30 juillet 2010
Spécial indépendance
BENIN: En 1960, le président Justin Ahomadégbé ne voulait pas que le Dahomey soit indépendant !!!
1er août 1960, 00 heure. Une aube nouvelle naît au Dahomey. Hubert Koutoukou Maga, Premier ministre du Conseil du gouvernement, proclame solennellement l’indépendance du pays. Le Dahomey accède à la souveraineté nationale après le Cameroun, le Togo, la Fédération du Mali (regroupant l’ex-Soudan français et le Sénégal) et Madagascar. Suivront le Niger, la Haute Volta (l’actuel Burkina Faso) et la Côte d’Ivoire. Cette vague d’indépendance qui explique la commémoration en cascade des 50 ans d’indépendance de l’Afrique francophone, peut laisser croire que ce mouvement de souveraineté a été méthodiquement pensé et organisé.
Il n’en est pas vraiment ainsi.
Pour comprendre comment les 5 décennies de souveraineté ont été gérées au Bénin, pour savoir si quelque chose de durable a été construit dans notre pays, il faut jeter un regard rétrospectif sur l’ambiance qui a conduit à 1960. Il faut aller aux sources de notre indépendance.
Remontons à la Deuxième Guerre Mondiale. Soldats français et africains ont combattu côte à côte dans les tranchées. Cela a favorisé le sentiment d’égalité des humains et renforcé le désir d’émancipation chez les peuples colonisés. D’un autre côté, le sentiment de supériorité du colonisateur prend un rude coup suite à la cuisante défaite de la France pendant la Guerre d’Indochine à Dien-Bien-Phu en mai 1954. Les indépendances du Maroc, de la Tunisie et la guerre de libération nationale en Algérie provoquent une évolution rapide des idées de liberté chez les peuples colonisés. La loi cadre Gaston Deferre de 1956 consacre la balkanisation sans réussir à affaiblir le désir d’émancipation.
Au référendum du 28 septembre 1958 sur la création de la Communauté franco-africaine proposée par le Général de Gaulle, les leaders politiques dahoméens Hubert C. Maga, Justin T. Ahomadégbé, et Sourou M. Apithy, à l’instar de tous les autres leaders francophones, appellent à voter oui. Seule la Guinée de Sékou Touré oppose un non audacieux. Au Dahomey, c’est surtout dans les milieux estudiantins et syndicaux que l’opinion est favorable à une indépendance immédiate. De nombreux citoyens dahoméens s’offrent même pour aller travailler en Guinée marquant ainsi leur admiration pour le courage de Sékou Touré et de son peuple.
Le Général de Gaulle, stratège militaire et fin politique sent l’accélération de l’histoire. Celui qui, en 1958, fait le tour de l’Afrique et bat la campagne pour la création de la Communauté franco-africaine, passe à la vitesse supérieure. En moins de deux ans, il décide d’accorder l’indépendance aux territoires de l’Aof et l’Aef.
Les leaders politiques dahoméens ne sont pas demandeurs de cette indépendance. Ils n’ont pas de projets réels pour gérer et assumer la souveraineté nationale. En effet, beaucoup d’entre eux estiment que le Dahomey n’est pas préparé pour l’indépendance, incapable qu’est le pays de fabriquer de simples allumettes et des aiguilles. Ce point de vue est confirmé en 1997, à l’occasion des 25 ans de la révolution béninoise, par le président Justin Ahomadégbé lors d’une interview accordée à Ephrem Quenum. « Aujourd’hui, affirme-t-il, je reste encore convaincu que l’indépendance est venue trop tôt en 1960. Il fallait que la France nous apprenne d’abord une bonne gestion des affaires du pays, à améliorer l’état de nos infrastructures, les routes, les ponts, les écoles, les hôpitaux… Nous n’étions pas préparés ».
Après 50 ans, il est plus que temps de relever le défi. Y a-t-il un temps idéal pour être indépendant ? Piège ou impréparation, les Béninois doivent mieux scruter leur passé pour mieux concevoir leur avenir de façon collective et dans la durée.
Abbé André S. Quenum
Déclaration d’indépendance par Maga, le 1er août 1960 à 00 heures
« Peuple Dahoméen, je proclame solennellement l’indépendance du Dahomey. Ce lundi 1er août 1960, devant les chefs d’Etat du Conseil de l’entente, les personnalités de la République et toute la Nation. C’est pour nous un jour d’allégresse. Jour qui consacrera l’union de tous les enfants de ce pays pour la paix et la fraternité, jour qui marquera un nouveau pas en avant de l’Afrique vers un avenir meilleur »
Message des évêques au clergé
et aux fidèles du Dahomey
« (…) En face de l’indépendance du Dahomey, toute proche, notre premier sentiment est aussi de joie ; une joie sincère et profonde, pour saluer notre commune et légitime promotion.
Vos Evêques, tout en partageant vos sentiments, doivent cependant vous mettre en garde contre la tentation d’une joie effrénée, naïve ou factice, feu de paille qui ne dure que quelques jours de congé, de bruit, de chants, d’éclat et d’étourdissement. Votre joie doit être grave, celle d’un peuple chrétien ou en tout cas profondément religieux, capable de se dominer dans la dignité et d’accéder à une sagesse qui soit celle d’hommes vraiment mûrs. Vous ne pouvez ignorer vers quelles nouvelles et lourdes responsabilités s’achemine désormais le Dahomey tout entier. (…) »
La Croix au Dahomey n° 7,
septembre 1960
« L’indépendance, ce chantier »
Les 101 coups de canon se sont tus… Quelque chose d’impressionnant vient d’éclore sur le sol. La liberté, celle qui veille jalousement sur le destin de chaque nation vient de renaître au Dahomey. La joie fuse de toutes parts… (…)
(Cette joie) doit se transformer en espérance et en volonté de renouveau. Car l’indépendance n’est pas un cri qui doit demeurer sans écho, elle n’est pas une borne qui marque un point d’arrivée où notre satisfaction nationale pourra désormais s’installer en toute tranquillité. C’est une route nouvelle qui s’ouvre devant nous. Où nous conduit-elle ? Là où nous voulons. (…) Toute liberté est au bout d’une libération. Celle que nous venons de conquérir n’est qu’un moyen pour en conquérir beaucoup d’autres qui sont essentielles à notre volonté de vie commune. (…)
Une nation nouvelle, c’est aussi une nouvelle figure de l’homme qui se fait jour. Une nation est grande non seulement par la richesse de ses produits mais aussi par son rayonnement spirituel. (…) Notre physionomie morale se dessinera avec le temps. Mais c’est dès aujourd’hui que nous devons planter quelques jalons solides sur cette route qui s’ouvre à nous. (…)
Extraits de l’éditorial de Robert Sastre
dans La Croix au Dahomey n° 7,
septembre 1960