Des faits se produisant en dehors du lieu et du temps de travail peuvent constituer une faute ou un manquement de l'employeur à ses obligations contractuelles.
Selon un Arrêt de rejet de la Chambre sociale de la Cour de cassation rendu le 23/01/2013, des faits, sans relation avec les obligations contractuelles de l'employeur comme s'étant produits en dehors du lieu et du temps de travail, peuvent constituer une faute ou un manquement de l'employeur à ses obligations contractuelles justifiant le prononcé d'une prise d'acte de la rupture aux torts de celui-ci.
Plan :
- Analyse de la décision de jurisprudence
- Arrêt de la Cour de cassation, Chambre sociale, rendu le 23/01/2013, rejet (11-20356)
Analyse de la décision de jurisprudence
La jurisprudence évolue afin d'admettre que des faits qui se déroulent en dehors du temps et du lieu de travail peuvent avoir une incidence sur la relation contractuelle liant le salarié et l'employeur. Une première qui pourrait faire évoluer les pratiques.
En l'espèce, une employée en arrêt de travail à compter du 28 juin, ne s'est pas rendue au travail. Le soir, elle rejoint ses amis au club de bridge dont elle est membre.
L'employeur, ayant connaissance de la passion de la salariée pour ce jeu de cartes, et estimant que celle-ci avait obtenu un certificat médical de complaisance, décide de se rendre, le soir au club, dont il connaît l'adresse.
En pleine partie de bridge, la salariée est interpellée par son employeur. Celui-ci profère à son encontre des propos désobligeants et vexatoires, en s'interrogeant publiquement sur la réalité de l'arrêt de travail dont elle venait de bénéficier. Se sentant agressée, la salariée, choquée, "s'était trouvée dans un état de sidération nécessitant le secours des personnes présentes", relate le juge.
Quelques jours plus tard, la salariée saisit la justice afin de faire reconnaître que sa prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir la condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes à titre salarial et indemnitaire.
L'employeur fait valoir que les faits, qui étaient sans relation avec ses obligations contractuelles, comme s'étant produits en dehors du lieu et du temps de travail, ne pouvaient constituer une faute ou un manquement à ses obligations contractuelles.
La salariée rappelle que lorsqu'elle bénéficie d'un arrêt de travail prescrit par le médecin, elle n'a pas à donner à l'employeur la raison médicale qui a justifié cet arrêt. De plus, si l'état du malade autorise des sorties, la salariée doit respecter les heures de présence à son domicile, en principe de 9 à 11 heures et de 14 à 16 heures, sauf en cas de soins ou d'examens médicaux (prévoit le Cerfa S3116). Dès lors, à 21h, la salariée est libre de se rendre où elle le souhaite dès lors que son état de santé le permet.
Quant à l'agression verbale dont elle a été victime, elle était directement liée au lien de subordination et à la relation contractuelle qui la lie à l'employeur.
La Cour d'appel fait droit à la demande de la salariée en jugeant qu'en agressant publiquement l'intéressée, l'employeur avait commis un manquement suffisamment grave à ses obligations, justifiant la prise d'acte, peu important que les faits, qui étaient relatifs à un différend d'ordre professionnel, se soient déroulés en dehors du temps et du lieu de travail.
La Cour de cassation confirme cette décision le 23 janvier 2013, de sorte que des faits qui ont un lien avec la relation contractuelle de travail, se déroulant en dehors du temps et du lieu de travail, peuvent avoir des conséquences sur les droits et obligations de l'employeur vis-à-vis de ses salariés.
On savait déjà que des faits de la vie privée du salarié pouvaient avoir un impact sur son contrat de travail et justifier le licenciement pour faute. Désormais, l'inverse est également possible.
Arrêt de la Cour de cassation, Chambre sociale, rendu le 23/01/2013, rejet (11-20356)
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 mai 2011), qu'engagée le 3 février 2003 en qualité de pharmacienne par l'Eurl Pauline X..., Mme Y... a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 3 juillet 2006 ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant à dire que sa prise d'acte produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et à obtenir la condamnation de son employeur au paiement de diverses sommes à titre salarial et indemnitaire ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt d'accueillir ces demandes, alors, selon le moyen, que lorsque le salarié démissionne en raison de faits ou manquements qu'il reproche à son employeur, cette rupture constitue une prise d'acte et produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire, d'une démission ; que seuls des manquements graves de l'employeur à ses obligations contractuelles de nature à faire obstacle à la poursuite du contrat de travail justifient la prise d'acte de rupture du contrat de travail par le salarié aux torts de l'employeur et permettent d'analyser cette prise d'acte en un licenciement ; que Mme Y... reprochait à l'appui de sa prise d'acte le comportement de Mme X..., qui aurait selon elle, le 28 juin vers 21 heures, lors d'une partie de bridge organisée dans un club de bridge "Le Tricolore", proféré des propos prétendument désobligeants et vexatoires à l'endroit de la salariée en s'interrogeant sur la réalité de l'arrêt de travail dont elle venait de bénéficier ; que ces faits, qui étaient sans relation avec les obligations contractuelles de l'employeur comme s'étant produits en dehors du lieu et du temps de travail, ne pouvaient constituer une faute ou un manquement de l'employeur à ses obligations contractuelles justifiant le prononcé d'une prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur ; qu'en se fondant sur ces seuls faits pour déclarer que la prise d'acte de la rupture de la salariée s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel, qui n'a caractérisé aucune violation des obligations contractuelles de l'employeur, a violé les articles L1231-1, L1237-1, L1232-1 et L1235-1 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel a constaté que dans la soirée du 28 juin 2006, alors que la salariée, qui était en arrêt de travail depuis le même jour, s'était rendue à son club de bridge, l'employeur avait fait irruption brutalement dans la pièce où se trouvait Mme Y..., remettant en cause avec véhémence l'état de santé de celle-ci et exigeant qu'elle lui remette son arrêt de travail, et qu'agressée publiquement, l'intéressée, choquée, s'était trouvée dans un état de sidération nécessitant le secours des personnes présentes ; qu'elle a ainsi caractérisé un manquement suffisamment grave de l'employeur à ses obligations justifiant la prise d'acte, peu important que les faits, qui étaient relatifs à un différend d'ordre professionnel, se soient déroulés en dehors du temps et du lieu de travail ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi ;
M. Lacabarats, Président
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