24-02-2010
Le retraité béninois ou comment tuer son ennui de désœuvré
Écrit par Roger Dgbégnonvi
Pathétique appel téléphonique. Il dit son nom qui ne me dit rien. Mais ce n’est pas grave. Il ajoute qu’il vient de retrouver dans ses affaires le texte d’une vieille communication que j’avais faite il y a environ vingt ans à une assemblée de retraités à l’INFOSEC de Cotonou. Il m’appelle parce qu’il a un vrai problème.
Quel problème ? Lorsque les enfants sont partis pour l’école et que maman est sortie pour son petit commerce, il sort lui aussi et se met au bord de la route. En regardant circuler les véhicules à quatre roues, il se demande s’il ne vaudrait pas mieux pour lui de se jeter sous l’un d’eux pour en finir. ‘‘Pourquoi ? Vous n’avez pas régulièrement votre pension ?’’ Il me répond sèchement : ‘‘Ce n’est pas un problème d’argent. On s’ennuie. Faites quelque chose pour les retraités !’’ Je prends ses coordonnées et reste un instant affalé. Qu’est-ce que je peux ? Qui peut quelque chose ?
Les mauvaises solutions pour tuer l’ennui
Pour autant que je me souvienne, dans la communication à laquelle il a fait allusion, j’avais pris d’un peu haut cette assemblée de retraités, je les avais quasiment soupçonnés d’égoïsme au motif qu’ils n’avaient rien à demander à l’Etat au moment où leurs enfants et petits-enfants étaient dans la rue avec plein de diplômes dans leurs poches. C’est d’eux que l’Etat devait s’occuper et pas de ses retraités. Avais-je, à l’époque, mal compris leur problème ? Compris qu’ils voulaient encore des subsides de l’Etat alors qu’ils souhaitent simplement qu’on leur tendît la main pour les aider à tuer leur ennui mortifère, ennui de retraités désœuvrés ?
De toute façon, aujourd’hui encore, je persiste et signe : l’on ne saurait demander à l’Etat ni à aucune entreprise privée ou semi-publique de continuer à prendre en charge d’une autre manière ses travailleurs à la retraite que de leur payer régulièrement leur pension. Ce ne sont pas des enfants ni des gagas, ils peuvent et doivent se prendre en charge eux-mêmes. Certains d’entre eux le font d’ailleurs à leur manière redondante. Beaucoup d’enseignants et de membres du corps soignant tuent leur ennui en continuant à enseigner et à soigner, quitte à se faire directeurs-fondateurs d’école ou de clinique. Evidemment la question se pose : à quoi sert la retraite si le retraité s’investit dans la même activité dont il s’est retiré, dont on l’a du moins retiré, s’il continue de s’y investir à un degré parfois plus intense que lorsqu’il était officiellement en activité ? N’allons pas trop vite en besogne : il ne s’agit pas toujours et pas seulement de continuer à gagner de l’argent mais aussi et peut-être surtout de tuer l’ennui pour qu’il ne vous tue pas. C’est pour cela aussi que certaines femmes retraitées s’adonnent à quelque petit commerce, quitte à vendre de l’eau glacée ou du yaourt-maison. Pourquoi pas. S’agissant de tuer l’ennui, il ne saurait y avoir de sots moyens.
L’ennui reste néanmoins la chose du monde la mieux partagée dans le monde de nos retraités, car tous ne sont pas enseignants ou membres du corps soignant, toutes ne peuvent pas se reconvertir à la vente du yaourt, l’on ne voit pas les cheminots créer leurs propres lignes de chemin de fer ni les magistrats créer leurs propres tribunaux. Demeure donc entier le problème de l’ennui à tuer. M’est avis que c’est pour le tuer que certains hommes s’embarquent dans de nouvelles épousailles avec une jeune femme de trente ans leur cadette et qui leur fera des enfants prédestinés à être précocement orphelins de père, lequel père se sera occupé, aura tué son ennui à les mettre au monde. On ne peut pas dire que le procédé soit d’une gentillesse extraordinaire ni pour la veuve ni pour les orphelins. Procédé à condamner plutôt. A condamner sans ambages le procédé qui consiste à plonger dans l’alcool, procédé adopté ‘‘consciemment ou inconsciemment’’ par certains retraité pour tuer l’ennui. Mais c’est se suicider doucement au lieu que mon interlocuteur a pu envisager de se suicider violemment. Doucement ou violemment, la différence tient de la nuance sémantique.
Les bonnes solutions possibles pour tuer l’ennui
Ennui et suicide. Qui eût cru possible au Bénin la jonction des deux termes avec lien de cause à effet ? Jusqu’à l’appel pathétique de mon interlocuteur, je l’aurais considérée, dans le cadre de notre pays, comme une hypothèse d’école. On s’y suicide rarement pour des raisons d’honneur mais jamais pour des raisons d’ennui. Or d’après mon interlocuteur, la tentation existe. Pour ne pas y succomber, les Européens et les Nord-Américains retraités, dont les pensions sont substantielles et qui ont fini d’élever leurs deux enfants au maximum ou qui n’en ont pas élevé du tout, tuent l’ennui en voyageant beaucoup à l’intérieur de leur continent et parfois à travers le monde pour voir tout ce dont la mort prochaine les priverait à tout jamais. Le retraité béninois, s’il veut découvrir le Ghana ou le Burkina Faso, en a-t-il les moyens ? Et même s’il en a les moyens, en a-t-il l’idée, en a-t-il la mentalité ? Notre économie nous interdit toute aventure touristique ou d’explorateur. Nous n’allons pas à la rencontre du monde. Nous voyageons pour aller voir un parent proche ou lointain, pas pour enfermer notre valise dans une chambre d’hôtel (ça coûte les yeux de la tête à l’aune de nos salaires) et aller éventer à pied ou en taxi les secrets de Bobo-Dioulasso.
Alors que reste-t-il au retraité béninois à faire pour tuer l’ennui ? Il ne serait pas surprenant que l’ennui y soit pour quelque chose dans le faste et la longueur des obsèques. Le cas échéant, si l’on pratiquait dans ces cérémonies ruineuses une coupe radicalement sombre et que l’on arrêtait la production de veuves et d’orphelins pour cause d’ennui à tuer, peut-être arriverait-on, grâce aux économies ainsi réalisées, à s’offrir une retraite qui nous rapproche de l’Allemand ou de l’Américain, à l’intérieur strictement des frontières du Bénin. Se déplacer vers l’océan Atlantique côté Grand-Popo ou vers les montagnes de l’Atakora côté Natitingou, juste pour une semaine de dépaysement et pour le plaisir de mieux connaître les concitoyens de cette partie du pays, comment ils vivent, comment ils mangent, pourquoi ils dansent comme ils dansent, etc. Et si une semaine n’y suffit pas, on reviendra l’année suivante.
A suivre …