- Publié le 25 juin 2013
- Écrit par Virgile Ahissou
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Sur fond de polémique juridique autour des deux ordonnances de non-lieu prises par le juge d’instruction Angelo Houssou en rapport avec les dossiers (pas que judiciaires) de tentatives d’empoisonnement du président de la république et de coup d’Etat, les magistrats entament ce mardi une grève de protestation de 72 heures pour dénoncer « des affectations sur mesure ». Un mot d’ordre de grève maintenu malgré des menaces à peine voilées du président de la Cour suprême et premier vice-président du Conseil supérieur de la magistrature.
A la veille de ce mouvement de grève, le gouvernement vient de subir deux revers successifs de la part des plus hautes juridictions du pays.
D’abord, dans un différend commercial qui oppose la direction générale des impôts et des domaines à l’une des sociétés du président (controversé) du patronnât, Sébastien Adjavon, l’Etat béninois est condamné par la cour suprême à « restituer » 14 milliards de Fcfa de tva payé en amont par une entreprise pourtant peinte en spécialiste de fraude fiscale à coups de forte médiatisation. On revoit encore la détermination affichée de la Directrice générale des impôts et domaines qui jurait tout récemment devant le chef de l’Etat, de « donner sa tête à couper » au cas où cette entreprise aurait raison… On aurait même rejeté la demande de règlement à l’amiable introduite par M. Adjavon !
Ensuite, la cour constitutionnelle vient d’invalider le siège de l’un de ses trois membres nommés par le président de la république pour non respect de la condition de 15 ans d’ancienneté au minimum dans la profession de magistrat au titre de laquelle il a été désigné. La désignation du magistrat Euloge Akpo par le chef de l’Etat pour siéger à la Cour constitutionnelle viole donc l’article 115 de la constitution qu’il est censé protéger. Là encore, c’est la crédibilité de la cohorte de conseillers juridiques et politiques du président Yayi qui tombe dans l’univers du doute légitime.
Mais pour le magistrat à la retraite Ismaël Tidjani Serpos, ancien ministre de la Justice, ancien député, c’est à la conscience personnelle de l’intéressé que l’on devrait s’en prendre avant tout. Le 8 Juin dernier, l’ancien Garde des sceaux écrivait sur sa page facebook : «Si magistrat, je suis nommé indument à la Cour Constitutionnelle parce que ne remplissant pas les conditions constitutionnelles d'ancienneté dans cette corporation judiciaire, dois-je me complaire dans cette violation des textes de base de notre démocratie en acceptant d'aller prêter serment pour entamer l'exercice d'une fonction à laquelle je n'ai manifestement pas droit. Pour quelqu'un qui doit prendre part à l'animation d'une institution de cette importance et qui est en charge du contrôle de constitutionnalité, il n'est pas normal de se montrer d'entrée de jeu complice d'une violation de la loi fondamentale, ou complaisant d'une telle violation surtout pour un magistrat; si des conditions ne sont pas remplies, on n'a pas besoin pour sa propre crédibilité d'attendre une décision de la Cour Constitutionnelle pour décliner sa participation.»
De même, nous n’arrivons pas à analyser cette grève des magistrats du Bénin sans évoquer la proximité dans le temps avec une décision attendue de la Cour d’appel au sujet des deux ordonnances de non-lieu du juge Angelo Houssou à la requête des avocats du président Yayi et du procureur de la République qui ont interjeté appel. Déjà reporté une première fois au 24 juin, le délibéré est prorogé une fois de plus au lundi 1er juillet.
Soulignons également que le juge Houssou désormais « célèbre » après son épopée du 17 Mai dernier (http://www.afrika7.com/les-blogs-d-afrika7/benin-angelo-houssou-le-juge-rebelle.html ) s’illustre lui aussi dans une autre procédure parallèle. Il a en effet porté plainte contre le directeur général de la police nationale pour violation des droits de l’Homme, devant la Cour constitutionnelle et une seconde plainte devant le doyen des juges d’instruction avec constitution de partie civile pour violation du secret d’instruction et du secret professionnel, arrestation et détention arbitraire, violence et voies de fait, immixtion dans le jugement d’une affaire judiciaire…
Dans le cadre de la seconde plainte, le Directeur général de la police, Louis Philippe Houndégnon a déjà été entendu le 21 juin dernier par un juge d’instruction. Pas discrètement puisque dès l’annonce de sa convocation par le juge, le syndicat national de la police (synapolice) a offert au public quelques scènes d’agitation et de menace subtile (suscitée ou non, nul ne le sait) avant que le patron de la police n’intervienne pour « calmer le jeu » et indiquer : « J’ai toujours déféré aux convocations que les juges m’adressent dans le cadre de mes fonctions. J’ai toujours été convoqué et j’ai toujours répondu. Je suis pour la paix et je sais que la vérité triomphera.»
S l’on ajoute à tout cela, le grand débat autour de la révision constitutionnelle qui prend corps progressivement dans le pays où « révisionnistes » et « antirévisionnistes » s’activent à qui mieux mieux, comment ne pas voir le pays dirigé par Boni Yayi en pleine effervescence politico-judiciaire ?