17/11/2013
Doyen O.B.Q.: Quand j’ai eu lu l’inacceptable, l’innommable injure faite à Taubira, le Nègre encore en colère, c’est moi
DIES IRÆ
Olympe BHÊLY-QUENUM
Enfant de chœur à Ouidah - ma ville natale au Bénin - ce chant grégorien m’émouvait jusqu’aux larmes quand le prêtre célébrait la messe pour un défunt dont le cercueil était au centre de la nef de l’église ; je ne comprenais rien en latin mais mes larmes coulaient ; plus tard en France, à Avranches au collège Littré où j’étais élève(section lettes classiques), une de mes distractions dans ma chambre, rue du Jardin des Plantes, était de traduire du latin en français des passages du missel emporté du Dahomey ; c’était alors que je sus et compris que Dies Iræ signifie jour de colère ; qui était en colère dans la liturgie catholique ?
Quand j’ai eu lu l’inacceptable, l’innommable injure faite à Christiane Taubira dans quatre journaux parisiens achetés à Uzès, le Nègre encore en colère, c’est moi ; Dieu sait si les délits de faciès lors d’un logement pourtant confirmé libre un quart d’heure - oui, un quart d’heure plus tôt-, les plaisanteries racistes, etc., j’en avais consigné des constats dans mes calepins ; mais ma colère, c’est que je savais depuis la loi qui porte son nom qu’on n’aimait pas ? Non, qu’on n’aime pas Christiane Taubira en France parce qu’elle a du caractère, qu’elle est combative, qu’elle sait moquer, voire railler finement et attaquer quand trop, c’est trop.
Serait-elle comprador, un de ces Noirs traités de renégats par Emmanuel Mounier dans sa fameuse Lettre à un ami africain, en l’occurrence Alioune Diop, fondateur de Présence Africaine, qu’on la ménagerait si, à l’instar d’un écrivain africain bien connu, elle essayait de se scotcher à Sarkozy ou déclarait que la Négritude relevait du passé ; or, femme noire fière de l’être et imprégnée d’Aimé Césaire, elle n’oublie jamais qu’ataviques, les séquelles du Code Noir sont en veilleuse dans le subconscient de beaucoup de Français bon teint. À l’un d’eux qui me demandait récemment si je connaissais Madame Christiane Taubira, j’ai répondu :
- Pas personnellement, mais j’apprécie beaucoup la fermeté de son caractère et la lutte qu’elle soutient au sein du gouvernement.
- Qui est-elle pour que vous la souteniez ainsi, même quand elle s’affronte à Manuel Valls?
- J’ignorais qu’il ne fallait pas l’affronter quand on est noir ; mais originaire du Dahomey, actuellement le Bénin, mon pays natal était un port esclavagiste à l’époque de la traite négrière ; Christiane Taubira, née française, nommée garde des Sceaux de la République française est une descendante d’esclaves ; devrais-je préciser que c’est en Cayenne, son île natale, que se trouve l’île du Diable où Dreyfus était envoyé au bagne parce qu’il était juif ?
La chute a coupé court à la conversation ; je dirais plutôt : la lui a coupé. C’est un vieux constat que le racisme existe partout dans le monde: au cours de l’une de nos discussions, Cheikh Anta Diop dit en me montrant un portrait de Galien avec sa définition de l’homme noir :
« un être stupide au sexe long. »
- Regarde ça, toi qui es né dans un milieu vodoun mais te réfères souvent aux Grecs aussi, que penses-tu de cette affirmation du médecin grec qu’était Galien ?
-Réagissant sans détour, j’ai dit :
- C’est brutal, c’est du racisme ; nous devrons faire une chrestomathie, nous devons nous attaquer à ça aussi malgré les nègres collabos ; nous ne devons pas laisser perdurer ces cas de discriminations que j’ai lus dans Hegel pour qui les Noirs sont une nation d’enfants ; accepter que c’est lointain serait de la lâcheté ; en France, beaucoup de gens transgressent de la xénophobie au racisme caractérisé.
Deux ou trois ans plus tard, quand nous nous étions retrouvés à Présence Africaine et que je voulais acheter son livre, il me l’a offert avec la dédicace ci-dessus.