28-06-2010
Pouvoir d’achat et avatar inattendu au Bénin
Écrit par Paul Emile da Silva
Sauf s’il travaille pour un bien nommé ‘‘projet’’ ou pour une organisation internationale ou s’il exerce une haute fonction dans les hautes sphères de l’Etat béninois, vous ne verrez point Béninois en possession d’une voiture sortie d’usine. Nous sommes tous dans des casseroles roulantes négociées à Sêkandji ou en quelque lieu semblable.
Ce sont tout de même casseroles tout à fait recevables pour notre standing après qu’elles ont roulé une dizaine d’années sur les bonnes routes de France et de Navarre, voire des Etats-Unis d’Amérique. Grâce aux doigts féeriques de nos garagistes capables de ramener à la vie toute casserole agonisante et de la ressusciter en cas de mort récente, elles rouleront encore 15 à 20 ans sur nos routes encore existantes au milieu des nids de poule florissants.
Sauf les corps habillés et quelques hauts fonctionnaires habillés directement et chèrement par leur ‘‘structure’’, nous nous habillons plus souvent qu’à notre tour à la grande friperie kaynidékanyidé qui signifie dispersion à la manière des poules de basse-cour, sans toutefois rien de péjoratif. Dans ce sauve-qui-peut face au pouvoir d’achat qui menace ruine, nous sauvons autant que faire se peut ce qui nous reste de dignité en dédaignant les sous-vêtements, ces justes au corps qui eussent pu appartenir à des morts. Mais il paraît que les ballots renferment parfois des soutien-gorge irrésistibles que dame ne saurait se procurer dans un prêt-à-porter sans y mettre tout son pouvoir d’achat. Elle les achète donc après un bof inaudible. De toute façon celui qui les lui enlèvera frénétiquement au moment fébrile ne se préoccupe jamais de l’origine des dessous qu’il arrache et disperse pêle-mêle.
Sauf encore dans les bureaux des bien nommés ‘‘projets’’ ou des organisations internationales, où nous les manipulons fièrement outils informatiques tout neufs, les nôtres dans nos maisons sont d’occasion. Il n’est d’ailleurs pas sûr que dans nos administrations, la corruption aidant, l’on n’ait pas fait repeindre des ordinateurs d’occasion pour les faire passer comme du pimpant neuf afin d’encaisser pour soi les gros sous de la surfacturation. En tout cas, et sans corruption aucune, nos mairies, qui ont accepté finalement de se séparer des machines à taper de Mathusalem, n’alignent pratiquement que des ordinateurs d’occasion.
Et si les autres n’avalaient pas comme nous toute nourriture qu’ils mâchent, irions-nous jusqu’à acheter leurs recrachés à cause de la modicité du prix d’achat ? L’habitude, cette seconde nature, risque de nous y pousser, à l’heure où nos belles chevelures, nos jolis ongles et nos palpitantes paupières sont délibérément d’occasion. Nous deviendrions alors nous-mêmes d’occasion à cause de ce qui alimente notre sang. Avatar inattendu issu d’un pouvoir d’achat disparu.
Paul Emile da Silva