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La santé et le paradoxe béninois au pays du roi Boni 1er

 

Le Bénin est-il en bonne santé ? On ne saurait, de toute  évidence, répondre par l’affirmative, si l’on sait que, la semaine dernière, les praticiens hospitaliers des centres de santé publics étaient en grève. Qu’on ne nous demande pas de nous sentir en bonne santé si ceux qui sont en charge de notre santé ne respirent pas la santé, aussi bien dans leur travail que dans leurs conditions d’existence. Quand viennent à prendre froid et à s’enrhumer ceux qui nous soignent, nous toussons à perdre haleine, en proie à une méchante bronchite.

 

Le secteur de la santé peut être regardé, à juste titre, comme le siège social de ce que nous pouvons convenir d’appeler le paradoxe béninois. Et le paradoxe, pour que nous ne nous méprenions pas sur le sens du mot, est défini par le dictionnaire comme : « être, chose, fait qui heurte le bon sens ». Le secteur de la santé, dans notre pays, par ce qui s’y fait, par ce qu’on y voit, par ce qu’on y subit, met effectivement à rude épreuve notre capacité de bien juger.

 

Par exemple, le Centre national hospitalier et universitaire Hubert Koutoukou Maga de Cotonou aurait dû être notre structure hospitalière de référence. N’est-ce pas, en effet, en ce lieu que se concentre l’élite médicale de notre pays, une brochette impressionnante de professeurs agrégés en charge, in situ, de la formation de nos plus hauts cadres de santé ? Ne s’agit-il pas d’un hôpital urbain aussi bien au service de la ville la plus peuplée du Bénin, Cotonou, qu’au service des hôpitaux de zone de tout le Bénin ? N’est-ce pas en cet hôpital que les centres de santé de l’intérieur transfèrent les cas graves pour lesquels ils n’auraient ni l’expertise ni l’environnement, ni l’infrastructure requise ? N’est-ce donc pas un paradoxe que la structure hospitalière faîtière destinée à coiffer toutes les autres et à être citée et donnée en exemple n’a pu se tailler dans l’opinion que la triste réputation d’un mouroir ?

 

Par exemple, nous sommes un pays malade où il reste tant encore à faire pour combattre efficacement la multitude d’affections malignes ou bénignes qui clouent les plus jeunes au berceau, éloignent les plus âgés des chantiers du développement, gratifient tous d’une espérance de vie médiocre, à la limite du dérisoire. Quand on a ainsi du pain sur la planche, on ne peut que souhaiter avoir, en nombre suffisant, des centres de santé, des hôpitaux de différentes catégories, mais surtout un personnel médical à la hauteur, aussi bien de la mission que des défis ainsi annoncés, ceci en qualité comme en quantité. N’est-ce donc pas un paradoxe que nous continuons d’entretenir des contingents de médecins chômeurs dans un pays que nous savons malade, dans un pays que nous savons loin de combler ses besoins en soins de santé, dans un pays où l’on fait ainsi peu de cas des ressources humaines, la matière première de tout vrai développement ? Au cas où on l’ignorerait, les études en médecine sont, dans l’ordre des formations de niveau supérieur, parmi les plus longues, parmi les plus chères, parmi les plus difficiles.

 

Par exemple, c’est dans le secteur de la santé que nous avons choisi d’installer le jardin social du Bénin émergent, en prenant deux grandes et bonnes mesures sociales en soi, mais qui ne produiront leur effets qu’en améliorant sensiblement et prioritairement le cadre général d’un secteur où tout est loin d’être pour le mieux dans le meilleur des mondes : infrastructures laissant à désirer, personnel payé avec un lance-pierre, comme c’est notamment le cas dans le secteur public, déficit du strict nécessaire, pénurie de l’indispensable, à commencer par le sang, faute de réactif pour le traiter et le rendre disponible, conditions d’hygiène  plutôt douteuses… N’est-ce donc pas un paradoxe de parler de gratuité des soins médicaux pour les enfants de 0 à 5 ans ou de gratuité de la césarienne pour les femmes en couches, alors que les conditions qui prévalent dans nos hôpitaux et centres de santé, mettent objectivement en danger la vie de l’enfant et de la mère, bénéficiaires de ces mesures ? Que peut valoir, en effet, la gratuité des soins pour les enfants et la gratuité de la césarienne pour les femmes dans un mouroir ? Autant parler de visa, en bonne et due forme, pour le pays des morts.

 

Par exemple, les praticiens hospitaliers des centres de santé publics décident, il y a quelques jours, d’aller en grève. Ils avaient, il est vrai, un chapelet de doléances légitimes à faire valoir. Ils avaient des arguments en béton qui plaident, du reste, en faveur de leurs patients irrémédiablement condamnés à mort dans des centres de santé et hôpitaux abandonnés dans un état de décrépitude avancé, en manque cruel du matériel nécessaire, en déficit chronique de l’équipement adéquat. N’est-ce donc pas un paradoxe que d’avoir tant à cœur la vie de ses patients pour justifier et soutenir ses revendications et de partir en grève sans service minimum ? Comme si l’on admettait, par un syllogisme hypocrite qui verrait Hippocrate se retourner dans sa tombe, que pour sauver sûrement des vies, il faut absolument en sacrifier d’autres.    

 

Par exemple, la médecine dite traditionnelle nous entoure de toutes parts comme l’océan entoure une île. Elle est, pour la plupart d’entre nous, notre bain culturel le plus naturel qui soit, un peu comme l’air que nous respirons. Hors quelques bonimenteurs qui, par leurs faits et gestes, ne peuvent  être que la caricature la plus grotesque de cette médecine, nous comptons des tradipraticiens, des tradithérapeutes, des phytothérapeutes de grande valeur. Les résultats qu’ils enregistrent dans les médications qu’ils prescrivent ou dans les soins qu’ils administrent, plaident en leur faveur. N’est-ce donc pas un paradoxe que de continuer, officiellement parlant, d’ignorer cette médecine, de prendre platement le relais du colon, à travers le mépris qu’il lui vouait, de tourner le dos à un patrimoine que nous laissons inculte, en friche, pressés que nous sommes d’aller cultiver les champs des autres. C’est vrai qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre et qu’il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

 

Jérôme Carlos

La chronique du jour du 29 mai 2008

 


Tag(s) : #EDITORIAL
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