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Séisme en Haïti: Quand sècheront les pleurs?

 

22/01/2010


13 janvier 2010, Madame Conceptia Ouinsou, ancienne présidente de la Cour constitutionnelle du Bénin, native de Haïti et Béninoise par alliance, est au terme d’une mission d’enseignement à l’Université catholique à Abidjan, et s’apprête à regagner Cotonou. Ignorant la catastrophe de la nuit, elle s’éveille au petit matin à 5 heures. Elle allume un poste téléviseur pour prendre les nouvelles du monde. Choc ! Comme tout ceux qui apprennent la nouvelle au Bénin, elle n’en croit ni ses yeux, ni ses oreilles. L’ancienne élève du lycée Alexandre Petion voit dans le petit écran son Port-au-Pince natal dans une ruine apocalyptique. La présidence de la république est dévastée. La cathédrale est détruite. L’archevêque et des séminaristes engloutis par la catastrophe. Avec le peu de force qu’elle rassemble, elle appelle sa fille à Paris. De part et d’autre, elles essayent de joindre une tante et des nièces qui habitent dans la maison familiale. En vain.

 

Pendant ce temps, Vincent Mugisha, un Ougandais vivant au Canada appelle de Port-au-Prince un ami à Cotonou pour le rassurer. Il venait d’atterrir quelques heures avant la catastrophe, pour commencer un nouveau contrat de travail avec l’Usaid en Haïti. Ses valises étaient encore emballées quand il entendit l’alerte du 4e étage de son hôtel. «Aussitôt, laissant tout, je descends en hâte pour venir rester dans la cour. Quelques secondes après, il ne restait presque plus rien de l’immeuble». Les miraculés de ce genre sont nombreux, mais avec la désolation autour d’eux, ils n’ont pas le cœur de se réjouir d’avoir la vie sauve. Tout comme Vincent, le colonel Ludger Kpanou en mission de paix au sein de la Minustha a la chance de pouvoir appelé sa famille pour les rassurer. Par contre, jusqu’à ce que une autre réplique de tremblement ne se produise le mercredi 20, certaines familles béninoises attendent toujours d’avoir des nouvelles des leurs en mission de paix ou travaillant pour le système des nations. 
A Cotonou, Charles Ernst, 25 ans, Haïtien, étudiant en Master I en marketing à l’Ine depuis 2005, compte 4 parents sur 7 dont une  cousine décédée et les deux restants, toujours portés disparus. Son voisin de chambre à Sikècodji Jeudy Franck Nicson, 33 ans, en Master II en Finances à Gazar formation, a perdu 8 de ses parents dont cinq corps retrouvés et trois sans traces. Ensemble avec leurs autres 34 frères et sœurs haïtiens étudiants au Bénin dont Jacky Bellevue,  Jean Jacques Marc Jearry et Saint Jean Ernest, ils pleurent leurs morts et sont inconsolables: «Nous venons de perdre presque tous les  cerveaux pensants de notre pays dont le plus grand géologue d’Haïti. C’est angoissant et inquiétant. Nous sommes au bord du désespoir en pensant à tous ces morts. C’est trop dur pour nous». 


Jean  Espéca, chargé d’affaires à l’Ambassade d’Haïti au Bénin, la seule  représentation diplomatique du pays sur tout le continent africain, renchérit : «Les statistiques de cette catastrophe sont évolutives. A la date du 19 janvier 2010, nous parlons de 200.000 morts, 400.000 blessés et plus de 3 millions de populations sinistrées. Avec ce séisme, plus des ¾ de la ville  sont détruites. C’est une situation  qui interpelle tout le monde. Car aujourd’hui, à partir de ce qui vient de se produire, pauvres et riches se côtoient en Haïti, partagent les mêmes repas que distribuent les services de secours, s’entraident sans distinction de classe. C’est dire que quelques fois, la nature fait des choses pour nous amener à plus d’humanité».
Au-delà des déclarations, des multiples messages de sympathie, d’amitié, de compassion et de condoléances, des messes prévues et des efforts de solidarité qui se développent pour accompagner le peuple haïtien, ce qui choque, c’est d’entendre beaucoup de gens affirmer  «que tout le monde sait que cette catastrophe arriverait. Et pourtant, rien n’a pu être fait pour l’éviter ou pour en limiter l’ampleur des dégâts».

 

 

L’urgence aujourd’hui


Parlant du gouvernement haïtien et de l’ensemble des acteurs qui interviennent dans des situations du genre,  le chargé d’affaires Epéca déclare : « les expériences passées ont montré que nous n’avons  pas toujours bien géré ces catastrophes. Nous avons connu par exemple l’ouragan Jeanne en 2004 qui a dévasté la ville de Gonaïves ; les dernières catastrophes de l’été 2008 où nous avons été frappés par 4 ouragans meurtriers successifs en 15 jours, notamment les ouragans  de Fay, de Gustav, de Hanna et de Ike. Mais parce qu’un plan de reconstruction conçu n’a pas pu être exécuté, faute de moyens, Gonaïves ne s’est pas encore relevée».


Selon lui, quand on dit que Haïti est située dans une zone à haut risque sismique,  cela ne veut pas dire que c’est une situation qui échappe au contrôle de l’homme. «Mais cela veut dire que nous savons ce qu’il faut faire. C’est comme un malade qui vient chez un médecin ; pour chaque maladie, il y a un médicament… Le problème de zone à haut risque sismique n’est donc pas un mal incurable ; on peut le solutionner si on veut bien faire ce qu’il faut faire. La responsabilité est donc collective ; on ne peut pas l’imputer au seul gouvernement. C’est une responsabilité collective haïtienne pour ce qui a trait à l’activité humaine et à l’occupation anarchique de l’espace physique…  C’est pour cela qu’il est urgent que des fonds puissent être collectés en quantité suffisante pour parvenir à la reconstruction de Haïti. Il nous faut des investissements massifs dans le domaine de l’environnement, afin que le système écologique soit renforcé. Parce que tout ce qui nous arrive est dû en grande partie à la faiblesse de notre système écologique ».
Il s’agit, pour l’heure d’accompagner les populations sinistrées au niveau des besoins alimentaires, sanitaires et de logements. La phase la plus difficile qui durera plusieurs années reste certainement celle de la reconstruction d’Haïti. Car comme le déclare le chargé d’affaires : «C’est le travail d’un siècle qui est ainsi parti en une seule minute ». Alors combien de temps faudra-t-il à Haïti pour sécher ses pleurs ?

 

Guy Dossou-Yovo

 

«Une occasion pour replacer la personne au cœur de tout»


Déclaration de Mgr Dumas, président
de la Caritas haïtien

 

 

La veille du séisme, je visitais des zones de mon diocèse. Pour aller d’un endroit à un autre, nous avons dû traverser plusieurs rivières et, dans une de celles-ci, l’eau «faisait des bulles» et il y avait des vagues. Nous avons décidé de passer la nuit au centre de formation diocésain à Matean qui se trouve près de la mer, mais pendant la nuit les vagues ont commencé à frapper contre l’immeuble et j’ai pensé : «C’est un tsunami !»
Le lendemain, je suis retourné à Port-au-Prince, je suis sorti de ma voiture et dix minutes plus tard le séisme a eu lieu. Il y a eu un grand bruit et la maison a sursauté ; je n’ai même pas eu le temps de franchir la porte que le calme était revenu.


Tout le monde est sorti dans la rue. L’une des premières choses que j’ai essayées de faire, c’est de contacter les membres de mon équipe et de les rassurer. Je leur ai dit de ne pas avoir peur et que celle-ci était une occasion pour les gens de manifester leur solidarité et de s’entraider.


J’ai perdu ma nièce âgée de deux ans et demi et mon beau-frère à la suite du tremblement de terre. Tous ceux qui sont morts ne méritaient pas de nous quitter si tôt. Pour ceux d’entre nous qui avons été épargnés, pour l’instant, il ne reste que la douleur. C’est une épreuve pour nous tous. Elle ne durera pas éternellement, mais nous devons la surmonter avec foi afin d’en sortir plus unis.
Je pense que notre charité et la façon dont nous vivons cette crise  nous aidera à renforcer notre humanité, à être plus généreux, ouverts et disponibles aux autres, parce que les modes symboliques du vivre ensemble ont été détruits. Tous les symboles qui nous unissaient: la cathédrale, le palais présidentiel, les ministères, les écoles, les communautés religieuses et beaucoup d’autres lieux se sont écroulés.
Maintenant, nous devons construire à nouveau pour pouvoir vivre ensemble. Nous devons le faire d’une manière qui élimine les préjugés et la discrimination et qui engendre la confiance. Nous devons le faire de manière à susciter la solidarité et l’ouverture d’esprit. Je pense que cet événement nous offre la possibilité de reconstruire notre pays d’une manière différente et de comprendre le lien qui nous unit.
Nous sommes confrontés à certaines questions qui, pour l’instant, ne concernent que l’urgence, mais qui, un jour, concerneront la reconstruction. Cela ne veut pas dire reconstruire les choses comme elles étaient avant, car nous avons la possibilité de construire une Haïti meilleure où la personne est au cœur de tout.

 

 

Source: Zenit

 

La grande angoisse !
Face aux dégâts des séismes d’Haïti, l’Ong Médecins sans frontières  qui a pourtant assisté à  bien  des drames, affirme n’avoir «jamais vu autant de blessures graves». Chaque fois que le roseau humain se trouve ainsi écrasé sous la violence aveugle de la nature injustement déchaînée, l’esprit humain s’assombrit d’angoisse. C’est dire que la tragédie d’Haïti éveille dans tous les cœurs, des angoisses  que  depuis des générations, les écrivains  se sont efforcés de décrypter.


Pourquoi? Pourquoi cette aveugle violence catastrophique? Après l’Asie du Sud-est avec leTsunami, c’est Haïti qui est à nouveau frappé : Haïti, la terre des esclaves, Haïti, l’indigent, Haïti,  le jouet des cyclones  et des ouragans répétés,  Haïti, la violée de quelques leaders politiques éhontés… Pantagruel  remarquait déjà que la catastrophe épargne souvent les méchants.  Mais bien avant lui, l’évangile fait  écho de ce sentiment de frustration,  après le massacre des enfants innocents par Hérode : «Une voix dans Rama s’est fait entendre,                                                                                                               Pleur et longue plainte :                                                                                                                                              C’est Rachel pleurant ses enfants ;                                                                                                                                                Et ne voulant pas qu’on la console…»  (Mt 2, 18).
Dans ce scandale du mal, le Créateur  est vivement interpellé. «Et Dieu dans tout ça !» Car  lorsque les forces naturelles se déchaînent, toute référence à quelque transcendance qui gouvernerait et ordonnerait tout pour le bien et par amour devient difficilement percevable.  C’est ce dont témoigne cette lettre de Pline le jeune, décrivant l’éruption qui a vu périr Pline l’Ancien: «Beaucoup élevaient les mains vers les dieux ; d’autres, plus nombreux, prétendaient que déjà il n’existait plus de dieux, que cette nuit serait éternelle et la dernière du monde». Au 17e siècle, l’univers du  roman est placé sous l’égide de la fortune, en d’autres termes de la providence.  Et pourtant, l’abondante production de témoignages, de relations, de lettres publiées à l’occasion des grandes catastrophes de cette période (éruption de Vésuve en 1629, peste au nord de l’Italie en 1630, incendie de Londres en 1666) appréhende la catastrophe comme la manifestation la plus énigmatique de la Fortune, ou d’une Providence incompréhensible.  Héritier de ce siècle, Voltaire en rend bien compte dans la subtile préface à son poème sur le désastre de Lisbonne :


«O malheureux mortels ! ô terre déplorable !
O de tous les mortels assemblage effroyable !
D’inutiles douleurs éternel entretien !
Philosophes trompés qui criez: «Tout est bien».
Avec tant de malheurs, il est malaisé de soutenir que tout est  bien. Même si l’œuvre du Créateur est irréprochable en elle-même, il faut du moins reconnaître qu’elle entretient plutôt  avec l’homme des rapports d’un ordre différent. Cette  hostilité quasi permanente a suscité la réaction d’un grand nombre d’auteurs depuis Pline l’Ancien jusqu’aux écologistes les plus modernes en passant par Jules Vernes (Le Volcan d’or), Emile Zola (L’inondation), et Heidegger (avec le concept de la détresse des temps modernes).   En dépit de toutes les interprétations, des interrogations subsistent cependant. Quelle place l’homme  occupe-t-il au sein de la nature : en est-il le maître, ou n’est-il qu’un élément négligeable et éphémère d’un tout qui le dépasse ? Ce sont là des questions  qui hantent actuellement nombre de consciences. Elles attendent toutes,  la  lueur qui viendra dissiper leur angoisse.

 

Innocent Adovi

 

Repères

 

Avec ses 27.750 km2, la République d’Haïti fait presque la moitié du Borgou/Alibori et compte 10.000.000 millions d’habitants. Elle a connu es tremblements de terre en 1564, 1684, 1691, 1770, 1842, 1887, 1904. Celui du 18 octobre 1751 a détruit Port-au-Prince. De 1909 à 2009: 2 cyclones, une dizaine d’ouragans et des inondations innombrables.
Le séismologue haïtien, Daniel Mathurin, accuse le gouvernement de son pays de ne pas avoir pris en compte les mises en garde répétées sur un risque de tremblement de terre en 2010.
«On savait que ça devait arriver», a-t-il affirmé. Le chercheur, qui avait lui même prédit de forts risques sismiques pour cette année, assure que  des universitaires américains avaient placé des capteurs tout au long de la ligne de faille et qu’ils auraient averti les autorités dominicaines et haïtiennes des risques. «En République dominicaine, ils ont pris 20 des 22 dispositions préconisées. Il n’y a eu aucun mort, indique le scientifique. Haïti n’a pris aucune de ces dispositions.

 

 

La Croix et Haïti


«Est-ce que tu dors, mon Dieu,
Est-ce que tu es sourd, mon Dieu,
Est-ce que tu es aveugle, mon Dieu,
Est-ce que tu es sans entrailles, mon Dieu ?
Où est ta justice,
Où est ta pitié,
Où est ta miséricorde ?
Nous avons beau prier, nous autres pauvres nègres
Et demander grâce et demander pardon
Tu nous foules comme le petit mil sous le pilon
Tu nous écrases comme la poussière
Tu nous réduis, tu nous bouleverses, tu nous détruis».

Ce cri de Jacques Roumain a retenti une nouvelle fois dans ma mémoire et dans mon cœur
à l’annonce du séisme destructeur de tant de vies  !
Et voici que je reçois un petit message, celui d’un calvaire resté intact au milieu des débris de Port-au Prince !.
Alors  me  revient   aussi  le  cri   du   Nazaréen   sur   son   gibet   de    supplice :
“Eli,Eli, lama sabachtani !”                                    
Albert Tévoédjrè

Source: La Croix du Bénin



Tag(s) : #Politique Internationale
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