BENIN: Devoir de mémoire

BENIN: Devoir de mémoire

Connaissez-vous l’ancien président Mathieu Kérékou ? Bien malin qui répondra. Car, philosophiquement, le visage humain est insaisissable, et on le sait mieux depuis Emmanuel Levinas. Historiquement, pour des personnages aussi bien famés que l’acteur président Ronald Reagan sur qui existent des archives les plus précises au monde, les facettes kaléidoscopiques créent la confusion chez les spécialistes biographes. Devant la gestion de la mémoire de l’ancien président Mathieu Kérékou, le Bénin aura encore mille fois plus de difficultés. Non seulement, nous avons moins de moyens, mais surtout, nous n’avons pas une grande culture des archives. Les tendances à la récupération historique et à la fausse hagiographie prennent le pas sur la recherche de la vérité historique.

Il y a bien à craindre que celui qui a présidé le plus longtemps à la destinée de ce pays, et que le Bénin a besoin de connaître davantage pour mieux se connaître comme Nation, soit le plus insaisissable. Est-il né le 3 septembre ? De quelle année ? Dans un pays où l’état civil est déficient, quelle est l’authenticité de l’âge de nos présidents d’hier et d’aujourd’hui, puisque Kérékou ne se reconnaît pas dans ses 75 ans ? Quel est l’état des mémoires du président et de la mémoire du Caméléon ? Quels que soient ses refus d’interviews et ses célèbres réponses enjouées aux questions, nous perdrons beaucoup si nous n’investiguons pas la vérité historique sur la vie et l’œuvre de l’homme qui fait le lien, de manière unique, entre le Dahomey des indépendances, le Bénin marxiste et le Bénin du renouveau démocratique. 
Le mois dernier, en écoutant Pierre Osho expliquer et justifier la révolution marxiste, au cours d’une émission radiophonique à laquelle participaient avec lui Albert Tévoédjrè, Jérôme Carlos, Félix Iroko et l’ancien président Emile Derlin Zinsou, ce dernier lui adressa une réplique révélatrice de ce que la vérité de nos périodes historiques et de ses acteurs peut être dans une recherche contradictoire: «M. Pierre Osho, vous vous croyez marxiste, mais vous ne l’êtes». Ce serait se contenter de mémoires de Caméléon que de laisser chacun dire selon ses humeurs ce qu’il a fait et dit. La jeunesse a besoin de mieux pour s’orienter.

Abbé André S. Quenum