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Sorciers blancs, magie noire
Rencontre |
lundi, 29 janvier 2007 | par Lara Mace
Des journalistes pourris, quelques millions d’euros, un terrain de jeu qui s’appelle « Afrique » : Vincent Hugeux, grand reporter à l’Express, raconte dans Les Sorciers blancs, ce que les relations franco-africaines ont de pire.

Morte la Françafrique ? « Peut être, mais le cadavre bouge encore » Vincent Hugeux aime les bons mots. Son livre [1] en regorge d’ailleurs. Comme de portraits au vitirol de tout ce que Paris compte de sorciers blancs , ces communiquants, journalistes et politiques profiteurs de l’Afrique. Pourtant, Hugeux est confiant. « Je n’ai pas encore reçu de menaces de procès ». Tout au plus, des réactions « singulières » dont il s’amuse.

Un Jean-François Probst un peu amer n’a pas apprecié son humour. « Il adore l’humour mais uniquement dirigé contre les autres ». Patricia Balme, qui n’a pourtant pas droit à un traitement de faveur, a téléphoné au journaliste sur le thème « merci de m’avoir épargnée »… En revanche, c’est silence radio de la part de Jeune Afrique, grand éreinté de cet ouvrage. Les personnalités et pratiques de Béchir Ben Yahmed et François Soudan y sont disséquées. L’ironie d’Hugeux est ravageuse pour les messieurs de la rue d’Auteuil.

Sur la presse panafricaine en général, son constat est amer : « les pratiques institutionnalisées par Jeune Afrique sont trop ancrées maintenant. » Concernant les journalistes, notre franc-tireur, est un brin cynique : « Trop de journalistes cèdent au bakchich. Plus par lassitude que pour l’argent… Mais il faut être droit dans ses bottes. Bongo classe les journalistes en deux camps : les corruptibles et les autres. Je suis en tête de la seconde liste, m’ a-t-on rapporté. »

Le journaliste s’en prend aux Attali, Dumas et autres Séguéla, toujours prompts à flairer la bonne affaire. « Chez Fayard, à une journée dédicace, Dumas était près de moi. Il a regardé le livre et m’a lancé : « si ça se trouve, tout cela nous concerne un peu. » Je lui ai répondu que ça le concernait beaucoup plus qu’il ne le croyait. Ceci dit, Fayard est un vrai espace d’audace éditoriale… j’égratigne trois auteurs importants de la maison : Péan, Attali, Dumas. » Hugeux a sa théorie. L’Afrique rendrait fou. « Prenons quelqu’un comme Attali. D’une intelligence supérieure. Mais avec ça il a cédé à l’envoûtement africain, à ses sirènes. » Études, conseils… Pourvu que le contrat soit juteux et les interlocuteurs prestigieux et le chef d’orchestre accomplit sa « mission ».

« Et omnias vanitas »

Hugeux nous raconte que sur 90 personnes approchées, seules deux ont refusé de lui accorder un entretien : Jacques Vergès et Francis Szpiner, tous deux avocats. « Je crois que la notion clé du livre est la vanité. Sans ce travers, il n’y aurait pas eu de livre. La vanité est un gisement inépuisable. » Le journaliste explique l’engouement africain par ce péché. « Même dans la jeune garde politique, il y a encore cet envoûtement qu’exerce l’Afrique, continent où l’on soigne les égos endoloris. Cet engouement affole la boussole morale des politiques. » Certes, l’Afrique regonfle les égos. Mais aussi les comptes bancaires de toute la cohorte parisienne qui se presse dans les palais présidentiels de Libreville ou de … Dakar.

Dakar voit rouge

Au Sénégal, le livre de Hugeux n’est pas passé inaperçu. On y trouve une pépite : Thierry Oberlé, journaliste au Figaro, s’est vu proposer une enveloppe de 10 000 euros (refusée) par le président Wade. En période électorale, cette affaire a défrayé la chronique et a fait la une des quotidiens sénégalais pendant plusieurs jours. De Karim Wade, qui a envoyé un droit de réponse à l’Express, Hugeux a cette réflexion : « Ce qui frappe chez les élites africaines, formées en Occident, c’est qu’elles sont passées maîtresses pour instrumentaliser la culpabilité coloniale et invoquent tout le catéchisme de la bonne gouvernance et de la démocratie pour en conjurer les effets. Plus frappant encore, elles semblent considérer que toute expression critique est l’aveu d’un complot. »

Françafrique

Comme une excuse, Hugeux nous explique qu’il s’attaque aussi à la France. Son livre a, en effet, le mérite de s’attaquer à un sujet hypersensible sans tomber dans la polémique passionnelle. Alors, morte, à l’agonie, toujours vivace ? À la lecture de Sorciers Blancs, le diagnostic est formel : la Françafrique a encore de beaux jours devant elle. Dans l’excellent chapitre « Les chasseurs du Meurice », Hugeux décrit un rituel curieux, « la meilleure parabole de la perpétuation de ce lien archaique entre la France et l’Afrique ». À chacun de ses séjours parisiens, Omar Bongo tient audience et reçoit le tout Paris dans sa suite du Meurice. Politiques, patrons, journalistes. Le dessein est le même : le profit. Parfois sonnant et trébuchant, il peut être plus subtil. Sarkozy a rencontré Bongo, sur les conseils de Jean-Noel Tassez, pour échanger des bruits de couloirs sur… Chirac : « c’est moi qui ai emmené Nicolas chez Bongo la première fois, affirme son ami Jean-Noel Tassez. Même si tu te fous de l’Afrique, lui ai-je conseillé, il faut y aller. Au moins, tu sauras ce que Chirac dit de toi. » Cette attitude, prédatrice et condescendante, est monnaie courante. Et Hugeux de s’énerver. Contre l’aquoibonisme ambiant, le mépris passif à l’égard de l’Afrique, les jeunes loups français à la recherche de fortune et de gloire. « C’est une scène de théatre, ce n’est pas un lieu de construction politique. »

En définitive, la France plombe l’Afrique qui se laisse elle même plomber par ses dirigeants. « Les pratiques formatées de l’âge d’or de la Françafrique perdurent. » Peut on espérer un tournant avec 2007 ? Nouveau président, nouvelles pratiques ? Là aussi, Vincent Hugeux est pessimiste. Lui qui n’a pas foi dans les envoûteurs et autres sorciers, refuse « cette sorte de foi dans la magie du changement … »

 

[1] Les Sorciers blancs. Enquête sur les faux amis français de l’Afrique. Vincent Hugeux. Éditions Fayard

 
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Tag(s) : #COUPS DE COEUR
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