Prévenir les grandes crues dans les villes à l'aide des nouvelles technologies
Par Yves Egal
Urbaniste
lundi 15 novembre 2010
Quand on évoque le problème de l'eau dans le monde, on pense d'abord à la pénurie d'eau potable dans les pays tropicaux. Mais l'eau, c'est aussi les submersions, et l'actualité récente - de la catastrophe du Pakistan à la tempête Xynthia de Vendée - l'a rappelé tragiquement.
En matière d'inondations et submersions, plus la prévention est en amont, plus elle nécessite des mesures administratives complexes pour limiter les zones constructibles et des travaux lourds qui évitent les dégâts matériels.
Mais plus elle se fait en aval, c'est-à-dire au dernier moment, plus les TIC entrent en scène pour sauver des vies humaines. Car le problème est alors de collecter les informations, de les gérer et de les transmettre aux populations dans les plus brefs délais.
Les submersions sont de plusieurs sortes :
- Les crues brutales qui font des morts dans les zones inondables qu'elles balaient,
- Les crues de fleuves montant lentement à la suite de longs épisodes pluvieux,
- Les raz de marée, rapides mais prévisibles (grandes marées + tempête),
- Les tsunamis, provoqués par un déplacement vertical le long d'une faille sous-marine, aussi prévisibles si un système de détection est installé sur tous les océans.
Les crues brutales sont le fait d'orages d'été sur des torrents de montagne (Draguignan en juin 2010 et Grand Bornand en juillet 1987) ou d'épisodes pluvieux d'automne de type cévenol à pluies très abondantes (le Gard en septembre 2002, l'Aude en novembre 1999, la crue centennale du Rhône et Camargue en automne 1993, Vaison-la-Romaine en septembre 1992, Nimes en octobre 1988, l'"aïguat" d'octobre 1940 qui fit 50 morts en Roussillon et 300 en Catalogne). Chaque fois, il y a une ou plusieurs dizaines de morts et des centaines de millions de dégâts.
L'EXEMPLE DES CRUES DE PARIS EN 1910
Les crues lentes couvrent à l'opposé de vastes surfaces, mais ne présentent dans les climats océaniques aucun danger : un mort lors des trois semaines de crues de 1910 à Paris (chute depuis un ponton), aucune victime lors de la crue du Rhône en 2003.
La grande crue de 1910 dans la région parisienne mit déjà en évidence les deux types de prévention. D'une part le creusement des ports de Gennevilliers et Bonneuil et la construction des grands barrages de Seine permettront de diminuer significativement la superficie inondée. D'autre part le système d'alerte préviendra au moins deux jours à l'avance les habitants concernés qui pourront s'organiser pour passer plusieurs semaines au sec. La RATP aura le temps de barrer l'accès de ses stations à l'eau, et les services de la voirie d'installer les barrières anti-débordement le long de certains quais.
Comme pour l'irrigation qui doit retenir l'eau qui manque, la lutte contre les inondations demande de retenir l'eau en trop (digues, barrages réservoirs, bassins de rétention), mais cela est rarement possible le long des rivières de montagne. Pour limiter les dégâts matériels et humains, l'essentiel est donc dans la prévention administrative par les PPRI (plan de prévention des risques d'inondation) qui déterminent les zones inconstructibles, voire les zones où il faudra démolir des bâtiments.
En zone océanique où la crue n'est pas violente, on peut souvent construire en zone inondable si on n'entrave pas le flux (pilotis) et à condition de respecter quelques règles simples : plancher au-dessus du niveau des plus hautes eaux connues, chemin hors d'eau pour évacuer le domicile. Le PPRI a alors plus pour fonction de maintenir les capacités d'écoulement des eaux de crues que de limiter la constructibilité.
PLUSIEURS SYSTEMES D'ALERTE
Dans tous les cas, pour éviter les morts et les blessés, il faut être en mesure d'alerter les habitants, sur l'arrivée de la pluie, puis sur l'arrivée des eaux.
Depuis 2007, Météo-France met les départements susceptibles d'être affectés par des évènements exceptionnels en vigilance, jaune, orange ou rouge suivant le degré du danger. Mais une pluie exceptionnelle annoncée ne produira éventuellement une inondation que sur une surface restreinte du département ainsi colorié, ce qui ne permet pas aux populations concernées de réellement prendre en compte ces messages. La France est pourtant l'un des meilleurs pays du monde en matière de prévision météorologique, mais passer de la vigilance (risque non avéré) à l'alerte (risque avéré) avec une bonne précision géographique demande des investissements en puissance de calcul informatique, qui ne garantissent de toute façon que des progrès lents.
Il existe aussi une vigilance "crue", mise en place en 2006, consultable sur le site Internet
Mais là non plus, la vigilance n'est pas l'alerte, qui ne peut venir qu'au dernier moment, plusieurs jours avant pour les crues lentes, la veille pour les raz de marées, parfois quelques minutes avant pour les crues brutales et les tsunamis.
L'alerte ne peut alors venir que de détecteurs-avertisseurs autonomes de niveau d'eau transmettant un niveau de crue par radio fréquence (pour courte portée) ou GSM (texto sur téléphone mobile pour longue distance) ou déclenchant une sirène intégrée (pour le domicile). L'autonomie est assurée par batteries ou cellules photovoltaïques, les destinataires sont les collectivités (mairie, pompiers, police...), mais pourraient être des particuliers à leur demande à l'avenir.
A part quelques rares cas en France, on n'a pas encore modélisé l'étendue d'une inondation en fonction du niveau d'une crue, et les détecteurs sont loin d'être assez nombreux pour mesurer avec précision le niveau des crues. Mais les PPRI doivent déterminer le périmètre des plus hautes eaux connues (PHEC), qui est la surface maximale supposée exposée au risque, Les exploitants de réseaux de téléphonie mobile sont capables de déterminer la zone géographique d'où viennent les appels. Sera-t-il possible un jour d'envoyer un message d'alerte à tous les mobiles détectés dans un périmètre à risque d'inondation dès qu'un détecteur de crue aura signalé une montée des eaux en amont ?