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Le gâchis des évacuations sanitaires


Vendredi 17 octobre 2008 

 A combien revient au budget de l’Etat une  évacuation sanitaire ? Le chiffre est désormais connu : approximativement 3 millions 300 FCFA. Et ce sont des dizaines d’évacuations sanitaires que nous effectuons chaque année. Comme pour confesser que devant certains cas, nous ne sommes pas compétents, nous ne sommes pas équipés, nous ne sommes pas performants.
 L’évacuation sanitaire, dans l’absolu, pour un pays qui va vers ses cinquante ans d’indépendance et de souveraineté, comme le Bénin, c’est un aveu d’impuissance, c’est le signe d’un sous-développement persistant, si ce n’est l’absence d’une action sanitaire « autocentrée » et « autoentretenue » pour utiliser des expressions très onusiennes.

Un pays pauvre, sous le prétexte de sauver des vies humaines, argument sensible et quasi imparable, entre dans un business bizarre. Il distrait ses maigres ressources, ressources collectées souvent au prix d’énormes sacrifices, ressources mobilisées à la suite d’une mendicité dégradante, à la quête de la charité internationale. L’affectation d’une partie de ces ressources à des fins d’évacuations sanitaires ne peut avoir pour résultat que de créer et de maintenir des emplois dans le système de santé des pays riches donateurs.
L’argent dépensé dans ces conditions contribue peut-être à sauver une vie. Ce que semble même démentir, par ailleurs, un expert qui apporte la précision ci-après : « On note dans la plupart des cas que certaines personnes évacuées décèdent entre le premier jour et le 365ème jour après leur évacuation » Et notre expert d’ajouter : « Les évacuations sanitaires améliorent très peu le pronostic vital des malades ». (Fin de citation). Les évacuations sanitaires relèvent, en effet, de cas extrêmes, voire désespérés. Et c’est rare que celui qui y a droit y renonce, accroché qu’il est, avec l’énergie du désespoir, au mythe du sorcier blanc capable d’infléchir le verdict de Dieu.
Les évacuations sanitaires, toujours onéreuses, avec des résultats toujours mitigés, pénalisent lourdement et au moins trois fois tout pays pauvre qui finit par les intégrer, même comme un pis-aller, à son système de santé. L’évacuation sanitaire ne peut être la règle, la norme. Elle est et reste de l’ordre de l’accidentel et de l’exceptionnel. En dehors de l’hémorragie financière qu’elle provoque, l’évacuation sanitaire touche à trois principes majeurs que sont l’indépendance en matière de santé, l’autosuffisance sanitaire et la démocratie ou l’égalité des chances devant la maladie.
L’indépendance découle du principe de souveraineté. Le Bénin définit sa politique de santé et l’assortit de stratégies qu’il estime appropriées pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé. L’indépendance politique du pays devrait, dans ce cas, marcher d’un seul et même pas avec son indépendance dans le domaine de la santé. Toute dissonance, toute discordance à ce niveau infirme, en le niant, le principe de la souveraineté.
D’un côté, nous exhibons fièrement les attributs extérieurs de notre affranchissement du joug colonial, avec un drapeau qui flotte au vent, avec une devise qui se détache, en légende, sous  nos armoiries, avec un hymne national auquel nous avons conféré la vertu magique, dès qu’il est entonné, de faire figer  chacun et tous dans une posture de profond respect. De l’autre, nous sommes les citoyens d’un pays qui, pour pourvoir à leurs  besoins de santé, à un certain stade, mais seulement pour une poignée d’entre eux, doivent s’en remettre à l’extérieur, plus généralement à l’ancien maître colonial. Par ce décalage entre ce qui est signe et signifiant et ce qui est signifié, chaque évacuation, en son principe, clame et proclame les limites de notre souveraineté. C’en est assez pour que nous cessions de nous nourrir d’illusions : nous  sommes encore entravés, pieds et poings liés; nous sommes toujours sous tutelle ; nous ne sommes pas encore libres.
L’autosuffisance sanitaire est un objectif de développement. Elle impose à un pays de se pourvoir, de manière optimale, en moyens humains, matériels, financiers, infrastructurels pour répondre au mieux aux besoins de santé de ses populations. Pour se libérer, devrait-on ajouter, de toute obligation d’évacuation sanitaire. Pour y parvenir, on peut situer l’autosuffisance, dans une vision prospective, à un horizon déterminé, par la mobilisation planifiée des ressources nécessaires ; on peut mettre un accent particulier sur la prévention, pour que la maladie et les soins afférents soient de l’ordre de l’exception ; on peut construire une heureuse convergence entre les ressources de la médecine dite moderne et celle dite traditionnelle, la complémentarité entre les deux devant avoir la vertu de doper l’offre de santé au point de rendre dérisoire toute idée d’évacuation sanitaire.
La démocratie face à la maladie, c’est d’offrir aux citoyens d’un seul et même pays des chances égales devant la maladie, donc face à la santé, face à la vie. L’évacuation sanitaire, ne s’adressant qu’à un carré d’ayants droit, introduit, en matière de santé, une détestable et intolérable discrimination. C’est, ni plus ni moins de l’apartheid sanitaire. Heureusement que la mort vient nous rappeler la vanité des privilèges : évacués ou non évacués, même combat, une part rigoureusement égale à l’humaine condition.

Jérôme Carlos
La chronique du jour du 17 octobre 2008

Tag(s) : #EDITORIAL
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