Qu’est- ce qu’un pays émergent ? C’est très certainement et grosso modo, selon la littérature économique courante, un pays que ses chiffres de production situent loin de la sphère du sous-développement, un pays qui se donne des repères ou qui commence à marquer son territoire dans le vaste champ de la mondialisation.
L’émergence, de ce fait, se juge sur pièces, c'est-à-dire sur la foi des chiffres, parce que l’émergence réfère, au premier chef, aux performances économiques d’un pays. Voilà le terrain qui est privilégié quand il s’agit de prendre la mesure de nos avancées et de nos progrès. Comme si, hors des chiffres, point d’émergence. Nous n’avons rien contre les chiffres. Bien au contraire. Concédons cependant qu’ils sont du même ordre et de la même nature que les statistiques qui, aux dires de Sacha Guitry, sont comparables au bikini : il donne des idées, mais cache l’essentiel.
L’essentiel de l’émergence nous semble être au-delà des chiffres. Car, il est des espaces du développement d’un pays impropres au quantifiable, au chiffrable, il est des marges non mathématiques, non arithmétiques où rien ne se met en équation, où rien ne se laisse enfermer dans les cadres stricts du logiquement et du scientifiquement correct, pour ainsi dire.
Par exemple, et c’est un vœux que nous ne voulons point voir rester pieux, le Bénin qui arrache, en football, sa qualification pour Ghana 2008 et qui, au finish, gagne la compétition, remporte le trophée continental. C’est déjà là, pour nous, la manifestation du Bénin émergent, bien avant que les chiffres conventionnellement retenus ou les critères internationalement établis ne désignent notre pays comme tel.
Pour dire quoi ? Pour dire que il y a pour nous, bien avant les chiffres de l’émergence, l’esprit de l’émergence, la lettre de l’émergence. Nous sommes un pays en émergence et nous nous confirmons comme un pays émergent chaque fois que, dans tous secteurs, dans tous domaines de la vie nationale, par nos actions, nous nous créditons d’avancées significatives, nous portons à notre actif des percées décisives, en innovant fondamentalement, en faisant bouger les choses, en changeant de vie pour changer la vie. A cet égard, c’est déjà le Bénin qui émerge avec des Béninois qui prennent conscience de la valeur et de l’importance du temps et qui s’imposent la discipline du « Retard zéro ». Aussi bien pour se rendre au travail, pour enterrer leurs morts que pour commencer une réunion ou un concert…
La semaine dernière, le Kenya a inauguré un programme que tout pousse à qualifier de véritablement révolutionnaire : mettre la lumière à la disposition de tous les Kenyans où qu’ils se trouvent sur le territoire national et à un coût plus que social. Le Kenya, pour obtenir ce résultat, a pris la décision de mettre en place une politique audacieuse d’exploitation de l’énergie solaire.
Quand on pense un peu à la place que tient l’énergie dans le développement de tout pays, on peut dire que c’est, à la limite, une injure qui est faite à Dieu chaque fois et toutes les fois que l’Afrique, par ignorance, par incapacité technologique ou par inconscience, néglige ou manque de tirer partie de la quasi inépuisable source d’énergie dont la nature l’a généreusement dotée. L’expérience kenyane, qui mérite d’être suivie, est déjà pour nous une promesse d’émergence.
Cette semaine au Sénégal, plus précisément depuis le mardi 18 septembre, une dizaine de femmes au volant de taxis circulent dans les rues de Dakar. L’expérience a pris corps et forme dans le cadre d’un projet dénommé « Taxis Sisters ». Ce projet innovant à tous égards, ouvre aux femmes sénégalaises une ère nouvelle et les confirme, un peu plus qu’ailleurs, comme acteurs du développement.
Et pour que la femme, dans ce nouveau secteur, ne soit pas un simple alibi, juste un prétexte pour une touche aléatoirement féminine, on a voulu que les premières taxis sisters du Sénégal n’arrivent pas dans leur nouveau métier les mains vides. Elles sont presque toutes diplômées et certaines d’entre elles sont bilingues.
Une belle image qui ne peut être décrochée d’une ferme volonté d’émergence. Dix Sénégalaises aujourd’hui comme « taxis sisters » dans les rues de Dakar. 50 à partir de janvier 2008, avec la fin de la phase pilote du projet. C’est déjà, en projection, des femmes rurales sénégalaises conduisant des tracteurs dans les champs, dans une phase prochaine de modernisation de l’agriculture au pays d’Abdoulaye Wade.
L’émergence chemine avec nos progrès d’aujourd’hui et fait le lit de nos performances de demain. C’est l’état d’esprit d’un pays émergent qui fait ou qui fera un Bénin émergent, parce que un pays qui émerge ne se satisfait pas d’avoir atteint une destination, mais se préoccupe d’être et de rester sur un chemin, de s’inscrire dans un processus, dans une dynamique de progrès. L’émergence, c’est l’autre nom du progrès.
René Dépestre, écrivain haïtien, a écrit ces mots qui n’ont cessé depuis de résonner dans notre esprit : « Un devoir sacré frappe à chaque porte : dans l’espace planétaire qui est de plus en plus notre foyer, il nous faut nourrit l’éternel humain, l’alphabétiser, le loger, le soigner, le défendre, le bercer de tendresse et de poésie, l’éclairer jour et nuit des mille et une victoires que la modernité remporte dans la science, dans les arts ».
Jérôme Carlos
La chronique du jour du 20 septembre 2007