Marie-Cécile Zinsou : « Au Bénin, c'est plutôt une punition d'être au ministère de la culture »
"L'art contemporain intéresse les Africains"
Le Point.fr - Publié le 25/03/2014
Propos recueillis par JÉRÉMY COLLADO
À la tête de la Fondation Zinsou qu'elle a créée à Cotonou, au Bénin, en 2005, Marie-Cécile Zinsou, 31 ans, en administre la preuve. Entretien avec une pasionaria du développement de l'art en Afrique.
Le Point Afrique : Après neuf ans d'existence, quel bilan pouvez-vous tirer des activités de la Fondation Zinsou ?
Marie-Cécile Zinsou : Quand on a créé la fondation, en juin 2005, certains m'ont fait cette prédiction qui ne s'est pas avérée : "L'art contemporain n'intéresse pas les Africains." Sous-entendu, entre la famine et le palu, ils ont autre chose à penser. Ensuite, si un tel projet n'existait pas, m'a-t-on également dit, c'est bien parce qu'on n'en a pas besoin ! Aujourd'hui, nous avons ouvert les portes à quatre millions et demi de visiteurs et nous avons organisé plus d'une vingtaine d'expositions. C'est la démonstration de notre utilité. Surtout si l'on retient qu'il y a, au Bénin, dix millions d'habitants...
Au départ, vous êtes parti du constat qu'il n'y avait aucun lieu susceptible d'accueillir les artistes au Bénin...
Comme bénévole à l'association SOS Village d'enfants entre 2003 et 2004, j'étais amenée à travailler avec des élèves. Je me promettais de les emmener à des expositions. Malheureusement, il n'y avait rien, pas un seul musée. J'en ai parlé avec le directeur du Quai Branly de l'époque. Désespéré de cette situation, il m'avait dit : "Eh bien, faites un lieu dédié à l'art !" La vocation de la fondation était donc, au départ, d'avoir accès aux créateurs africains. Puis nous avons élargi nos compétences...
Au départ, je pensais que c'était important d'offrir un lieu aux artistes. Mais il fallait aussi s'adresser au public. D'où notre volonté d'ouvrir des mini-bibliothèques, de faire des ateliers pour les enfants. Je travaille beaucoup avec les tout-petits, car c'est ma sensibilité. Au Bénin, il y a très peu de structures dédiées à l'art. Conquérir, expliquer, c'était un travail de conviction face à l'inertie de notre système.
Peut-on dire que le gouvernement ne vous facilite pas la tâche en la matière ?
Nous avons inventé notre propre schéma. Le projet correspond à notre équipe. Il nous ressemble, finalement. La plupart des gouvernements en Afrique ont le point commun de ne pas s'intéresser à l'art. Ici au Bénin, par exemple, je préfère être à la tête de la fondation qu'au ministère de la Culture. Ici, c'est plutôt une punition que d'être à ce ministère. Il faudrait nommer des gens compétents et sensibles à la culture à ce genre de poste. Officiellement, on dispose de budgets pour la culture au Bénin, mais je voudrais bien savoir à quoi ils servent en réalité. C'est un scandale !
Pourquoi l'opinion publique ne s'insurge-t-elle pas contre ce "scandale" ?
Les gens ont sûrement d'autres priorités et ne vont pas se rebeller contre cette situation, même si je sens qu'il y a une forte demande et une grande curiosité de la part du public. Mais à la fondation, nous avons pris le parti de faire notre travail indépendamment du gouvernement. On fait notre chemin, on promeut des artistes. Le gouvernement ne nous verse pas d'argent, car nous ne lui en demandons pas. Des initiatives, preuve d'une grande ignorance de la part de certains, peuvent perturber. Ainsi de la destruction au bulldozer d'une oeuvre de Bruce Clarke, en janvier 2013... sur ordre du ministre de la Culture, par exemple.... Mais, globalement, nous pouvons travailler en paix.
Vous comptez donc sur les soutiens privés pour développer votre fondation ?
Oui, au départ, c'est mon père (Lionel Zinsou, patron de PAI Partners) qui l'a financée activement. C'était un vrai projet familial. Moi basée au Bénin, les autres à Paris. On a aujourd'hui un système de dons. Mais, à l'origine, on n'avait pas imaginé ce système, car je voyais mal des gens se dire "tiens, une fille de 21 ans veut faire un musée, finançons-la". Ce n'était pas très vendeur comme profil (rires). Maintenant, nous comptons de nombreux mécènes, des entreprises, la maison de vente aux enchères Sotheby's, par exemple.
Et vous avez même ouvert, en novembre dernier, un musée à Ouidah !
Oui. On pensait attendre six mois ou un an pour faire un nouvel accrochage, mais beaucoup d'enfants sont venus voir notre musée. C'est un grand succès. Il faut donc que l'on renouvelle notre offre. À la fondation, à Cotonou, nous organisons également une exposition autour du photographe Samuel Fosso, à partir du 14 avril... Il y a un nouvel élan, c'est une très bonne chose !