. Pourtant, il y coule des fleuves ; le soleil y brille toute l’année et la fertilité des sols récompense, avec générosité, les efforts de ceux qui disposent des moyens de produire…» (La Nouvelle Tribune, n° 1823 du jeudi 4 février 2010)
Ceci dit, il est bien entendu, loin de moi l’idée que rien n’a été fait en 50 ans d’indépendance. Le pessimisme n’est pas de mise, mais je me dis avec conviction et insistance que l’on peut aller plus loin si nous prenons conscience que la corruption est un fléau et la paresse, un péché. Entre ce qui est fait et dont on peut légitimement se féliciter et ce qui aurait pu être fait avec plus de sérieux et de méthode, il y a une marge qui est loin d’être négligeable. Tout n’est pas puanteur, cependant. Tout n’est pas à refaire. Il y a tant de belles choses qui s’essayent ça et là et qu’il faut savoir soutenir et renforcer. Il est vrai que l’arbre qui pousse fait moins de bruit que l’arbre qui tombe.
C’est pourquoi l’après 1er août 2010 doit voir sonner pour nous le temps d’un nouveau départ. Et pour l’homme, l’espoir n’est jamais perdu. Il est donc permis d’espérer que les décennies à venir, nous nous résolvions à nous rappeler qu’il est enfin temps que nous prenions le pas sur la route du développement cohérent et harmonieux de notre nation. Tout le monde y gagnerait et la confiance renaîtrait entre les dirigeants et les peuples.
Abbé Nicolas Hazoumè
Recteur du Grand Séminaire Saint Paul de Djimè
Source: La Croix du Bénin