Date: Mercredi 02 avril 2008
Sujet: Actualités

« Les maires, devait-il dire par ailleurs, n’ont qu’à reculer pour se dire qu’ils sont issus d’une famille, d’une collectivité, donc qu’ils doivent s’occuper de leur « père », car le roi est le père du maire. Partant de là, je leur demande de se ressaisir et de regarder par terre au lieu de regarder en l’air ». (Fin de citation)
C’est d’abord que le colonisateur français, en prenant possession de nos différents territoires, ne s’était pas trouvé face à un désert, la fameuse table rase des Latins. Il avait affaire à des hommes et à des femmes, de chair et de sang, porteurs de vision, investis de valeurs culturelles et spirituelles qui traduisaient leurs rapports au monde, leur mode de fonctionnement économique et social.
Mais l’entreprise coloniale française, entreprise de domination politique, d’exploitation économique et d’extraversion culturelle ne cherchait à faire la moindre concession. Elle ne pouvait laisser intactes et en l’état ni la superstructure ni l’infrastructure trouvées sur place. La chefferie traditionnelle a dû en faire les frais. Elle fut frappée à la tête et condamnée à végéter à la périphérie de la société officielle.
Assimilée et aliénée, la nouvelle élite autochtone s’était montrée incapable de construire un modèle culturel alternatif au modèle français. Par ses nouvelles valeurs d’emprunt, par ses nouveaux systèmes de références, cette élite ne pouvait que se faire l’héritière de toute l’architecture institutionnelle de la France, un pays qui, faut-il le rappeler, en 1789, décapita son roi en l’envoyant à la guillotine. Au nom de la révolution.
On comprend que près d’un demi siècle après l’accession de nos pays à l’indépendance, à l’ombre des Républiques que nous acclimatons sous nos latitudes, l’actualité politique est davantage à l’élection d’un président de la République ou à celle des représentants du Peuple à l’Assemblée nationale par la voie des urnes plutôt qu’à la désignation d’un monarque, d’un roi, investi du droit divin et héréditaire de régner sur ses sujets.
Mais les têtes couronnées de nos pays ne sont pas mortes. Elles n’ont pas perdu non plus leur droit à la parole. Même si leurs voix n’animent pas les nouvelles arènes officielles. Même si leurs idées ne gouvernent pas l’actualité nationale et ne hantent pas les nouveaux centres de décision où se concentrent les nouveaux pouvoirs modernes.
Les chefferies traditionnelles sont restées des instances de légitimation dont l’incontestable ancrage local n’est plus à démontrer. Elles restent, de ce fait, les principales références socioculturelles pour des populations rejetées à la périphérie d’une modernité qui les a laissés au bord de la route et dont elles déchiffrent à peine le sens et les signes. Pour ces populations restées proches des valeurs de leurs terroirs, il n’y a ni contradiction ni incompatibilité à jouer le jeu des élections censées désigner les autorités d’aujourd’hui et à rester des sujets fidèles et loyaux à leurs autorités de toujours.
Voilà le grand dilemme autour duquel se tisse le pouvoir et se cristallise l’autorité dans notre pays, confrontant le traditionnel et le moderne, faisant cohabiter l’ancien et le nouveau, mettant côte à côte l’identité enracinée dans le sol d’un terroir et la citoyenneté assumée dans le cadre d’un Etat, d’un pays, sinon du vaste monde. Un tel dilemme ne date pas d’hier. Notre expérience de décentralisation, parce qu’il déloge une part du pouvoir central de la capitale pour le retourner à la base, au niveau local, nous révèle et nous la fait vivre sous un jour nouveau, la problématique cohabitation de ces deux types de pouvoirs.
Il y a une autorité portée par une loi écrite qui n’est autre que la Constitution que le pays s’est donné et une autorité consacrée par la tradition, les usages, les us et coutumes qui ont traversé les âges. Il ne serait ni sain ni sage de chercher à établir une hiérarchie ou des liens de subordination entre ces deux pouvoirs. Le roi qui règne sur des citoyens qu’il tient pour ses sujets, n’est pas moins, lui-même, citoyen d’un pays qui, jusqu’à preuve du contraire, est et reste une République. Il serait plus juste et plus utile de chercher à construire, de manière durable, entre les deux, des passerelles d’une collaboration effective, le pont d’une coopération harmonieuse. De manière concrète, le roi et le maire, sans que l’un prétende être le papa de l’autre, doivent se donner la main pour construire ensemble, chacun à son niveau et à sa place, l’un dans la pérennité d’un pouvoir héréditaire, l’autre dans le cadre d’un mandat électif, frappé de l’onction populaire.
Mais par-dessus tout, s’agissant de nos rois et de nos têtes couronnées, nous plaidions, dans l’une de nos chroniques, pour une participation effective de nos monarchies, au plus haut niveau de l’Etat, à la marche de leur pays. Cela devrait prendre, à terme, la forme d’une chambre consultative, à côté des grandes institutions de la République. Pour que d’une telle tribune nationale, de manière officielle et publique, nos rois et nos têtes couronnées, en gardiens de nos valeurs ancestrales et en étant les garants de la continuité historique, reprennent leur juste place, celle qu’ils n’auraient dû jamais perdre, dans la construction de leur pays.
Jérôme Carlos
La chronique du jour du 1er avril 2008