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FACE A LA NATION BENINOISE: 4 questions à Boni Yayi

 


A  l’occasion  du  49e  anniversaire  de  l’indépendance  du  Bénin,  les  déclarations du président de la République au sujet des préoccupations des citoyens, suscitent plus d’interrogations qu’elles n’apaisent les esprits.


Abbé André S. Quenum

 


A la faveur des célébrations du 1er août, le président de la République, Boni Yayi s’est appliqué à deux interventions publiques qui continuent de susciter des commentaires et des réactions dans tous les sens. Il a, d’une part, délivré le discours traditionnel de la veille de la fête et, d’autre part, accordé à deux journalistes une interview télédiffusée sur toutes les chaînes. Ces deux prises de parole interviennent dans un contexte de crispations et de tensions politiques, économiques et sociales que viennent aggraver des dossiers de malversations et de mal gouvernance qui peuvent secouer le gouvernement du changement de manière sérieuse.

L’occasion d’une fête de l’indépendance était une aubaine pour que le pouvoir envoie des signes forts pour rassurer l’opinion publique. Du point de vue communicationnel, si le gouvernement décide que le président de la République lui-même porte ses paroles d’assurance à l’opinion, comme c’est le cas, il va sans dire que l’exercice doit être bien conçu pour que son autorité n’en souffre pas. Le fait donc que, en plus de son discours à la nation, le chef de l’Etat s’est senti obligé de se prêter à un exercice d’interview, la deuxième en trois ans - pour dire que ce n’est pas son genre préféré - ce fait indique qu’il a saisi la gravité de la situation. Cela pourrait signifier qu’il a des raisons de s’inquiéter. La tentative valait la peine. Mais les objectifs escomptés sont-ils atteints? La majorité des commentaires et réactions n’en donnent pas l’impression. Il semble qu’en étudiant la performance du président de la République, il y a plusieurs questions et inquiétudes qui viennent à l’esprit, qu’il urge de s’attaquer à traiter de manière convaincante. Ici, parmi elles nous en présenterons quatre. Elles représentent des lignes de lectures globales comme suit: les questions de la responsabilité, de la gouvernance, de la gestion politique, et celle des genres ou des formes.

 

La question de la
responsabilité


«Nous avons échoué», a déclaré le président Boni Yayi durant l’interview. Cet aveu mérite qu’on s’y arrête longuement. Et nous promettons de prendre le temps de le faire ailleurs. Mais déjà, remarquons ici que le président donne l’impression de situer les responsabilités de cet échec et des malversations scandaleuses de son régime, lorsqu’il se dit responsable mais non pas coupable, en empruntant rien de plus que cette formule rendue célèbre par Georgina Dufoix lors du scandale du sang contaminé en France. Soit, en tant qu’exercice de communication publique, c’est une manière de procéder. Mais de façon concrète, comment cette distinction subtile rassure-t-elle l’opinion publique, en présumant que le chef de l’Etat a le souci de son audience? De quoi donc Boni Yayi se montre-t-il responsable de manière à ramener la confiance des citoyens en lui et en son régime qui n’est pas loin de battre de l’aile? Par rapport à la gestion du pouvoir et aux scandales, de quoi répond-il précisément? Face à l’avenir qui s’assombrit, que répond-il ? Face aux erreurs du passé et pour les solutions à préconiser, comment rassure-t-il ? Evidemment, ces questions n’ont pas trouvé de réponses fortes et mûries dans ses interventions. Et l’on se demande si le président prend patiemment le temps de trouver en lui-même et dans son système l’opportunité d’écouter la réalité telle qu’elle est, et non pas telle qu’elle pourrait être présentée et enveloppée dans des discours partisans et flatteurs ? Car, s’il se contente d’un jeu de mots, jouant à rendre moins compatibles responsabilité et culpabilité, la réalité ne pardonne pas. Quoique la nuance fasse effet. Et alors, à force de faire des effets de communication sur le concept de responsabilité, jusques à quand peut-il rester dans l’illusion sans finir par devenir coupable ? Les trois autres questions constituent trois lieux de mesure concrète du sens et du devoir de responsabilité que clame le chef de l’Etat par les mots.

 

La question de la gouvernance  


Les scandales politico-financiers qui tournent autour du ministère des Finances touchent le cœur même des promesses électorales et de tout le projet de changement brandi devant les Béninois depuis 2006, c’est-à-dire la question de la bonne gouvernance. Le régime actuel nous a rabâché, avec chiffres à l’appui, la gravité de la mal gouvernance du régime précédent en fustigeant à maintes reprises à quel point les caisses de l’Etat étaient presque vides et en organisant des audits de 8000 pages qui, finalement, n’ont abouti à rien, sinon à une tentative de chasse aux sorciers vite abandonnée. 

 
L’opinion était donc en droit de s’attendre à une meilleure gouvernance et à une véritable lutte contre la corruption. Or, c’est justement à ce niveau crucial pour le régime du changement, que des faiblesses plus graves et des moins tolérables ont commencé à se révéler. Les téléspectateurs auraient mieux accepté tout ce que le président de la République a dit sur la crise économique s’il n’y avait pas de sérieux problèmes de mal gouvernance. Et il est difficile de dire que de ce point de vue, le président a pris ses responsabilités de manière convaincante puisque, sans le dire, sa ligne d’argumentation n’est pas loin de rejoindre ce que nous avons l’habitude d’entendre dans les cas de corruption sous le président Kérékou : «c’est  son entourage».  Il semble, curieusement, qu’au Bénin, nous avons toujours des présidents qui passent pour être bons, et il n’y a que leur entourage qui détourne et qui gère mal. Si une telle thèse est acceptée, il faudrait comprendre que les promesses du changement ont échoué dans la tentative de changer l’entourage du chef et de réduire les mauvaises pratiques de gouvernance.
Ce qui n’est pas facile à accepter, c’est que le président de la République n’a pas et ne donne pas une lecture convaincante du problème pour qu’on puisse espérer de sa part des propositions rassurantes comme approches de solution. Est-il exagéré de dire qu’en trois ans, le président n’a pas pu asseoir avec une relative stabilité et coordination, une bonne équipe gouvernementale ? Puisque avec le dernier limogeage du ministre Lawani, il devient apparent même pour les observateurs les plus favorables au régime du changement, qu’il y a des problèmes de disfonctionnement sérieux du système, pourquoi ne pas faire preuve d’un effort sincère pour mieux s’atteler au moins à l’une des racines du problème ? Et d’un point de vue sectoriel, pourquoi avoir changé de ministre des Finances après une première année de bonne gestion de ce ministère ? Le président a le mérite de reconnaître que la question préoccupe les Béninois. Mais il répond que c’est pour permettre au ministre d’alors, Pascal Koupaki, de quitter la gestion du quotidien pour se consacrer aux questions de vision stratégique qui, il faut le reconnaître, faisait défaut à Yayi au début de son mandat. Evidemment, cette réponse donne l’impression d’oublier que le tout premier ministère des Finances s’appelait ministère du Développement, de l’Economie et des Finances.  
En plus, le ministre Soulé Mana Lawani, «le garçon» comme il l’appelle, était, aux dires du président lui-même, un bon cadre de la Bceao. Qu’est-ce qui a pu donc se passer ? En fond, quelles sont les forces et les logiques à l’œuvre dans le système Yayi pour qu’un ministre qui fait bien ne puisse durer en sa position, et qu’un haut cadre, bon par ailleurs, quitte le gouvernement la tête basse ployant sous le poids de graves accusations; et qu’ un autre ministre, cependant, soit plutôt honorablement suspendu? En somme, au-delà du dossier de la Cen-Sad et du ministre Lawani, c’est à la question de la qualité du système, aussi bien au niveau de l’équipe qu’au niveau de la méthode de gouvernance, que le président doit répondre s’il veut de manière responsable s’attaquer aux problèmes. Il est vrai, il doit accompagner la gestion technique des affaires avec une meilleure maîtrise de l’environnement politique. Cela pose l’ultime question de la gestion politique en même temps que celle du style, pour utiliser un terme managérial.

 

La gestion politique


Il est clair. Le président Boni Yayi a un problème avec le multipartisme intégral du Bénin. Il l’a dit dans son discours d’installation de la Commission technique de relecture de la Constitution, le 20 février 2008. Il le répète dans son discours de la veille du 1er août, et il y insiste lors de son interview. En toute vérité, les acteurs politiques et les citoyens, tous nous sommes gênés par l’émiettement exagéré des formations politiques, réel handicap au renforcement de la démocratie. Toutefois, le président aborde la question d’une manière qui inquiète. D’un, il s’embarrasse du multipartisme pendant que lui-même est au chef d’une avalanche de partis et mouvements politiques naissants sans cesse dont il participe à l’installation officielle! De deux, même si la solution devrait se trouver dans une modification de la Constitution, comment le président compte-t-il gérer la multiplicité des positions politiques pour conduire à une révision constitutionnelle qui ne casse pas le pays ? Pourquoi ne commence-t-il  pas par résoudre le problème au niveau des forces associatives et politiques qui, dans leur multiplicité, l’ont porté au pouvoir et continuent de le soutenir à un rythme de reproduction par scissiparité, chaque semaine, avec pour objectif de lui donner un second mandat ? Il faut d’abord qu’il réduise les contradictions et même les conflits violents qui couvent dans le camp de sa mouvance plurielle pour acquérir de la crédibilité dans son désir de régler ce problème au niveau national.


De la même façon, le président a parfaitement raison de s’inquiéter de la trop grande proximité des syndicalistes avec les partis politiques. Mais il sait que le phénomène n’est pas nouveau. Il sait aussi que s’il y a des syndicalistes qui sont proches de l’opposition, il y en a qui sont ouvertement proches de la mouvance aussi.  Alors, pourquoi créer de cette manière une guéguerre qui ne résout rien, tout en proclamant par ailleurs son amour pour tout le monde? En plus, on n’a pu s’empêcher de remarquer que le président, qui n’est pas bien informé de certains dossiers très importants du conseil des Ministres, est parfaitement informé du projet de marche des syndicalistes. Le chef de l’Etat a besoin de rassurer davantage sur sa manière de gérer ses propres forces politiques, avant de pouvoir plus efficacement influencer positivement l’ambiance politique dans la nation toute entière.  Par conséquent, même si la création d’un meilleur dialogue politique national ne dépend pas de lui seul, ses appels au dialogue ne seront plus de vains mots. Et, sous-jacente à la responsabilité du président de la République en matière de gouvernance technique et politique, apparaît la question des formes d’actions publiques, comme quatrième et dernière série de questions à retourner au président.

 

La question de forme


Avec le spectacle de l’interview et du défilé, il y a aussi une autre ligne de préoccupation qu’il faut soumettre au président de la République. C’est à la fois une question de procédures dans les décisions et les actions, celle de manières de poser les actes publics, du respect des formes selon le genre d’actions publiques envisagées. C’est à la fois une question de méthode et de style. Plus qu’une question de détails auxquels on a loisir de s’adonner ou non, la question de méthode et de style permet d’aboutir à une plus grande efficience. Prenons trois exemples à partir du week-end de la célébration desfestivités  de notre indépendance.

 

 Premièrement, du point de vue communicationnel, chacun s’interroge «naturellement» - si vous voyez ce que je veux dire - sur le fait que le président de la République appelle les journalistes qui l’ont interviewé par leurs prénoms directement, et qu’il appelle «garçon» son ancien ministre. Sur le plan militaire, beaucoup ont été surpris de voir le chef des Armées donner des accolades aux généraux qu’il venait de créer. Sur le plan religieux, celui qui se dit choisi par Dieu, s’est étonné publiquement sur le fait que Dieu aussi laisse les difficultés s’abattre sur lui. Dans chacun de ces domaines, des plus simples aux plus compliqués, n’y a-t-il pas forme spécifique d’action dont il faut respecter les règles? A quoi servirait le protocole pour être formellement prescrit autour de l’autorité d’Etat? Il vaut mieux ici se contenter de questions pour ne pas en avoir à dire trop.
En somme, le peuple a besoin de mieux, de beaucoup mieux pour être rassuré.

 

Source: La croix du Bénin N° 1006 du 07/08/2009

    
Tag(s) : #EDITORIAL
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