
La Cour constitutionnelle : le temps des interrogations
Date: Samedi 06 septembre 2008

Quinze ans durant, de1993 à 2008, jamais la notion de recours au sens d’ultime rempart protecteur, de dernier moyen efficace contre l’arbitraire, de régulateur par excellence de la vie publique nationale sous l’éclairage du droit, jamais une telle notion n’a été présente dans la conscience de l’immense majorité des Béninois. Comme si ceux-ci se sécurisaient à l’idée que rien ne pourrait arriver à leur démocratie et à eux-mêmes tant que veille sur la République leur Cour constitutionnelle.
Que le débat politique s’enflamme, que les acteurs, à différents titres, se passionnent à défendre leurs points de vue et leurs positions, que le citoyen lambda vienne à se sentir frustré ou maltraité face à la toute puissance de l’Etat, pas de problème. Les Béninois se persuadaient que le fleuve impétueux de la démocratie ne sortirait jamais de son lit, rigoureusement contenu qu’il serait par la digue de retenue d’eau que se veut être la Cour constitutionnelle.
La nouvelle mandature de cette institution, installée il y à peine trois mois, sous la houlette du Président Robert Dossou, semble progressivement sortir, au niveau de l’opinion et au regard de certains faits, de la ligne de sérénité et d’assurance tracée par les trois précédentes mandatures. On fait accompagner, d’une manière subjective, ses décisions d’un fort parfum de suspicion. On marque quelques réserves, quelques réticences à adhérer à ses conclusions. Et plus on va, moins ça va.
Comme si, à l’enthousiasme qui a accompagné les trois premières mandatures, succédait progressivement un dépit amoureux. Certains Béninois avouent, à tort ou à raison, ne plus reconnaître la Cour ou ne plus se reconnaître en elle. Et ce n’est pas parce qu’on est en face de simples présomptions, avec des opinions qui ne se fondent que sur des apparences, qu’il faut traiter à la légère ce qui prend les allures d’un divorce annoncé.
En fait, la quatrième mandature de la Cour constitutionnelle, placée sous la haute autorité de Robert Dossou, contrairement aux trois précédentes, est affectée, dès le départ, par trois péchés originels. D’où la nécessité pour elle de s’armer des moyens intellectuels et pédagogiques nécessaires pour convaincre, lever les équivoques, gommer les subjectivités, reconquérir l’opinion, susciter l’adhésion. Sans pour autant se départir des exigences et de la rigueur qu’impose une mission, de toute évidence, délicate et difficile.
Le premier péché originel est à rapporter aux conditions de désignation des sages de la Cour. L’Assemblée nationale devait en désigner quatre et le Président de la République les trois autres. On estima alors viciée la procédure qui fut initiée par le Parlement pour ce faire. On insinua une manœuvre du président de cette institution. Pourquoi ? Dans quel but ? Il n’en faut pas plus pour crier au complot, à la politisation d’une institution qu’on voudrait voir s’imposer et en imposer à tous, en se plaçant au-dessus de la mêlée. Quand on ajoute à cela le préjugé tenace selon lequel celui qui contrôle la Cour constitutionnelle, se donne des atouts francs pour contrôler bien des choses, la suspicion se mue en acte d’accusation.
Le second péché originel tient au profil et à la personnalité du Président de l’institution. Difficile de faire la part des choses entre ce que Robert Dossou fut, ce qu’il fit et ce qu’il incarne aujourd’hui. On a beau jeu de chercher et de trouver derrière le Président d’une institution de la République, le politicien dont on ne peut pas dire ignorer la couleur affichée, les idées portées, les convictions défendues. Et toute l’institution qu’il dirige est vue et appréciée à travers un tel prisme, et toute l’institution est assimilée et identifiée la personne du chef. Cela ne peut que tirer à conséquence.
Le troisième et dernier péché originel, c’est le contexte actuel pourri de la vie politique dans notre pays. Il y a trop d’électricité dans l’air, trop de nervosité dans les différents états-majors politiques, trop de querelles à vider pour que le débat public puisse être serein et objectif. Le soupçon étant en tout et partout la règle, on a tôt fait d’accuser de rage le chien qu’on veut noyer. Et dans ce branle bas général où ça vole bas, tous les coups sont permis. On peut choisir de se taire sur ces quelques faits. Mais, on ne rendrait pas, ce faisant service à la démocratie. Il ne faut laisser, sous aucun prétexte, ces faits, qu’ils soient avérés ou non, s’accumuler et se sédimenter dans les consciences. Relevons-le. Examinons-les. Analysons-les. Cette tâche revient, au premier chef, aux sept sages de la Cour.
On se donne plus de chance de guérir d’un mal parce qu’on a su bien le diagnostiquer.
Jérôme Carlos
La chronique du jour du 5 septembre 2008