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De l’obligation de rendre compte, Boni Yayi a renoncé

 

03/09/2009

 

Dans le discours d’investiture de Boni Yayi, trois concepts avaient retenu l’attention de l’opinion publique, puis repris en chœurs par les médias et les citoyens ; il s’agit de l’obligation de résultats, de l’obligation de rendre compte et de la démocratie concertée. A l’usage du pouvoir on se rend compte que le chantre du changement fait montre d’un déficit chronique de culture démocratique.

L’obligation de rendre compte est un processus qui va de la production de l’information sur la gestion, à la mise à disposition des citoyens qui sont les vrais détenteurs de la souveraineté nationale contrairement à ce que pense celui qui croit qu’après Dieu c’est lui. Les responsables politiques doivent donc s’inscrire dans la logique de production systématique de rapports sur l’exécution des activités ; c’est cela un des aspects fondamentaux de la démocratie et les textes de la Loi fondamentale sont conçus dans cet esprit. Le gouvernement en place donne le sentiment de ne pas pouvoir se plier à cette ligne de conduite. L’audit des comptes de l’Etat avait fait l’objet d’une annonce très controversée notamment en ce qui concerne le montant des disponibilités pour le fonctionnement de l’administration publique. Les audits des sociétés d’Etat et des ministères avaient défrayé la chronique pour enfin laisser les populations sur leur soif. A ce sujet, on peut comprendre que la reddition des comptes et par ricochet la lutte contre la corruption dont Boni Yayi semble se faire le chantre apparaît comme la poudre aux yeux. Des effets d’annonces pour une simple prise de conscience ne peuvent pas suffire, la preuve, on en est arrivé au scandale lié à la préparation du dixième sommet de la Cen-Sad qui n’a pas encore révélé tous ses aspects.

Aucune action forte n’a été véritablement engagée pour convaincre l’opinion de la sincérité de Boni Yayi dans sa volonté de rendre compte de sa gestion des affaires de l’Etat. Au contraire, des dossiers faciles à secouer sont laissés dans les tiroirs parce qu’ils confondent des thuriféraires du régime. Certes il y a eu la mise sur pied de l’Inspection générale de l’Etat, mais aujourd’hui, elle apparaît comme un joujou de Boni Yayi pour faire peur à ceux qui semblent ne pas être acquis à sa cause. Comment a-t-on rédigé le cahier des charges pour qu’aucun cabinet ne veuille auditer la société Bénin Télécom ? Deux organisations de la société civile spécialisées dans les scandales politico financiers avaient relevé de sérieuses irrégularités dans la gestion de deux directeurs de la SBEE et les avaient mises sur la place publique. Le Conseil des ministres en sa séance du 10 novembre 2007 avait statué sur le rapport accablant de l’IGE à ce sujet.

Mais entre temps, les deux personnes épinglées étaient devenues parlementaires sur la liste électorale confectionnée et conduite par Boni Yayi. Très vite, Boni Yayi avait annoncé qu’il avait saisi le président de l’Assemblée nationale aux fins de la levée de l’immunité parlementaire des deux députés. A la recherche, les députés ne trouveront aucune trace d’une quelconque lettre de Boni Yayi dans ce sens. La charte de bonne conduite dont s’est doté le gouvernement au début de la mandature de Boni Yayi pour, entre autres, évaluer l’action des ministres est foulée au pied puisque, à part peut-être Soulé Mana Lawani, l’opinion n’est pas instruite sur les motifs de limogeages de nombreux ministres et directeurs de sociétés d’Etat.

L’implication ostensible de Boni Yayi dans la confection de la liste électorale FCBE pour les élections législatives de mars 2007 montre clairement sa détermination à contrôler tous les leviers du pouvoir, ce qui constitue les prémisses de l’instauration de la dictature qui ne s’accommode pas de la reddition de comptes. Traditionnellement, l’Assemblée nationale constitue le terrain sur lequel les présidents de la République vont piocher les membres de leurs gouvernements. Une majorité parlementaire aux ordres de Boni Yayi ne favorisera pas une démarche du parlement à exiger la reddition des comptes par le gouvernement. Les propos de Boni Yayi tenus lors de la rencontre qu’il avait initiée avec les différents démembrements de la CENA en mars 2007 étaient à ce sujet très éloquents ; " après Dieu, au Bénin ici, c’est moi " avait-il déclaré ; il foulait ainsi aux pieds l’esprit selon lequel, en démocratie, c’est le peuple qui est le vrai détenteur du pouvoir et à qui on doit effectivement rendre compte.

C’est la nature profonde de Boni Yayi de se prendre pour celui qui n’a de compte à rendre à personne. En effet, le 13 mars 2007, alors qu’il était en campagne pour les élections législatives de mars 2007 à Péhunco, il déclarait " …pour que mes rêves se réalisent, je vous demande de voter la liste cauris. Je dois avoir mes propres députés pour réaliser au Nord. Si vous ne votez pas, sachez que je suis toujours le président. Je suis la butte, je suis l’igname, je suis le pilon et le mortier. Je suis le sel, la viande, le piment, la tomate, l’eau et la sauce. Sans moi, vous ne pourrez rien… " Voila le niveau de langage de celui qui se fait appeler Docteur ! Jamais depuis le renouveau démocratique, de tels propos n’ont été tenus publiquement par un haut responsable politique.

Comment prêter foi à la volonté de celui qui veut rendre compte s’il chatouille l’instinct grégaire des populations pour promouvoir sa liste électorale. C’est l’arme typique des responsables politiques qui n’ont rien à proposer pour le mieux-être des populations. Dans ce cas, on ne doit évidemment pas s’attendre à une reddition des comptes. C’est, de toute évidence, une arme qui, si nous n’y prenons garde, peut se révéler fatale pour le processus de construction d’une nation que nous avons engagé. Boni Yayi avait en effet, au cours de la campagne pour les mêmes élections, dit aux populations de la vallée de l’Ouémé, que si elles ne votaient pas pour sa liste, elles n’auraient ni routes, ni centres de santé ni écoles. Cela n’avait pas empêché l’honorable Saka Fikara de renouveler son siège de député dans cette circonscription électorale. Et c’est peut-être ce qui explique la route d’Akpro-Missrété-Bonou peine à connaître son achèvement !

Pour s’obliger à rendre compte, il faut permettre l’instauration de véritables institutions de contre-pouvoir, c’est-à-dire celles dont les animateurs ne se sentent pas très obligés vis-à-vis du chef de l’exécutif. Cette forme de gouvernance n’arrange pas évidemment Boni Yayi dont le moins averti de nos concitoyens a compris qu’il est allé à l’assaut de tous les leviers du pouvoir. Cela lui a permis de se voir comme un Dieu qui n’a de compte à rendre à personne ce qui favorise le développement du culte de la personnalité. C’est en effet à l’Assemblée que se fait le contrôle de l’action gouvernementale. C’est la structure la mieux à même d’exiger du Gouvernement la reddition des comptes sans laquelle la bonne gouvernance serait un concept fumeux.

L’un des outils fondamentaux pour cette tâche est la loi de règlement que, sous le Changement, on semble ignorer. En effet, la loi de règlement est au cœur du processus de la reddition des comptes en matière de gestion des finances de l’Etat. Les trois acteurs sont le gouvernement, la Chambre des comptes de la Cour suprême et l’Assemblée nationale qui y jouent chacun un rôle spécifique. L’Assemblée nationale peut manifester son indépendance vis-à-vis du Gouvernement. Il est difficile d’en dire autant de la Chambre des comptes de la Cour suprême dont les animateurs sont des fonctionnaires nommés par de le ministre de la Justice. La Chambre des comptes est précisément chargée d’examiner les documents produits par le Gouvernement et de produire un rapport synthétique en vue d’apporter un éclairage pour la compréhension desdits documents. Le mécanisme peut se gripper du fait du lien de subordination des comptables de la Chambre des comptes par rapport au gouvernement. L’activité parlementaire a été l’une des plus médiocre depuis le renouveau démocratique. En effet, des blocages délibérés et abusifs avaient été mis en oeuvre pour cause de calculs politiciens.

L’initiative de Boni Yayi de vouloir relever le prix de la licence des opérateurs de la téléphonie mobile était louable, mais aujourd’hui le peuple se demande bien ce qu’il en est effectivement. Voilà bien un dossier sur lequel on peut battre en brèche la volonté du chantre du Changement de vouloir rendre compte. Le paysage de la télécommunication est, au mieux, aussi trouble qu’il l’était avant l’avènement du régime du Changement à ceci près qu’il y avait l’excellent Maître Lionel Agbo qui forçait la main au pouvoir pour une régulation dans le secteur. Mais ce dernier est récupéré par le Changement dans un premier temps au sein d’une soi-disant instance de régulation qui n’a pas fait avancer les choses d’un iota, puis ensuite pour servir de porte-parole de la présidence, fonction qui l’a réduit à un silence un peu trop agaçant pour sa nature. La dernière sortie médiatique du très célèbre défenseur des consommateurs de la téléphonie mobile avait dû forcer le pouvoir à le nommer désormais directeur de la cellule de communication du président de la République. Espérons qu’avec cette nouvelle charge, il sera mieux à même de conseiller Boni Yayi notamment au sujet de la reddition de compte sur la téléphonie mobile.

La frontière entre la discussion démocratique et la pagaille peut être floue, mais c’est l’honneur de la classe politique que de jouer avec cette limite. Chaque acteur doit savoir jusqu’où ne pas aller et c’est, entre autres, là que réside la difficulté à être un responsable politique. Lorsque Boni Yayi se sert de l’Inspection générale de l’Etat comme arme de chantage contre les responsables des centrales syndicales, il n’est pas étonnant qu’on en arrive à friser le pugilat. La constitutionnalité d’un contrôle de l’utilisation des fonds alloués par l’Etat aux centrales syndicales ne fait aucun doute, mais le contexte et la manière d’annoncer l’envoi de l’IGE aux trousses des responsables syndicaux procédaient purement de la provocation. Boni Yayi aurait dû tenter de jouer la carte de l’apaisement avant de devoir capituler honteusement devant son sacro-saint principe galvaudé en début de mandat, celui de l’obligation de rendre compte. Nous devons prendre suffisamment garde pour que l’exercice du pouvoir politique ne s’apparente pas au terrorisme d’Etat chez nous.

Ismaël KAFFO

Essayiste sociopolitique.



 

Tag(s) : #EDITORIAL
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