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Décollage africain, marasme sénégalais

En Afrique, une conjoncture favorable malgré la crise

 

par Sanou Mbaye, février 2012
 
 

Au moment où nombre de pays d’Afrique traversent la période économique la plus prospère de leur histoire depuis 1960, le Sénégal semble incapable de saisir sa chance. En 2010, le continent est le deuxième moteur de la croissance économique mondiale après l’Asie (1). Depuis 2000, les pays d’Afrique subsaharienne ont connu une croissance moyenne située entre 5 % et 7 %. Durant la récession mondiale de 2009, l’Afrique et l’Asie ont été les deux seules régions du globe où le produit national brut (PNB) s’est accru. En outre, les investissements directs étrangers (IDE) sur le continent noir sont passés de 9 milliards de dollars en 2000 à 62 milliards en 2008 (2).

Les transferts des émigrés représentent la seconde source de devises après les IDE. Plus de trente millions d’Africains vivant en dehors de leur pays d’origine envoient tous les ans plus de 40 milliards de dollars à leurs familles. L’achat de terrains, la construction de maisons, la mise sur pied d’une entreprise comptent parmi les premières activités financées par ces fonds. Ils représentent 36 % des investissements au Burkina Faso, 53 % au Kenya, 57 % au Nigeria, 15 % au Sénégal et 20 % en Ouganda (3).

 

Depuis le début des années 1990, la Chine, l’Inde, la Corée, la Malaisie, la Turquie ou le Brésil ont élargi la palette des partenaires commerciaux du continent. A titre d’exemple, les échanges entre la Chine et l’Afrique sont passés de 10 milliards de dollars en 2000 à 107 milliards en 2008. Un acteur continental s’impose également : si l’on exclut le secteur pétrolier et gazier, l’Afrique du Sud est le plus gros investisseur sur le continent (4).

 

Alors que l’euro traverse une crise et que la récession en Europe menace l’économie mondiale, l’Afrique présente un double avantage : elle offre le plus haut taux de rentabilité comparé à toute autre région et des valeurs refuges comme le pétrole, l’or, l’argent et le platine. Elle détiendrait plus de 10 % des réserves mondiales de pétrole, 40 % de celles de l’or, un tiers des réserves mondiales de cobalt et de métaux de base. Les compagnies multinationales de télécommunications ont enregistré sur le continent 316 millions d’abonnés depuis 2000, soit plus que la population des Etats-Unis. Par ailleurs, l’Afrique dispose de 60 % des terres cultivables non exploitées du globe. C’est inestimable, pour peu qu’on ne brade pas ce potentiel comme on le fait actuellement (5).

 

La jeunesse africaine constitue également un atout de croissance. Dans la décennie à venir, l’Afrique sera le seul continent où la population en âge de travailler continuera de croître. En 2045, elle représentera 1,1 milliard de personnes : plus que la Chine ou l’Inde. La création en 2011 à Dakar d’un Institut africain des sciences mathématiques (African Institute for Mathematical Sciences, AIMS), comme il en existe en Afrique du Sud, tente de répondre à l’impératif de formation de ces jeunes. Il invitera des professeurs du monde entier pour dispenser des formations s’adressant à des étudiants de tout le continent (6).

 

Le pouvoir d’achat des Africains s’est par ailleurs accru. Durant la dernière décennie, le nombre des consommateurs de la classe moyenne — ceux qui dépensent 2 à 20 dollars par jour — a augmenté de plus de 60 % pour atteindre 313 millions de personnes actuellement (7). La propension à consommer et la capacité à investir de cette population sont de puissants moteurs de croissance.

 

Bien sûr, il y a loin de la coupe aux lèvres. Les administrations sont pléthoriques et inefficientes. La corruption gangrène tout. Et il relève de l’évidence historique que les pays se développent en diversifiant leurs économies et en créant de la valeur ajoutée. Les pays africains, encore largement tributaires de leurs matières premières et de leur agriculture, devront développer des politiques d’industrialisation appropriées et se dégager des dogmes de l’ultralibéralisme. Des régimes de contrôle des changes doivent être mis en place pour favoriser l’investissement productif, freiner la fuite des capitaux et juguler les opérations spéculatives. Les pays émergents dont l’Afrique attend tant n’ont rien fait d’autre que de s’embarquer dans des programmes d’industrialisation exécutés sous le contrôle d’Etats jouant pleinement leur rôle de planificateurs et de régulateurs du processus de transformation et de modernisation de leurs économies.

 

L’Afrique ne pourra faire exception à ces politiques éprouvées si elle veut elle aussi sortir du cycle infernal de la pauvreté, de l’instabilité, de la vulnérabilité aux chocs extérieurs et de la dépendance à l’« industrie de l’aide ».

 

Sanou Mbaye

 
Economiste et écrivain sénégalais, auteur de L’Afrique au secours de l’Afrique, L’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2009.
 
Source: Le Monde diplomatique
 

(1) « Lions on the move : The progress and potential of African economies », McKinsey Global Institute (MGI), Chicago, juin 2010.

(2) « South Africa wants to be a BRIC », The Financial Times, Londres, 25 août 2010.

(3) « Les transferts de fonds des migrants, un enjeu de développement », Banque africaine de développement, Tunis, 2008.

(4) Lire Manière de voir, n° 108, « Indispensable Afrique », décembre 2009 - janvier 2010.

(5) Lire Benoît Lallau, « Quand la Banque mondiale encourage la razzia sur les terres agricoles », Le Monde diplomatique, septembre 2011.

(6) L’Institut africain des sciences mathématiques - Sénégal regroupe : Bénin, Madagascar, Soudan, Ouganda, Gabon, Cameroun, Maroc, Algérie, Congo, République démocratique du Congo, Mozambique, Rwanda, Tanzanie, Côte d’Ivoire, Botswana, Zambie, Egypte et Malawi.

(7) « The middle of the pyramid : Dynamics of the middle class in Africa » (PDF), Banque africaine de développement, Tunis, avril 2011.

 
 
 
 
Tag(s) : #Politique Africaine
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