
La gestion du dossier de la CEN SAD fini aujourd’hui par révéler au grand jour les dysfonctionnements dangereux du régime dit du Changement. D’ailleurs, d’après l’éditorialiste du journal la Croix du Bénin, après que « la tête a perdu pied », elle s’est enlisée dans un « cafouillage malsain ». En effet, à travers l’interview accordée à deux journalistes de Golfe TV et de la télévision nationale, le chef de l’Etat a semble-t-il voulu démontrer sa bonne foi au peuple de même que son souci de respecter les principes de fonctionnement de son gouvernement dont il nous abreuve à longueur de discours à savoir : obligation de résultat, obligation de compte rendu et obligation de reddition des comptes. Il a pour ainsi dire voulu nous démontrer une certaine sincérité à en juger par le langage terre à terre utilisé, comme s’il voulait toucher le cœur de chaque Béninois. Mais d’où me viens alors cet étrange et persistant sentiment d’insincérité voir de mépris que je ressens de la part du chef de l’Etat depuis son passage ?
La forme de l’intervention.
Deux questions me viennent à l’esprit.
1-Pourquoi avoir préféré de nous diffuser un entretien préalablement mis en boite plutôt qu’un direct ? Il me semble que le direct aurait bénéficié de plus de crédit à cause de la spontanéité. Le souci de passer pour sincère auprès du grand public se serait bonifié d’un langage franc à l’abri de tout arrangement technique et de tout montage. Mais le Président de la République et ses conseillers ont préféré le différé afin, certainement, de pouvoir soumettre l’enregistrement au scalpel des chirurgiens plasticiens de la communication du régime, pour en extirper les éléments non politiquement corrects ou les vérités dérangeantes que le chef de l’Etat aurait lâchées spontanément : la vérité est têtue.
2-Sur quelles bases a-t-on choisi les deux journalistes chargées d’animer l’émission ?
Il est clair que rien n’a été fait au hasard. Il est tout aussi évident pour le dernier des Béninois que le critère ayant présidé au choix des journalistes n’est nullement leur compétence en matière d’interview car, sans vouloir faire la moindre injure à Annick BALLEY et à Olga KOKODE, sur la place, elles ne sont pas les meilleures en la matière. Mais ce qui est curieux c’est qu’elles appartiennent plutôt à deux organes dont la ligne éditoriale, depuis l’avènement du Changement, laisse tant à désirer.
En tout cas, exception faite de certains rares irréductibles de ces organes (et elles n’en font pas partie) qui animent des émissions et soutiennent des positions d’une courageuse objectivité de nos jours, ces organes ont choisi, semble-t-il, d’accompagner le Changement dans le décor. D’ailleurs, on n’est pas surpris de l’attitude complaisante de ces deux journalistes sur bien des développements assez limites du chef de l’Etat, allant parfois jusqu’à se comporter en passives spectatrices voire en admiratrices. Laissant de ce fait le chef de l’Etat soliloquer longuement et le reprenant très rarement.
Qui a idée d’organiser un tel débat en France (pour prendre la référence couramment utilisée ici) en n’invitant pas les dinosaures de l’interview tel les Jean-Pierre ELKABACH, David PUJADAS, Olivier MAZEROLLE, PPDA, ou encore Christine OCKRENT et Béatrice SCHONBERG après untel scandale au sommet de l’Etat ? Nos ELKABACH et consorts locaux, nous les avons. Ils s’appellent Georges AMLON, Maurille AGBOKOU, Expédit OLOGOU etc. Tout le monde les connait.
C’est pourquoi, le fait d’avoir choisi des journalistes poids plume, passives et complaisantes comme BALLEY et KOKODE, avec lesquels le chef de l’Etat s’est livré à une familiarité surprenante dénote d’un malsain dessein de nous cacher bien des choses. Le contraire nous aurait surpris.
Pour ce qui est du fond.
Dans le flot d’interrogations qui me submergent, je me rends compte que le chef de l’Etat a semé plus de doutes dans mon esprit qu’il ne m’a éclairé. Sa tentative de nous convaincre en invoquant le nom de Dieu dès la première question et tout le long de son intervention de même que cette facilité à jurer, (trois fois au moins) loin de me rassurer, m’inquiètent. Il est évident que ce faisant il doute lui-même de la sincérité de ses propos et recherche (en jurant et en professant le nom de Dieu de façon intempestive) à se faire passer pour ce qu’il n’était pas à l’occasion : sincère et honnête. Quelqu’un l’a déjà dit, la politique, « c’est l’art de douter tout en voulant faire croire ». Cependant, je crois que mêler Dieu à cette religion très peu catholique, appelée Changement, dont le chef de l’Etat tente de nous convaincre depuis avril 2006 me parait blasphématoire. Un chef d’Etat ne jure pas. Il pose des actes sûrs et convaincants, qui parlent d’eux-mêmes.
Alors je pose deux questions :
1- Pourquoi devrais-je croire que le chef de l’Etat est capable de vertu devant les plus grands enjeux alors qu’il en a montré très peu dans les plus petits ?
Déjà quelle idée d’entrevoir la possibilité de contester les résultats de la présidentielle à venir ? Même dans les rêves les plus fous des Béninois il ne viendrait à l’idée de personne qu’une élection présidentielle soit contestée une foi que la Cour constitutionnelle, notre Vaudoun national, a dit son mot. Est-ce parce le président de la République s’est déjà permis d’être à la fois juge et partie dans la dernière élection communale et municipale qui n’a toujours pas donné son verdict final ?
Si le chef de l’Etat et son camp sont capables de gérer avec une telle partialité une élection communale, la logique ne voudrait-elle pas que la gestion de la présidentielle, élection à enjeu majeur et dans laquelle il sera personnellement engagé, soit faite de façon totalement partisane et antidémocratique ? Et nous en avons déjà les inquiétantes prémisses. A savoir l’incompréhensible fébrilité qui s’empare de lui et de son camp dès l’annonce d’une probable candidature, comme s’il voulait être l’unique candidat.
A cela s’ajoutent les déclarations de son ministre des transports terrestres à Dassa, de même que le silence, sinon l’alignement opportuniste, mais proprement inopportune du Bénin derrière une hypothétique position de la CEDEAO fasse à la parodie de referendum du 4 août au NIGER, alors que le président Nigérian, dont le pays ne passe pas pour être un exemple de démocratie a pourtant exprimé publiquement ses inquiétudes. On nous parlera d’intérêts économiques à préserver. Excuse providentielle.
2- Comment veut-on que je crois en la réforme de l’administration si tout ce que ces prétendues réformes ont réussi à accoucher jusque-là, ce sont des textos pour me féliciter de mon assiduité au travail, moi le privé dont les gains sont tributaires de la façon dont je me défonce au boulot, contrairement aux ministres du gouvernement qui sont contraints de parcourir les champs pour trouver un expédient à leur oisiveté proverbiale quand ils ne sont pas constamment en campagne pour chanter les louanges du chef de l’Etat ?
Le chef de l’Etat veut-il nous dire qu’il ne voit pas que ses ministres et ses DG, une fois nommés, rivalisent d’ardeur pour organiser des meetings de soutien à son action et offrir des présents aux populations ? Veut-il nous dire le plus sincèrement et le plus honnêtement du monde qu’il pense que ces extravagances sont financées par les salaires de ces occasionnels et douteux donateurs ? On a même vu un directeur de société, sorti de nulle part, offrir, personnellement, un tracteur de grande puissance à des populations d’une localité de notre pays.
Donc, des fonctionnaires de la République distribuent de l’argent à tour de bras et personne ne se demande où ils le trouvent ni pourquoi faut-il attendre d’être nommé ministre ou DG pour subitement devenir généreux à l’égard de populations dont on connait la misère depuis toujours ? Après l’on feint d’être surpris de constater que la bamboula est organisée autour des deniers de la république. A d’autres.
Nous le savons : tout le système de nomination a aujourd’hui pour socle le clientélisme. Et le promoteur en est, malheureusement, consciemment ou inconsciemment, le chef de l’Etat lui-même. Je ne pourrai donc pas croire en sa capacité d’opérer une juste réforme de notre administration tant que ce phénomène durera. Et surtout, tant qu’il sera obsédé par sa réélection en 2011.
L’exercice auquel le chef de l’Etat s’est livré le 1er août à la télé a été laborieux et lamentable, truffé de contre vérités et d’approximations assez inquiétantes. Sur le fond comme sur la forme, le chef de l’Etat est passé à côté de l’épreuve. Il y a deux ans, c’est lui-même qui reprochait aux opérateurs GSM de lui parler comme s’ils s’adressaient à quelqu’un qui n’avait jamais été à l’école. A l’occasion de cette interview, j’ai eu le douloureux sentiment que c’est lui qui était à notre place et lui, à celle des opérateurs GSM de cette époque. Quelqu’un a-t-il dit que « le messie viendra après sa venue ». Moi je dirai que le messie n’était certainement pas celui que nous croyions. C’est la conclusion à laquelle les événements ont conduit bien des béninois, bien longtemps avant l’épiphénomène qu’est l’affaire CEN-SAD.
Sourou Olaïtan ARISSI.