QUI PEUT REFONDER LE BENIN ET COMMENT ?
28 sept, 2011 | Par Hubert
J’ai lu l’article intitulé “Réforme à l’ère de la Refondation : Ce qui motive Yayi à aller jusqu’au bout” publié sur la page Internet du quotidien “Le Matinal” en date du 20 Septembre 2011. J’ai voulu par la présente remercier et féliciter FN, l’auteur de l’article pour l’effort d’objectivité investi dans sa conception. Mais je voudrais surtout exercer mon devoir de citoyen en émettant des réserves quant à la pertinence de l’analyse ainsi livrée aux internautes.
Il serait d’ailleurs plus intéressant si l’auteur pouvait publier son article dans le format papier du journal afin de permettre à nos compatriotes qui n’ont pas un accès aisé à l’outil Internet, de le lire, de l’analyser, de l’apprécier et de tirer chacun ses conclusions.
Pour ma part, je trouve que cet article s’inscrit parfaitement dans la série des articles commandités par le régime en place pour présenter aux béninois l’image d’un Président soucieux de l’avenir du peuple et justifier les prochains feuilletons de l’imposture qui est en cours dans notre pays depuis quelques années maintenant. De tels articles sont fréquents depuis 2006 que le régime autocratique a décidé de confisquer les organes de presse publics (ORTB notamment) et de stipendier la presse privée, devenue une des bénéficiaires de la largesse anachronique et contre nature du système en place.
Je ne suis pas moins indigné par certains aspects de cet article qui confirment le constat fait par de nombreux observateurs de la vie politique du Bénin que la complicité de certains journalistes dans le drame qui se joue actuellement au Bénin est à déplorer.
En réalité, de quelle refondation parle-t-on? Qu’appelle-t-on refondation et qui veut faire la refondation? Ces questions méritent réponses et clarifications de la part des journalistes qui claironnent depuis quelques mois sur la refondation. Lorsqu’on a eu la chance d’aller à l’école et d’atteindre un niveau intellectuel qui vous permet d’écrire d’une plume aussi alerte, il faut saisir cette chance pour éclairer la population plutôt que de tomber dans l’escarcelle des vendeurs de concepts et d’illusions qui peuplent aujourd’hui les couloirs de notre appareil de gouvernance.
Parlant de concept, ou en sommes-nous avec le changement? A-t-on rendu compte au peuple de son bilan? Si oui, qu’a-t-on changé pendant les cinq années si ce n’est la mise en place d’un environnement propice à l’affairisme politique, au débauchage des opposants prétendus qui vont et viennent comme des navettes, au piétinement des principes démocratiques et des libertés que de 1988 à 1990, le peuple Béninois a souffert et sué sang et eau pour mettre en place à la faveur des luttes clandestines et ouvertes dont le couronnement a été la conférence des forces vives de la Nation de Février 1990?
Qu’a apporté le changement au Béninois si ce n’est une série de scandales économiques et financiers dont la liste continue de s’allonger tous les jours? Point n’est besoin de s’étaler sur ces faits qui ont pris la dimension d’un record et qui ont pris place définitivement dans l’histoire de notre pays. On en parlera longtemps et c’est le sens de ma réaction.
De quelle refondation parle-t-on alors que ces faits sont pendants sous nos nez et nos yeux parce qu’ils n’ont jamais été clarifiés et jugés pour le bien des béninois, du pays et de la postérité. Tôt ou tard, justice sera rendue au peuple. Soyez-en certains et rassurés. Ne serait-ce que pour l’éducation de la jeunesse, ces scandales (CEN-SAD, machines agricoles, ICC-Services, Dangnivo, Avion présidentiel, PVI, etc.) méritent d’être portées devant le juge un jour pour que notre pays ne se construise sur du sable mouvant, mais sur de solides valeurs éthiques et morales qu’une refondation imaginaire ne peut générer ni porter.
Celui qui parle de refondation, c’est celui qui a la charge d’induire ces clarifications. S’il ne le fait pas, je doute qu’il soit qualifié pour nous parler de refondation. L’histoire le rattrapera à coup sûr. Il peut passer trente ans au pouvoir. Et pour permettre aux lecteurs de l’article de comprendre ma démarche, je voudrais choisir trois exemples qui sont des indices de ce que ceux qui nous dirigent n’ont guère le ressort moral pour entreprendre des réformes durables pour l’avenir du Bénin et de ses filles et fils. Toute réforme conduite au forceps avec une majorité mécanique aux ordres à l’Assemblée Nationale ne serait que forfaiture parce qu’elles seront rejetées par le peuple souverain et son destin le moment venu, même si cela passe par un referendum truqué.
1) La réforme de la constitution: une parodie au sommet de l’Etat
Comme FN l’indique dans son article, je cite: “le successeur du général Mathieu Kérékou, Yayi Boni estimant qu’il faut que la révision de la constitution soit amorcée un jour, s’y est pris à l’aube. Déjà sous son premier quinquennat, il a mis en place une commission dirigée par le professeur Maurice Ahanhanzo-Glèlè chargée d’élaborer le projet de relecture de la constitution. Celle-ci ayant fini son travail depuis, a déjà déposé son rapport. Le débat devrait être suscité à ce niveau afin de permettre au peuple d’y prendre part. Mais ce qui est étonnant, c’est que personne ne parle ou presque pas du rapport de la Commission Ahanhanzo-Glèlè. Si on pouvait y penser, cela contribuera à l’enrichissement des idées. Ce qu’il faut déjà souligner, c’est qu’en parcourant le document, on relève que la Commission a fait des propositions pour améliorer la pratique du jeu démocratique” Fin de citation.
FN que je remercie pour ce passage a posé un problème de fond : je cite: “ce qui est étonnant, c’est que personne ne parle ou presque pas du rapport de la Commission Ahanhanzo-Glèlè”. Fin de citation. Pourquoi, n’en parle-t-on pas? Est-il normal qu’on regroupe des personnalités de ce rang autour d’une question aussi sensible que celle de la relecture de notre Constitution depuis 2008 et que le rapport ne soit ni disséminé ne serait-ce qu’au Président lui même, ni à l’Assemblée Nationale, ainsi qu’aux partis politiques dont la Constitution reconnaît qu’ils sont les animateurs de vie politique? La Constitution est-elle une propriété privée du Chef de l’Etat? Les réformes constitutionnelles constituent-elles une entreprise confidentielle ou des secrets de couvent?
C’est ici que FN comprendra que personne ne prête d’intention au Chef de l’Etat, mais plutôt que le vers est vraiment dans le fruit. La méthode peu crédible de gouvernance que nous avons découverte depuis Avril 2006, faite de tricheries et de volonté perpétuelle de tricher avec les exigences et principes d’une démocratie moderne ont fini par dresser les Béninois contre toutes ses déclarations ou ses promesses de partir ou de ne pas partir. Notre pays n’est pas une propriété privée du Chef de l’Etat et les Béninois savent bien qu’il est loin d’être le meilleur d’entre nous. Même les gouvernants les plus célèbres du monde savent que des réformes qui touchent à la Loi Fondamentale de leur pays ont ceci de sacré que chaque citoyen doit y être associé pour en discuter et les comprendre dans les moindres détails. Ce n’est pas dans une entreprise pareille que le peuple béninois, épris de démocratie, de progrès économique et social, fera confiance à ses dirigeants quels qu’ils soient, surtout que le processus électoral est pipé au Bénin dans son état actuel.
2) La LEPI ou l’”Anaconda” de la démocratie Béninoise
FN indique, je cite: “En 2010, le projet sur la réalisation de la Liste électorale permanente informatisée (Lépi) a été conduit dans la douleur, juste parce que les mêmes qui appelaient de tout leur vœu à son avènement ne faisaient plus confiance à celui qui doit le mettre en œuvre. Inutile de revenir sur les atermoiements, les accrochages et les luttes auxquels les acteurs politiques se sont livrés, faisant planer sur le pays d’énormes risques de troubles. Au finish, la Lépi a été réalisée. C’était le grand objectif. Espérons qu’au fil des années, cet instrument sera amélioré” Fin de citation
Ainsi, la LEPI réalisée de façon unilatérale dans l’opacité est un objectif atteint. Pour moi, la LEPI elle-même ne sautait être un objectif, en démocratie; mais plutôt ce à quoi la LEPI est destinée, à savoir en tant que fichier électoral, servir d’outil de promotion de la transparence dans les élections, ce qui garantira la paix. Peut-on en dire autant de notre LEPI? Si l’objectif était d’en user pour reconduire le Président en place et recaser ses thuriféraires y compris celui qui a conduit le processus et qui sans scrupule s’est retrouvé dans le gouvernement, alors cet objectif a été bel et bien été atteint. On pourra améliorer la LEPI au fil des années indique l’article de FN. Ceci bien sûr au gré du référendum qui se susurre de façon insidieuse et qui pourrait se faire de façon unilatérale; au gré aussi des élections municipales de 2013; mais sans l’audit recommandé par de hautes personnalités y compris ce qu’on pourrait appeler l’opposition au pouvoir actuel et toujours avec l’exclusion des centaines de milliers de Béninois qui attendront de recevoir les excuses du Président de la République le jour du scrutin pour avoir été exclus du vote.
Peut-on parler de refondation dans un tel contexte de violation flagrante des droits inaliénables des citoyens? Si tant est que le Président de la République et ses soutiens n’ont pas fait l’option de tromper le peuple béninois avec la LEPI, pourquoi n’en commanditent-ils pas l’audit par des Experts internationaux. Le Ghana a conçu son fichier électoral dans la plus grande transparence et le consensus total et cela n’a suscité aucune contestation. Et pourtant ce pays n’est pas loin du Bénin et de nombreuses délégations se sont rendues dans ce pays pour apprendre du processus électoral. Qu’ont-elles retenu? La mise en œuvre de la LEPI est l’illustration parfaite de la volonté de nos dirigeants actuels de tricher et de toujours tricher pour garder le pouvoir. Ils n’en feront rien pourtant. Nous verrons cela dans quelques années. Ils peuvent courir, aller de pays en pays, faire promesse sur promesse, parcourir monts et vallées, faire réforme sur réforme, le vers est dans le fruit.
3) La disparition de Mr Dangnivo : Un autre indice de la vacuité de la gouvernance au Bénin
Un citoyen a disparu depuis plus d’un an maintenant et tout le monde a vu comment le gouvernement a géré ce dossier. Encore dans la tricherie, le montage grossier comme il en a l’habitude. Et pourtant la vérité est ailleurs. Dans d’autres pays où les dirigeants sont soucieux de la protection des citoyens, le gouvernement n’a pas de répit tant qu’on n’a pas retrouvé les traces du disparu et informé les parents et l’opinion publique. Dans le cas du Bénin, on a vu comment la disparition d’un individu peut laisser indifférent et même donner cours au cynisme des uns et à la comédie des autres. Dans un tel contexte, quelle réforme veut-on faire et pour qui? Les réformes sont conçues par les Hommes et pour servir les Hommes. Aucune réforme ne se suffit à elle et quand on parle de réforme comme des incantations, cela fait sourire et démontre le degré de régression auquel nous sommes parvenus, alors que la plupart des pays du monde travaillent et avancent et que nous en avons les ressources.
Retrouver Dangnivo ou ses traces et informer objectivement les béninois est plus important que toutes les réformes réunies, en tout cas dans le contexte actuel. Car, il s’agit de la vie des citoyens et personne ne sait celui qui sera la prochaine victime.
Enfin, quelle réforme peut aboutir dans un contexte de confiscation des libertés? Quelle réforme peut aboutir dans un contexte anti-démocratique avec la volonté d’imposer le fait du Prince au peuple et d’écraser ceux qui ne partagent pas les mêmes points de vue que ceux qui gouvernent le pays, fussent-ils des opérateurs économiques, des cadres de l’administration ou des formations politiques ? Croient-ils être les meilleurs d’entre nous? Loin de là. On voit les résultats auxquels ils sont parvenus après cinq années de gestion des affaires de notre pays. Aucune réforme ne réussira dans le contexte de division actuelle de notre pays où les cœurs ont reçu le choc du 13 Mars 2011 et où les bouches sont interdites de parole. La réforme doit commencer par la réconciliation des cœurs et renouer avec les pratiques de bonne gouvernance démocratique qui est un impératif non négociable. Sans cela, nous perdons notre temps et c’est mon intime conviction !
Alain Anagonou (Coll. Ext.)
Spécialiste des Sciences Politiques
Karlsruhe, Allemagne