Sébastien H. Azondékon, Professeur titulaire d’économie et de gestion au Canada: «Le gouvernement du Changement a tué la croissance par sa gestion du Bénin »
Publié le 15 novembre 2010
Sébastien H. Azondékon est professeur titulaire d’Économie et de Gestion à l’Université du Québec en Outaouais au Canada. Ancien Conseiller Spécial du Président Mathieu Kérékou de 2002 à avril 2006, il jette un regard critique sur le bilan économique du régime du Changement après cinq (05) ans de gestion, accuse le « régime des économistes » de n’avoir pas comblé les attentes des populations béninoises et livre ses recettes pour mettre le Bénin sur les rails de la prospérité économique.
L’Evénement Précis : Quel est votre regard sur l’état de l’économie béninoise ?
Professeur Sébastien Azondékon : Cette question est assez large, mais j’essaierai d’y répondre de façon assez succincte en disant que mon regard sur l’état de l’économie du Bénin n’est pas très différent de celui sur les économies de l’ensemble des pays du continent. Une économie en proie à de sérieuses difficultés dues en partie à la crise économique et financière, mais surtout à des erreurs profondes de gestion dans le cas plus spécifique de notre pays. L’économie de notre pays est aujourd’hui soumise à une rude épreuve à cause des décisions fantaisistes, improvisées et populistes prises au cours de ces cinq dernières années sans égard à la conjoncture internationale et aux vraies capacités de nos finances. Les dirigeants de notre pays ont voulu paraître plutôt que d’être et ce faisant, pressés de produire des résultats à tout prix pour prouver au peuple qu’ils travaillent, ils ont parfois confondu vitesse et précipitation et ont gouverné par la rue en se lançant dans des décisions non documentées à l’avance et non planifiées. On a renvoyé les vrais problèmes de développement aux calendes grecques au profit de résultats rapides, oubliant que l’action politique doit se situer dans la durée et que les résultats rapides ne sont malheureusement pas les plus durables. La preuve, avant la fin du quinquennat, ces résultats ont pris du plomb dans l’aile et l’enthousiasme et l’euphorie du départ ont laissé la place à la morosité, à la sinistrose, au désespoir et à la perte de confiance en le changement au point même où nous vivons actuellement ce que les marxistes appellent une situation révolutionnaire.
C’est dommage, mais il faut l’accepter ainsi et se préparer à changer qualitativement le changement, car un pays ne meurt pas et le peuple béninois a toujours su, face aux difficultés, faire usage de son génie créateur pour trouver dans la sérénité, la paix et la concorde, la solution qu’il faut à ses problèmes et surtout sans recours à une médiation étrangère.
Nous en sommes là aujourd’hui et les acteurs politiques, qu’ils soient de la mouvance ou de l’opposition doivent surmonter leur égo, leurs intérêts personnels et faire preuve de grandeur en montrant de l’amour, du patriotisme, de sens de responsabilité pour s’inscrire positivement dans l’histoire. Ceci ne leur sera possible qu’à travers la préservation des acquis précieux de l’historique Conférence Nationale des forces vives. Des personnalités comme les Présidents Mathieu Kérékou et Nicéphore Soglo en ont donné l’exemple et sont devenus aujourd’hui des icônes pour la marche en avant de ce pays.
On peut accepter perdre en politique pour mieux être compris et mieux rebondir demain. C’est cela être démocrate et, face à la crise tridimensionnelle (politique, économique et sociale) que traverse notre pays aujourd’hui, nul ne peut se permettre de porter sur lui la responsabilité de fossoyeur de nos acquis démocratiques pour lesquels des gens ont perdu leur famille, leur avenir et/ou leur vie. Souvenons-nous de ces gens avant de poser des actes préjudiciables à la démocratie, car le peuple béninois a de la mémoire, il est différent, il peut même pardonner, mais il n’oublie jamais !
Depuis son arrivée au pouvoir, le régime du Changement a tenté vainement de dynamiser le Coton. Quelle solution préconisez-vous pour relever l’économie béninoise ?
Tout d’abord je n’admets pas l’idée de tentatives de dynamisation du coton. Je la rejette catégoriquement et pour moi, il n’y a jamais eu de telles tentatives. La redynamisation du coton n’est pas possible sans les cotonculteurs et si cela est bien compris, tout investissement dans cette filière, pour être rentable, doit aller en priorité aux producteurs que sont nos paysans. Or toutes les mesures prises en faveur de cette filière jusqu’à ce jour n’ont servi qu’à renforcer l’emprise des opérateurs économiques sur les paysans. L’honnêteté nous amène à accepter que, par cette pratique, nos gouvernants n’ont fait que donner à manger à leurs amis pour payer ou s’assurer des butins de campagne. Aucun régime depuis le renouveau démocratique n’y a échappé vraiment en tant que tel. Mais au finish les résultats ont été décevants. La chose s’est aggravée sous le changement et nous a conduits à la catastrophe, mais l’idée à la base a été la même d’un régime à l’autre. Ça c’est mon premier constat.
Le deuxième constat est que je désapprouve l’idée de vouloir faire du coton la cheville ouvrière de notre agriculture alors qu’en réalité il n’a fait qu’aggraver la paupérisation de nos masses rurales. J’en sais quelque chose parce que je suis fils de paysans et du coton (j’y ai passé toute ma jeunesse jusqu’à l’âge de 18 ans). Aucune agriculture, aucun développement économique durable ne peut s’appuyer sur la monoculture. C’est ce qui justifie les échecs répétés de toutes nos tentatives allant dans ce sens, mais nous y persévérons toujours, sans jamais faire vraiment le post mortem de ces échecs.
À quoi sert une agriculture qui affame ses producteurs et son peuple? Comment un peuple peut réfléchir et créer de la richesse s’il est affamé? Toute relance économique, tout développement économique doit d’abord et avant tout s’appuyer sur l’autosuffisance alimentaire ! Ceci est déjà antinomique à la monoculture. Mieux, posons-nous la question suivante : l’emblavure de toutes les superficies cultivables dont dispose notre pays suffit-elle pour ravitailler notre marché intérieur et le seul marché de l’État de Lagos dans la République Fédérale voisine du Nigéria pour ne pas parler des pays de l’Hinterland ? Non. Voilà donc une bonne piste de solution, à savoir, développer la production de vivriers pour assurer notre autosuffisance alimentaire et exporter les excédents dans les pays de la sous région. L’apport financier au budget national dépasserait largement celui obtenu de la culture fétichisée du coton ! L’apport psychologique et social l’est d’autant plus. On n’est pas économiste pour devenir plus bête ! Il faut que nos économistes dans les divers cabinets reviennent sur terre et pensent mieux l’avenir de notre économie et de notre pays pour mieux honorer les connaissances scientifiques qui les habitent. Pour moi c’est une honte de crier coton, et importer des fruits et légumes ainsi que du poisson du Burkina Faso.
Malgré sa proximité avec le Nigeria et les pays de l’Hinterland (Niger, Burkina-Faso…) le Bénin peine à se doter d’une économie prospère. Que doivent faire les autorités béninoises pour mettre à profit cette position géographique selon vous?
Le Bénin ne peine pas à se doter d’une économie prospère, je regrette beaucoup de le dire, mais c’est les gouvernements successifs qui ont manqué de visions pour laisser notre économie dans cet état. En économie comme en gestion, il faut agir en stratège et en visionnaire. Agir en stratège, c’est savoir saisir les opportunités. Nous avons toujours parlé de commerce nord-sud et de culture de rente sans jamais nous soucier vraiment de l’apport d’un tel commerce pour notre économie et notre développement. Si le commerce nord-sud se faisait sans détérioration des termes de l’échange, dans des conditions plus ou moins équitables pour les deux parties, cela serait encore supportable et fortement recommandable. Mais nos dirigeants ont toujours su que la chose n’était pas possible dès lors que le sud n’exporte vers le nord que des matières premières dont les prix sont déterminés par le nord, il est clair qu’un tel commerce ne saurait faire connaître à une économie essentiellement exportatrice de produits de rente comme la nôtre une véritable prospérité eu égard à ce que je viens de dire.
Dans ce contexte, parler seulement de commerce nord-sud peut être suicidaire pour l’économie nationale. Nous devons explorer d’autres opportunités et les saisir hardiment, et dans le cas de notre pays, le commerce sud-sud, eu égard à ce que j’ai dit dans ma réponse à votre question précédente, prend tout son sens. Nous avons des conditions climatiques enviables par les pays de l’Hinterland, nous avons à côté un très grand marché qu’est le Nigéria et qui peut difficilement nourrir sa population sans recourir à des apports alimentaires extérieurs que toute notre agriculture, même mécanisée ne pourrait satisfaire. C’est une aubaine pour notre économie que tout gouvernement devrait saisir. C’est cela mettre à profit notre positionnement géographique. Ne pas le faire et continuer à gloser que l’agriculture est la base de notre développement, c’est grave !
Aussi ce positionnement géographique devrait nous permettre de jouer notre rôle de pays de transit et développer au maximum les industries de services, les sécuriser et attirer les investisseurs à préférer faire des affaires à partir du Bénin par exemple avec le Nigéria où les conditions de sécurité sont presque inexistantes, avec le Burkina ou le Niger qui aux plans climatique et démocratique sont plus problématiques. Cela suppose que nous préservions et renforcions nos acquis démocratiques, que nous revoyions complètement notre code des investissements dans le souci de le rendre plus attractif que celui de tous nos voisins, que nous éradiquions la corruption, le recel, la criminalité. C’est ça le changement ! Malheureusement le gouvernement actuel est complètement passé à côté et a passé tout son quinquennat à faire de la politique et de la campagne électorale. Résultat, il vit durement aujourd’hui les conséquences de son action sans aucune garantie de survie pour lui, parce que n’ayant pas pu donner cette garantie de survie à son peuple ! Sur ce plan, je juge vraiment déplorable le dernier conflit commercial avec la République voisine du Niger, car n’est pas économiste, ni gestionnaire, toute personne qui ne comprend pas aujourd’hui que la compétitivité d’un pays réside avant tout dans sa capacité à élargir sa part de marché et non à la rétrécir via l’augmentation insensée des prix. En amenant le Niger à décider de transiter ses marchandises par d’autres ports que Cotonou, nous avons rétréci notre petite part de marché à une peau de chagrin. Les conséquences, elles sont là qui compromettent toutes les ambitions de rempilage de nos gouvernants. C’est clair et net.
A son arrivée au pouvoir en avril 2006, le Dr Boni Yayi a promis la croissance à deux chiffres au peuple béninois. Comment expliquez-vous que cette promesse soit encore à l’étape de vœu pieux?
La promesse est une dette. Et, comme on le dit, qui paye ses dettes s’enrichit. En politique, s’enrichir c’est croître en popularité. Or aujourd’hui, la côte de popularité du gouvernement actuel est des plus basses jamais vues dans notre pays depuis le renouveau. Cela veut dire qu’il n’a pas payé ses dettes envers le peuple. Il lui a promis la croissance à deux chiffres, mais n’a pas pu livrer la marchandise ; nous sommes pratiquement à une croissance négative qui, si la tendance actuelle se maintient, risque de devenir négative à deux chiffres avant les prochaines élections.
À quoi cela est dû ? Aux mauvais choix des investissements, aux décisions hasardeuses, précipitées et non documentées, à l’improvisation, au gaspillage, au populisme financé et entretenu pendant cinq ans sans arrêt qui a fini par montrer ses limites aujourd’hui, aux scandales de toute sorte et à la montée en flèche de la corruption ainsi qu’au non respect de la parole donnée. Bref, l’erreur capitale du gouvernement du changement est d’avoir tué la croissance par sa propre gestion des affaires du pays. C’est dommage qu’on en soit arrivé là, mais les indices d’une telle situation se trouvaient déjà dans la charte de gouvernement du Chef de l’État. Il suffisait simplement de la lire de façon critique pour s’en apercevoir, mais l’euphorie du moment ne pouvait permettre qu’aux plus avertis de le faire et ils n’auraient été écoutés de personne en ce moment-là. Trop de centralisation tue la gestion, tue la croissance. Je me souviens avoir étudié ce document (la charte) avec un ami qui m’avait taxé de tous les noms en 2006 et qui aujourd’hui ne rate aucune occasion pour me présenter ses excuses. Les obstacles ne sont nulle part ailleurs, c’est là et tous les acteurs ayant œuvré au sein de ce régime en sont comptables. Je suis étonné et peiné d’entendre aujourd’hui des acteurs de premier plan vouloir s’en dissocier et pousser le ridicule jusqu’à dire qu’ils ont de grands projets pour le Bénin ! Où les avaient-ils cachés pendant qu’ils faisaient la pluie et le beau temps et se targuaient d’être le cerveau pensant du régime ? Pensent-ils que le peuple béninois est aussi bête pour les dédouaner aussi facilement ? Savent-ils au moins qu’en matière de compétence, ils sont loin d’être classés dans la crème de ce pays ? S’ils ont réussi pour un temps à duper leur patron et le pays, ils doivent savoir que cela ne pourra pas leur permettre de passer inaperçus pour oser solliciter un quelconque mandat après une telle trahison !
Dès lors, que doit-on faire pour faire du Bénin un pays économiquement émergent comme Singapour ?
D’abord, combien de pays émergents y a-t-il en Afrique aujourd’hui ? Cessons de parler d’émergence alors que nous sommes encore quasiment à la queue dans la liste des PMA. Pour moi, passer de quasi queue des PMA à émergent est un miracle que notre peuple ne demande encore à aucun de ses dirigeants ni aspirants à la magistrature suprême. Lorsqu’on n’a pas les moyens de sa politique, on fait la politique de ses moyens. Parlons plutôt de prospérité. Le peuple demande à tous ceux qui aspirent à le diriger de faire du Bénin un pays prospère. Cela témoigne de la volonté politique, de l’amour pour le pays, de la vision, de la détermination, de l’ambition, du projet, d’une équipe et d’un leadership conséquent pour rassembler le peuple et mobiliser les moyens indispensables à cet effet.
Pensez-vous que le secteur privé est réellement valorisé au Bénin ?
Comment puis-je penser une telle chose avec ce qui se passe dans le pays ? Dans un pays qui veut aller de l’avant, le capital privé national doit avoir une place de choix. Or la politique du gouvernement actuel est de ruiner ce capital privé national au profit des investisseurs étrangers. Le bradage de nos entreprises nationales à des intérêts entièrement étrangers en est une illustration frappante. Comment voulons-nous ainsi développer chez nous une culture d’entrepreneurs et l’éclosion d’entreprises nationales des instruments précieux pour la création d’emplois durables en vue d’endiguer la montée fulgurante du chômage surtout juvénile. La promotion de l’entreprenariat est une condition nécessaire au développement économique et social et il n’y a point d’émergence envisageable sans elle. On ne peut donc logiquement pas prétendre promouvoir l’entreprenariat en ruinant le capital privé national. Or que constatons-nous aujourd’hui dans notre pays ? Nos entrepreneurs nationaux sont soumis à toute sorte de harcèlements (fiscaux, douaniers, administratifs, moraux, psychologiques et autres) qui les conduisent à la faillite. Un mort peut-il créer d’emplois alors que mourir c’est cesser de faire l’histoire? Je suis donc au regret de vous dire que, dans les conditions actuelles, le secteur privé n’est pas valorisé.
Quels sont selon vous les impacts de la dette extérieure sur le développement du Bénin?
L’endettement extérieur n’est pas un crime. Je dirai au contraire qu’il est difficilement évitable. Mais s’il doit aller au bouclage du fonctionnement de l’État et de la rémunération des salariés, c’est à coup sûr du mauvais endettement, car il signifie que nous ne produisons pas assez de richesses pour couvrir nos coûts de gestion. Dans ce cas, nous sommes condamnables pour n’avoir pas su adopter une politique qui ait pour fondement philosophique la valorisation de la création de la richesse par le travail. Nous n’avons pas su inculquer à notre peuple les nobles vertus du travail créateur de richesse. Si l’endettement doit aller aussi à des dépenses de prestige, ou à des investissements non productifs, c’est également à coup sûr du mauvais endettement, car il n’y a pas de retour sur investissement. Ces deux types d’endettement extérieur pénalisent à court, à moyen et à long termes le développement du pays. Ils sont peu responsables, car ils hypothèquent l’avenir de nos enfants et petits-enfants qui, sont débiteurs dès leur naissance, puisque nous avons vécu à crédit, crédit que nous leur avons légués en héritage !
Mais si l’endettement doit aller au développement, c’est un bon endettement, car il est créateur de richesses qui serviront à son remboursement. C’est de tels endettements qui sont contributifs à notre prospérité et nous devons savoir en faire un bon usage pour qu’ils portent absolument fruit. Seul un tel endettement extérieur du Bénin est porteur d’espoir et d’espérance, mais à condition toutefois d’être bien géré et bien orienté et c’est là où le bas blesse dans le cas de la gouvernance actuelle. Le régime du changement a opté dès son avènement pour la politique des grands travaux. C’est à première vue une bonne chose, mais il faut faire attention.
La politique des grands travaux, si elle est bien menée, peut être source de création de beaucoup d’emplois, et de ce fait, très contributive au développement et à la croissance. Cela va se ressentir aux yeux et au panier de la ménagère. Elle devient alors une politique créatrice de richesses.
Mais la politique des grands travaux, si elle est mal menée, peut aussi être source de détournements, de corruption, de scandales de toutes sortes, qui, plutôt que de contribuer à la croissance et au développement, peuvent ruiner le pays en semant la pauvreté, la misère, la désolation, le désespoir pour le peuple et l’enrichissement sauvage et illicite pour les dirigeants. Cela va se ressentir aux yeux, mais pas au panier de la ménagère. Elle sera source de tensions, de révoltes, et de situations insurrectionnelles qui, si l’on ne sait pas faire, emporteront tout sur leur passage. C’est dans de telles situations que la criminalité surtout à cravate et à « agbada trois pièces » trouve son terrain de gestation le plus fertile et monte en puissance. Nous sommes pratiquement dans une situation similaire et les acteurs politiques doivent surmonter leurs égos pour préserver les acquis de la Conférence Nationale des Forces Vives de février 1990. Tout recul serait suicidaire et les sacrifices consentis pour l’obtention de ces acquis réclameront vengeance ! Nul parmi les auteurs ne sera à l’abri et ce serait dommage !
Nous venons de parler de la dette extérieure, mais n’oublions pas également la dette intérieure qui est devenue explosive. C’est très préoccupant, car cette dernière, en quatre ans, a plus que doublé. Malgré tous les emprunts obligataires lancés par le gouvernement pour financer le développement, emprunts auxquels nos travailleurs, malgré leurs maigres revenus ont largement souscrit, l’État n’arrive plus à honorer ses engagements envers ses prestataires de services. La banqueroute est quasiment à nos portes et ne pas le reconnaître maintenant pour rechercher les voies et moyens de l’éviter et qui passent avant tout par un consensus national et un apaisement du climat social serait une erreur très grave !
Êtes-vous satisfait du bilan économique du régime du Changement au soir du mandat de cinq ans du président Boni Yayi?
Je ne voudrais pas être un intellectuel de mauvaise foi pour rejeter en bloc tout ce qui a été fait, mais permettez-moi de reconnaître honnêtement que le bilan économique du régime du changement, après plus de quatre ans de règne, n’est vraiment pas élogieux. Ne pas le reconnaître serait ni plus ni moins verser dans l’hypocrisie qui, par les temps qui courent, ne sied plus à quelqu’un qui a souffert pour ce pays. Sur ce point précis, je demande à vos lecteurs de me permettre d’être un peu plus direct, un peu plus sévère et un peu plus long, car le Chef de l’État actuel et ses cadres les plus écoutés sont des économistes.
Bien sûr, nous voyons des réalisations comme les passages supérieurs, les villas de la CEN-SAD, l’échangeur de Godomey, quelques rues réfectionnées ou agrandies à Cotonou, certains axes routiers bitumés au Nord du pays, nous entendons parler des mesures comme la gratuité de la césarienne, la gratuité des soins pour les enfants de 0 à 5 ans, la gratuité de l’école, le service militaire d’utilité publique pour résorber le chômage, etc. Les économistes du régime se plaisent aisément à citer ces choses, mais ils oublient malheureusement de se poser un certain nombre de questions, notamment : si ces réalisations ont porté fruits, pourquoi alors le régime est très largement rejeté de ceux-là qui, il y a 5 ans, l’avaient plébiscité à 75% ?
Pourquoi la misère est devenue si insupportable dans le pays au point où les gens regrettent le régime précédent ? Pourquoi alors ces réalisations au lieu de générer de la croissance à deux chiffres ont généré la catastrophe (croissance négative) ? comment s’explique alors la situation de crise tridimensionnelle (politique, économique et sociale) profonde que traverse le pays aujourd’hui ? Ce sont autant de questions dont les réponses correctes et objectives permettraient de faire un bilan objectif. Le temps de cette interview ne me permet pas de répondre de façon exhaustive à ces questions, mais je vais m’y essayer et en toute objectivité. J’ai déjà parlé des conséquences d’une politique des grands travaux mal menée. J’ajouterai à cela dans cette rubrique que, la plupart de ces travaux ont été improvisés sans étude et planification sérieuses à la base, sans priorisation, mais dans un populisme et un zèle de prouver que le Chef de l’État était le meilleur Président que le Bénin ait connu dans toute son histoire ! Au fait, quelle analyse économique a pu conduire à la décision de l’aéroport de Tourou alors que la route Cotonou-Malanville est impraticable sur les tronçons Cotonou-Bohicon et Parakou-Malanville ? L’Assemblée Nationale s’y est opposée, mais le gouvernement a pris une ordonnance pour engager 30 milliards CFA ! Cet excès de zèle poussait même des courtisans à dire partout que le Président Yayi a été le premier Président à avoir fait ci ou ça, juste pour lui plaire ! L’homme de pouvoir aime ça, mais pour ne pas se laisser envoûter par de telles déclarations, il doit chercher à s’assurer que tout ce qu’on lui dit et lui rapporte est vrai, car comme on le dit, de la tour d’ivoire, à ton tour d’y voir. Mais cela le Chef de l’État n’a pas su le faire à mon avis. Résultat, c’est tous les scandales qui l’inondent aujourd’hui. On lui ment, on le flatte pour survivre et lui aussi l’accepte oubliant peut-être qu’il en est responsable !
Parlons un peu des mesures sociales. Les économistes du régime ont-ils réellement fait une étude de faisabilité des trois gratuités (césarienne, soins, école) avant la prise de ces décisions ? Si oui, à combien avaient-ils estimé les coûts correspondants ? Que Monsieur Koupaki nous dise en tant que Ministre des finances de l’époque le rôle qu’il a joué dans l’analyse et la prise de ces décisions. Il les avait acceptées et avalisées alors qu’une analyse somme toute très sommaire permettait de conclure à l’infaisabilité de ces décisions. Ne pas l’avoir fait et ne pas avoir tiré ses révérences en ce temps et laisser ces décisions pourrir l’économie pour dire après 5 ans qu’on veut opérer une rupture dans la façon de faire de la politique, ou que l’on veut promouvoir l’éthique en politique ou encore qu’on a de grands projets pour le pays après avoir traité quelques semaines auparavant les victimes de l’affaire ICC-services de complices, c’est prendre et le peuple et les intellectuels béninois pour des idiots. Nous sommes très loin de l’être et notre pays regorge d’intellectuels, d’économistes de renommée mondiale capables de mieux orienter et planifier son développement. Aucune de ces gratuités n’est encore effective aujourd’hui, parce qu’incompatible avec la contrainte véto de disponibilité budgétaire. N’est-ce pas là une des sources du rejet du changement que nous constatons aujourd’hui ?
Et le service militaire d’utilité publique comme source de création d’emplois ? Comment avons-nous permis à des économistes d’en arriver à de telles décisions alors que le régime du PRPB que nous accusons de tous les maux a appliqué cette mesure et a fini par conclure à son inefficacité puis l’a abrogée à la grande satisfaction de tous ? Le peuple a sa part de tort, car l’euphorie ne doit pas nous faire perdre de vue les expériences non concluantes du passé. Si des économistes voient encore aujourd’hui que la création d’emplois, la lutte contre le chômage doivent se faire à travers le service militaire fût-il d’utilité publique, alors je dis que mon pays a de sérieux problèmes en sciences économiques. Que faisons-nous alors du développement de l’entreprenariat ? Que faisons-nous de la révision de notre code des investissements ? Que faisons-nous alors de la modernisation de notre économie etc. ? L’échec du régime du changement est celle d’une équipe et non des intellectuels du pays, car tous les cadres du Bénin ne sont pas des incompétents et en disant cela, notre peuple peut être amené à tort à vouloir tourner dos au savoir. Un pays qui tourne dos au savoir est voué à sa perte. Le Chef de l’État a commis une erreur dans sa façon de se faire entourer, car ce pays regorge d’économistes et de gestionnaires qui ont fait leurs preuves à l’intérieur comme à l’extérieur et qui, au regard de cet échec et de son interprétation, doivent se sentir insultés par de telles approches !
Il faut aussi ajouter à la débâcle économique actuelle l’augmentation abusive des coûts de gestion, un record dans l’histoire de notre pays ! Qu’est-ce qui a justifié le passage des salaires mensuels des ministres de la République de 500 ou 600 mille CFA à près de 2 millions CFA ? Dans quel système économique sérieux peut-on passer à une augmentation salariale du simple au triple pour les dirigeants alors que les travailleurs producteurs de la richesse sont laissés à leur niveau de traitement antérieur ? Et les traitements des conseillers, des directeurs ? Et les avantages liés à ces différentes fonctions. Et tous ces véhicules haut de gamme achetés sans compter ? Et les fonds investis dans le financement des marches de soutien ? Voilà les vraies raisons de la situation actuelle. En de pareilles circonstances, face à une crise économique même d’ampleur moindre, dans un pays bien géré, le gouvernement commence par donner le bon exemple en coupant dans son train de vie, mais chez nous, le régime actuel a fait exactement le contraire et a demandé encore au peuple de faire des sacrifices. Les soulèvements actuels ne sont pas une fatalité, mais plutôt les conséquences de l’action gouvernementale défaillante.
Aujourd’hui, le travail a perdu sa vertu de créateur de richesse au point où les gens préfèrent se livrer à de l’activisme politique pour s’enrichir. Comment cela n’impacterait-il pas négativement sur le développement du pays ? Regardez bien ce qui vient de se passer au Chili, où le Président Sébastien Piňera a montré l’exemple de la valorisation de l’être humain, capital le plus précieux de la société, à tous les pays du tiers-monde et même aux pays développés en mobilisant tous les moyens disponibles pour sauver la vie de 33 mineurs d’une profondeur de près de 700 mètres et comparez un peu cela à la négligence dont sont aujourd’hui victimes des centaines de milliers de populations de notre pays sinistrées par les inondations. Comment devant de tels sinistres l’on peut se permettre de les inviter à aller se faire recenser pour la Lépi au lieu de penser à leur fournir de l’assistance ? Souvenez-vous des débuts du Changement où le Chef de l’État devant de telles inondations fonçait dans les mares pour aller donner du support aux victimes. Il suscitait leur admiration non ? Mais voyez aujourd’hui où il survole leur sinistre en hélicoptère et ses sbires leur parlent de se faire recenser pour la Lépi ! Il a perdu leur admiration et elles le boudent non ? Cela explique tout à mon avis et mérite réflexions de sa part.
Enfin, je tiens à dire au Chef de l’État lui-même que deux fois la même erreur ce n’est plus une fatalité ! À force de marginaliser les partis politiques, il a fini par réveiller l’opposition. Cela a eu comme effet bénéfique pour le peuple de renouer avec le fonctionnement démocratique, car il n’y pas de démocratie sans opposition. Il vient de restreindre les libertés en interdisant les marches au sujet d’une affaire dont il devait laisser entièrement la gestion dans les mains de la justice. Résultat immédiat, formation d’une alliance très redoutable pour lui, mais très salutaire pour notre démocratie, le Front pour la Défense de la Démocratie (FDD). Le Bénin est différent et attention, lorsque vous victimisez quelqu’un, ce peuple en fait toujours un héros ! Je ne saurais finir cette interview sans avoir une pensée pour les victimes du scandale ICC-Services et consorts. Ce scandale a ruiné des centaines d’épargnants béninois. J’utilisais, il y a de cela encore quelques mois, le modèle de l’entonnoir, parlant de la gestion faite par le gouvernement de ce dossier. Cela se confirme, car les possibilités de remboursements se sont réduites à une peau de chagrin aujourd’hui. Pourtant des acteurs de premier plan du moment ont sorti deux mémorandums l’un sur ce sujet et l’autre sur l’affaire CEN-SAD qui visiblement accablent le gouvernement. Je suis étonné que, contrairement à ses habitudes, ce dernier (le gouvernement) n’ait donné aucune réplique à ces accusations. Devrions-nous considérer ce silence comme une reconnaissance tacite de l’irréfutabilité et de « l’irrécusabilité » des preuves contenues dans ces deux documents ? Je deviens trop long et préfère m’arrêter là aujourd’hui pour cette première contribution. Loin de moi l’idée d’offenser qui que ce soit, mais je suis seulement animé du désir de faire avancer les débats aujourd’hui en cours. Je compte que les acteurs politiques, de quelque bord qu’ils soient, y trouveront leur compte.
Entretien réalisa par Jean-Claude DOSSA