Les grandes orientations de la conférence nationale
Contribution de Mgr Isidore de Souza
A l’occasion du colloque sur les acquis de la conférence nationale des forces vives de février 1990, organisé par l’aumônerie des cadres et personnalités politiques du Bénin, le professeur Pierre Mêtinhoué a rappelé la participation de l’Eglise catholique en général et la contribution de Mgr Isidore de Souza en particulier. Nous publions ici quelques extraits de son exposé.
Le 30 novembre 1972, dans une euphorie générale, le commandant Mathieu Kérékou, président de la République du Dahomey depuis un mois et quelques jours annonçait dans un discours-programme dont la conception et l’élaboration furent laborieuses que les Dahoméens aspiraient à la liberté et qu’ils feraient tout pour mettre un terme à la domination étrangère.
Il fallait, pour atteindre ce noble objectif, d’après le tout nouveau chef de l’Etat et ses partisans, compter d’abord sur ses propres forces, ses propres ressources et sur l’initiative créatrice des larges masses.
Lentement, mais sûrement, les ambitions du discours-programme ont été revues à la baisse au point qu’en 1989, la République populaire du Bénin a dû se résoudre à signer avec la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International son premier Programme d’ajustement structurel. A partir de cette démarche devenue incontournable en raison de la rareté de l’argent et de l’entrée du pays dans une crise politique et sociale sans précédent, il était impérieux de changer de discours, de comportement, et même d’idéologie. Ce fut dans ce contexte que le projet d’une conférence nationale des forces vives fut imaginé et réalisé voici maintenant 18 ans.
Comme d’autres confessions religieuses, l’Eglise catholique y a pris activement part.
La présence de l’Eglise catholique à la conférence nationale
Pour les évêques du Bénin, la présence de l’Eglise aux côtés des forces et en leur sein allait d’autant plus de soi qu’au cours de leur réunion de janvier 1989 à Lokossa, ils ont rédigé une lettre pastorale qui eut un écho extraordinaire aussi bien au sein de l’Eglise que dans l’opinion publique en général.
Dans cette lettre pastorale intitulée : «Convertissez vous et le Bénin vivra», l’épiscopat béninois s’est d’abord voulu rassurant en affirmant que dans l’épreuve que tout le peuple endurait, il fallait tout de même admettre que des signes de la présence de Dieu existaient et que cela devait raviver en chaque femme, homme et enfant du pays une réelle espérance.
Mais, avertissent les prélats, cette espérance ne s’épanouira en paix et bonheur effectifs que si les Béninois, individuellement et collectivement se décident à ne rien faire qui ne prenne sa source dans un amour profond, désintéressé et exigeant du pays et du prochain.
De leur côté, quelques cadres catholiques réunis dans un groupe baptisé «d’intellectuels et d’étudiants catholiques» ont fait une déclaration sur le communiqué final de la session conjointe spéciale Comité central du P.R.P.B., Conseil exécutif national et Comité permanent de l’A.N.R. Ils y affirment le plus clairement possible que l’Eglise ne saurait, sous aucun prétexte, être absente de la conférence nationale.
Initialement, c’est à Mgr Robert Sastre, évêque de Lokossa, ancien aumônier des étudiants africains catholiques en France que la conférence épiscopale a confié le soin de diriger la délégation des catholiques à la conférence nationale. En étaient membres, un représentant des laïcs, M Emile Paraïso, le représentant des laïcs, une femme, Mme Lydie Pognon et un jeune, M Alain Adihou.
Les objectifs de la conférence nationale
Tout est parti du communiqué final de la session conjointe du comité central du Parti de la révolution populaire du Bénin, du comité permanent de l’Assemblée nationale révolutionnaire et du conseil exécutif national réunie les 6 et 7 décembre 1989 à Cotonou.
A l’ouverture de la conférence, le chef de l’Etat n’a fait aucune concession dans son discours. Pour lui, les délégués étaient invités à élaborer et à adopter une charte d’union nationale pour le renouveau démocratique et le développement économique, social et culturel de notre pays.
Plus tard, le 23 février 1990, alors que de nombreux délégués s’exprimaient déjà amplement sur les objectifs de la conférence, le président de la République publia le décret portant convocation de la conférence. Il y précisa la mission assignée aux délégués. Cela n’émoussa point la détermination des délégués à agir en toute liberté et en toute indépendance afin de sauvegarder l’avenir de la patrie en danger.
L’un d’entre eux, Mgr Isidore de Souza, peut être considéré, à juste titre, comme l’incarnation de la liberté et de l’indépendance.
Mgr Isidore de Souza
A en croire Mgr de Souza lui-même, c’est de manière accidentelle qu’il s’est retrouvé à la tête de la délégation de l’Eglise catholique. Dans une interview qu’il a donnée à un journaliste de l’Osservatore Romano en 1992, il raconte comment la conférence épiscopale béninoise avait désigné Mgr Sastre pour la représenter à la conférence nationale en ignorant les dates des assises. Lorsque celles-ci furent connues, elles n’arrangeaient pas l’évêque de Lokossa qui avait déjà pris des engagements à l’extérieur du pays. Il déclina donc l’offre et l’on se tourna vers Mgr de Souza qui accepta de diriger la délégation de l’Eglise.
La présidence de la Conférence nationale
La question de la présidence de la conférence nationale a préoccupé de nombreux délégués dès avant l’ouverture des travaux parce qu’après 17 années de dictature, de délation et de dénonciation calomnieuse, personne n’avait plus confiance en personne. Dans ces conditions, même si les différentes sensibilités politiques et les divers courants de pensée ont accueilli favorablement l’annonce de la conférence nationale, chacun a commencé à se demander où et comment trouver quelques personnes au-dessus de tout soupçon parmi les délégués afin de les élire au présidium.
Le constat fait par les uns et les autres est qu’en dehors des hommes consacrés, aucun Béninois n’était capable, en février 1990, de se mettre au-dessus de la mêlée et de faire preuve de neutralité tout en ayant une certaine autorité morale.
Mgr de Souza avait une expérience et des qualités peu communes et le Bénin en perdition en a amplement bénéficié.
Le prélat a cherché à comprendre les raisons de son choix par la quasi-totalité des délégués. Il dit en avoir trouvé trois. La première est que son statut de prêtre et d’évêque le met en dehors de toutes les tendances politiques. Il n’a donc aucun intérêt partisan, avoué ou non à défendre. La deuxième raison est qu’il est doté d’une autorité morale naturelle et acquise par ses «fonctions». Enfin, il a l’habitude de la foule. Il peut donc gérer le demi millier de participants à la conférence sans difficulté particulière.
Mgr de Souza face aux défis de la conférence nationale
Parce que de nombreux délégués étaient préoccupés par l’avenir de la Nation, ils se sont, très tôt, demandés le sort qui sera réservé à leurs délibérations. Pour gagner du temps et éviter toute surprise désagréable à l’heure du bilan, les deux personnes chargées de rédiger le projet de règlement intérieur de la conférence y insérèrent un article 3 libellé comme suit : «La conférence nationale proclame sa souveraineté et la suprématie de ses décisions. Elle a pour mission essentielle de créer les conditions d’un consensus national en vue de l’instauration d’un Etat de droit et du pluralisme démocratique».
Habituellement, dans une rencontre de ce genre, c’est après l’adoption du règlement intérieur que l’on met en place le praesidium. Si cela ne fut pas le cas à la conférence nationale, c’était précisément à cause du débat sur l’article 3.
Mgr de Souza n’avait pas d’autres choix, après son installation, que d’attaquer et de résoudre cet épineux problème. Dès l’ouverture des débats sur la question, une dizaine de délégués ont pris la parole, les uns pour insister sur la nécessité de proclamer la souveraineté de la conférence et la suprématie de ses décisions, les autres pour contester cette position.
Finalement, le débat sur la souveraineté de la conférence sera ajourné et repris plus tard, le samedi 24 février 1990. Dès qu’il fut tranché et que les délégués eurent annoncé à l’opinion publique nationale et internationale que leurs décisions s’imposaient à tout le monde, le président de la République convoqua Mgr de Souza à son bureau pour lui faire part de son embarras.
L’avènement du renouveau démocratique
Grâce à la détermination des participants à la conférence nationale, de tout le peuple béninois et du savoir faire de Mgr de Souza, les assises de l’hôtel PLM Alédjo du 19 au 28 février ont complètement changé le cours des choses dans notre pays.
La mission de la conférence, conformément au décret n° 90-40 du 23 février 1990 portant convocation de la conférence nationale et détermination de sa mission était de deux ordres : élaborer une charte d’union nationale qui servira de base à la rédaction d’une nouvelle constitution fondée sur les principes démocratiques et définir un nouveau projet de société conforme aux principes du libéralisme économique contenu dans le Programme d’ajustement structurel.
Le débat sur cette question fut, comme on l’a vu, passionné et passionnant. Le président Kérékou y a été attentif du début à la fin. Malgré ses hésitations à la suite des pressions qu’il subissait de toutes parts, il a dû se ranger du côté du peuple souverain, sauvant ainsi la paix dans le pays.
Son discours de clôture libéra tout le monde et ouvrit l’ère du renouveau démocratique.
Conclusion
Il serait inexact et injuste de ne pas reconnaître la contribution personnelle de Mgr de Souza à la réussite de la conférence nationale. Aucun délégué ne s’est d’ailleurs opposé au vote de la motion de remerciement et de félicitations qui lui fut adressée et dans laquelle on a reconnu son calme, sa patience, son doigté, son esprit de compromis, son impartialité, sa fermeté, son autorité, sa générosité et son engagement politique.
On peut simplement se demander si les risques qu’il a pris étaient entièrement compatibles avec son état de consacré et sa charge de pasteur. Je pose la question d’autant plus que le pasteur Henry Harry, président du Conseil interconfessionnel des Eglises protestantes du Bénin, a décliné l’offre qui lui fut faite d’être vice-président de la Conférence en déclarant qu’il n’était pas candidat au nom de l’autorité morale et spirituelle et au nom de la neutralité qui lui permettaient d’être efficace au milieu des délégués.
Mgr de Souza n’avait pas cette vision des événements ; il dit même qu’il y aurait eu un manquement grave de la part de l’Eglise s’il n’avait pas accepté cette responsabilité.
Par M. Pierre G. Mêtinhoué