LETTRE OUVERTE DE L'HONORABLE ASSAN SEIBOU A Boni YAYI (Suite)
A- L’assainissement des finances publiques et la transparence
Le domaine dans lequel l’échec du changement à la YAYI Boni est patent et irrévocable, c’est l’assainissement des finances publiques.
1- La base de la gestion des finances publiques est le respect de l’orthodoxie financière qui passe avant tout par l’observance des prescriptions du budget de l’Etat voté par l’Assemblée nationale. Il est de stricte obédience de budgétiser toutes les recettes de l’Etat et de n’engager que les dépenses autorisées, bien entendu selon les normes, les procédures et les proportions fixées par la loi. Dans ce sens, la gestion des ressources de l’escorte des véhicules d’occasion restera dans la mémoire des Béninois un cas d’école s’agissant du viol de l’orthodoxie budgétaire, un chef-d’œuvre de détournement de fonds au sommet de l’Etat. Même si les dénonciations croisées du scandale ont fini par contraindre le gouvernement à une approximative lisibilité du dossier, nous avons tous enregistré là une preuve accablante de l’anarchie financière du gouvernement YAYI.
2- Comme moi, vous avez été témoins devant vos écrans de télévision, du nombre incalculable de fois où, lors de ses tournées, le président de la République improvise en direct et de manière caricaturale les dépenses publiques au nom de la nation. Qui de nous n’a frémi lorsque, sur le chantier du stade Charles de Gaulle de Porto-Novo, il a invité l’entrepreneur au palais de la présidence (apparemment devenu sous le changement l’agence centrale du Trésor) pour percevoir son dû,… des milliards de francs ! Je sais que vous n’oublierez pas non plus les décisions spontanées prises en plein meeting sous le charme des chatoyants bains de foule offerts par les femmes en liesse, d’augmenter de plusieurs milliards de francs les crédits de la micro-finance gouvernementale dont les comptes sont résolument murés dans l’opacité.
3- Vous vous souvenez du scénario blasphématoire où le député CAKPO Robert, sur nos écrans, comparait la bonté du Dieu Tout- Puissant à celle du président YAYI…à l’incontestable avantage de ce dernier. Notre ancien parlementaire expliquait avec une candide dévotion qu’à la différence de notre Créateur, YAYI accorde ses bienfaits « aussitôt dit, aussitôt fait », sans attendre nos prières de pauvres mortels. En effet le président en visite sur les lieux venait d’ordonner à l’improviste la reconstruction de l’école du quartier qui menaçait ruines, et l’on rasait derechef les honteuses masures en vue de réaliser l’impériale décision. Mais, souvenez-vous-en, bien des mois plus tard, les riverains déclenchaient un mouvement de protestation parce que depuis la démolition, ils n’avaient rien vu de nouveau sur le site désespérément jonché de gravats. Rien d’étonnant : on en était toujours à la recherche du financement du projet, le président ayant lui-même nommé l’entreprise chargée des travaux. Cet exemple parmi tant d’autres, stigmatise un style de gouvernement particulièrement apte au pilotage à vue et à la désinvolture budgétaire.
4- Les ordres de paiement ou OP (décaissement sur simple ordre, en marge de la procédure normale) ont toujours été critiqués comme la source, oui, du désordre budgétaire. Il en avait été fait un usage incontrôlé par le passé. Dans une adresse solennelle à la nation en 2006, le président YAYI promet de mettre fin à cette illégalité : trois ans plus tard, en 2009, l’émission des OP a gangrené les finances publiques pour pulvériser le record de tous les régimes antérieurs réunis (on a récemment avancé le chiffre de 90 milliards en trois mois). La démagogie ayant atteint ses limites, l’épreuve des faits et des chiffres a remis le Bénin à la fin 2009, dans l’étau du FMI et de la Banque mondiale, sous la propre signature de notre ministre des Finances : le gouvernement du « changement » avoue piteusement aux gendarmes de la finance internationale que sa trésorerie est dans l’impasse ; que sa gestion des fonds publics doit se plier aux normes ; et, confessant la lamentable tricherie, reconnaît que son budget de 1300 milliards brandi en triomphe avant d’échouer dans une ordonnance, n’atteint guère les trois quarts du chiffre mythique proclamé. L’opposition parlementaire avait été diabolisée à profusion par le même gouvernement pour le rejet du même budget...Un budget allègrement malmené par la risée extérieure : sur la chaîne de télévision AFRICA 24, le ministre togolais des Finances l’a qualifié de « budget fictif » (soulignant, dans le même propos, que les investisseurs fuient le Bénin). Qui, du reste, peut nous dire lequel des budgets est mis à exécution cette année : celui renvoyé par le Parlement, celui des improvisations, celui communiqué au FMI ou celui rectifié par le FMI, tous différents les uns des autres ? Et cette épée de Damoclès, l’injonction faite par le FMI de n’exécuter qu’à 40% le budget imaginaire ? Pauvres de nous !
Nous voici plus de vingt ans en arrière, sous ajustement structurel comme en 1988. Incrédulité ou amnésie, nous n’en prenons pas encore la mesure : oui, le pire est toujours à venir et nous sommes habitués à agir après coup ; oui le peuple n’a pas de mémoire. Mais l’imminence est à nos portes ; pour vous en convaincre, lisez les banderoles, écoutez les syndicalistes avertis et non les « patriotes ». J’espère que nous n’attendrons pas les licenciements, les départs ciblés, les fins de mois incertaines et tout le cortège de misères avant de réagir.
5- C’est sans doute pour avoir compris que le peuple risque de ne pas lui être indulgent que le docteur YAYI BONI, notre économiste-président, se livre à la distribution gratuite et à grande échelle d’argent frais. Il devrait d’ailleurs, au nom de la transparence « émergente », expliquer publiquement comment il gagne tant d’argent au moment où tous ses compatriotes deviennent chaque jour plus pauvres, où les affaires ne marchent plus, et où l’Etat augmente à des taux hors normes tous les prix : ciment, électricité, eau, carburant, etc.
B- Le soutien à la presse et la sauvegarde de la liberté de presse
Le baromètre de la démocratie se lit en termes de liberté d’expression et de presse. Sans fausse modestie, depuis la Conférence nationale, nous avions des raisons d’être fiers de notre presse. Mais à écouter les professionnels eux-mêmes, et à observer un certain nombre de faits et d’indicateurs depuis l’avènement du « changement » de YAYI, il faut sonner l’alarme face au recul de la presse causé par une politique surgie du fond des âges.
6- Commençons par les contrats inouïs que ce gouvernement a établis et maintes fois renouvelés avec les organes et entreprises de presse. On tente de dédramatiser cette sombre manigance, elle reste une flétrissure pour la noblesse du métier. L’aide à la presse relève des obligations constitutionnelles de l’Etat, nulle part la loi ne prévoit de contrepartie, a fortiori la fameuse clause liberticide selon laquelle les media signataires d’un quelconque contrat sur fonds publics ne doivent pas critiquer le gouvernement. Cette insulte à la déontologie se double d’une monumentale escroquerie car l’argent du contribuable sert frauduleusement à museler la presse et, de fait, à priver le citoyen de son droit constitutionnel à l’information pour lui asséner la propagande gouvernementale. La dignité du journaliste, déjà mise à mal par la précarité d’un emploi mal rétribué, se voit à présent reléguée au rang de mercenaire de la communication. Cette intolérable atteinte à l’éthique et à l’indépendance de la presse est l’une des marques les plus sévères de la dérive autocratique et totalitaire du règne YAYI.
7- Le traitement infligé à la presse publique et aux media de l’Etat relève tout simplement du monolithisme primaire et atteste le peu de respect du pouvoir à l’égard du citoyen. L’ORTB, que finance l’ensemble du peuple béninois est devenu un peu comme propriété privée de YAYI et du parti présidentiel FCBE. Son directeur général, M. Julien AKPAKI, excelle particulièrement à marginaliser l’opposition dans l’accès à l’antenne pour en conserver la presque exclusivité aux émissions du pouvoir : audiences officielles, meetings à la gloire du monarque, voyages présidentiels… On se prend à rêver à la période de grâce qui remonte à la Conférence nationale (et même avant) et s’arrête à l’avènement de YAYI en 2006 : durant ces dix-huit années où fleurissait la liberté d’expression (elle germait déjà en 1988, sous le parti unique, avec deux grands organes indépendants), les media de l’Etat étaient si libres et autonomes qu’ils apparaissaient singulièrement plus ouverts à la parole de l’opposition qu’à celle du pouvoir. La nation entière était fière de sa presse publique et de ses journalistes. Aujourd’hui ils sont à plaindre, les malheureux journalistes fonctionnaires de l’Etat, pris en étau entre les nobles exigences de leur métier et l’ombre menaçante d’un pouvoir allergique à la critique et à la différence. Je me dois de saluer le courage et la grandeur de ceux d’entre eux qui, à l’occasion, rappellent par leur prestation, que l’espoir d’une presse de service public, libre et impartiale, est encore permis.
8- Vous ne le savez peut-être pas, ils sont souvent punis, ces professionnels, pour avoir exercé leur métier suivant la déontologie et les règles de l’art. A Parakou et à Natitingou, on vous donnera une liste de journalistes qui ont été inquiétés ou ont vu leur contrat suspendus sous la pression des autorités pour avoir donné la parole à des indésirables, entendez des opposants. Vous savez tous la mesure de suspension administrée à la radio CAPP FM pour avoir diffusé une émission d’opinion portée par une ONG (de la société civile non gouvernementale).
9- De son côté, la HAAC actuelle ne recule devant aucune initiative pour jouer ouvertement devant le public béninois, le jeu sournois d’étouffer les opposants, et qui cache mal l’ombre du président YAYI sur l’institution et chacun de ses membres. Cela ne surprend en fait aucun Béninois, lorsqu’on sait comment cette institution a été pourvue sous le président YAYI : les conseillers essayent de payer leur dette. En effet, leur dernier communiqué, ouvertement menaçant à l’endroit de tous les organes de presse qui relaieraient des manifestations visant les élections de 2011, ne laisse aucune équivoque à cet égard.
Qui, hormis le gouvernement, attache le plus grand prix à l’échéance de 2011 si ce n’est l’opposition ? Comment l’opposition peut-elle critiquer le pouvoir sans envisager l’alternance, sans présenter ses alternatives et ses choix pour remédier à la situation et conduire son projet de société ?
En fait l’enjeu est simple : enlever à l’opposition la possibilité de communiquer sur son sujet majeur au moment où elle doit faire sa rentrée politique et, du même coup, offrir le boulevard des média au pouvoir qui, lui, fait organiser des marches de soutien aux actions les plus banales du président YAYI, comme on le voit actuellement pour une ordonnance. Planifier tout cela et empêcher aux Béninois l’accès libre et équitable à l’information est indigne du Bénin démocratique. Comment sommes-nous tombés si bas, à ce niveau où les gens des médias siégeant eux-mêmes à l’organe de régulation en arrivent à soutenir l’inacceptable, eux qui assistent à la campagne permanente du pouvoir menée depuis quatre ans à coups de manifestations amplement médiatisées scandant la victoire de YAYI pour 2011. Curieusement, c’est à la veille d’une grande sortie des étudiants de l’université d’Abomey- Calavi pour appeler la candidature d’Abdoulaye BIO TCHANE dit ABT (manifestation qui a résisté à toutes les manœuvres du gouvernement), que la HAAC publie son communiqué, comme pour dire qu’aucun organe ne devait couvrir l’événement.
Conséquence de tout ceci, essayez de compter sur notre chaîne publique l’ORTB les marches de soutien diffusées chaque jour, organisées toujours, comme on le sait, par les caciques du pouvoir avec l’argent du contribuable et les moyens de l’Etat.
10- Je n’ajouterai pas à votre humeur en rappelant que, sous le changement, le Bénin a dégringolé dans le classement international de la liberté de presse.
C- Options économiques et sociales stratégiques
11- La compétitivité des entreprises dépend étroitement du coût des facteurs de production. L’énergie occupe une place de première importance dans l’économie. En l’espace de trois ans, le prix du carburant a presque doublé ; celui de l’électricité a subi des hausses vertigineuses alors que la qualité du courant a considérablement baissé. On nous avait promis pour l’immédiat, en 2006, de nous offrir l’essence au prix de la pompe au Nigéria, puis de mettre fin au délestage électrique grâce aux turbines à gaz sous commande et au gaz bon marché attendu du projet Gazoduc, ainsi qu’à l’interconnexion des réseaux Nigéria-Bénin. Nous en sommes aujourd’hui à acheter le carburant au double du prix au Nigéria et à subir un délestage systématique, officiellement planifié par le gouvernement. Conséquence, l’inflation (la flambée des prix) est à un niveau insupportable ; les travailleurs, avec un pouvoir d’achat complètement érodé, peinent ou n’arrivent pas du tout à joindre les deux bouts. Mais rien n’a empêché l’Etat d’autoriser officiellement l’envolée des prix de produits essentiels comme le ciment à près de 10%, proportion évidemment incommensurable à l’évolution des salaires. Et, par effet domino, les prix de tous les produits et services de base explosent littéralement. C’est la raison des grèves perlées dans tous les secteurs. Et lorsque malgré la détresse des gouvernés, les gouvernants affichent des comportements de nouveaux riches à travers des dépenses somptuaires ou la distribution ostensible de sommes importantes lors des meetings et autres séances d’exhibition, il ne faut pas s’étonner de la persistance de la grève, du durcissement de la crise sociale et de la montée du mécontentement général.
12- N’avez- vous pas l’impression qu’en dehors de la rhétorique, ce pouvoir manque de vision, tant l’improvisation est de règle ? Sinon quelle étude sous-tend la construction de l’aéroport de TOUROU pour plusieurs dizaines de milliards de francs? S’il ne s’agit d’un éléphant blanc, à quelle nécessité économique obéit ce projet, à quel besoin régional ou national ? Des futuristes peuvent y voir l’anticipation du lointain horizon où Parakou deviendrait Las Vegas, l’avenir prévisible dicte ses impératifs : plus concrète, la corporation des transporteurs, économiquement dominante au Nord, a toujours souhaité la construction d’un port sec à PARAKOU, MALANVILLE ou PORGA pour une meilleure desserte du grand marché sahélien. Il ya là un véritable problème d’option. Par ailleurs, pourquoi avoir rangé au placard la construction de l’aéroport touristique de TIGNINTI à Natitingou ou de l’aéroport international de GLODJIGBE ?