Nos hôpitaux sont gravement malades
En grève depuis un peu plus d’un mois, les agents de santé du secteur public menacent de passer à la vitesse supérieure en décrétant dès la semaine prochaine une grève illimitée sans service minimum avec les cohortes de morts qui s’ensuivent. Et le gouvernement demeure inactif. Une situation préoccupante qui cause l’indignation de Mme Pognon, psychologue du travail.
Depuis plusieurs mois, l’hôpital public défraie la chronique à cause des grèves de son personnel. On savait nos centres hospitaliers inhospitaliers, mais le personnel qualifié en faisait la fierté et rassurait tous ceux qui remettaient leur vie entre leurs mains. Aujourd’hui, on observe une grave division entre les membres du personnel soignant. Pour une question de primes accordées abondamment aux uns et distillées chichement aux autres, la solidarité qui s’observe habituellement semble compromise : le résultat est particulièrement inquiétant parce que les infrastructures de santé publique (hôpitaux, dispensaires, centres de santé, etc.) déjà détériorées, mettent à rude épreuve la confiance que les populations pouvaient, malgré tout, placer dans les soins dispensés par l’hôpital. Depuis quelques semaines, on compte une augmentation du nombre de morts dans les hôpitaux.
Cette situation serait causée par l’absence du personnel actuellement en grève mettant ainsi en difficulté les médecins qui naturellement ne peuvent pas assumer seuls les tâches hospitalières, ce qui aggrave les risques encourus par les patients. Des morts sont survenus donc du fait de cette rupture dans la chaîne de solidarité au sein des équipes soignantes.
Pourtant, à mon avis, les grèves du personnel hospitalier ne sauraient être exhibées comme causes premières de cette situation. Ce personnel a entamé depuis plusieurs années des négociations pour voir améliorer les conditions de travail et notamment les primes de risques. A défaut d’être entendu, les sit-in, les grèves ont été utilisées comme moyen de persuasion. Rien d’anormal, les pouvoirs publics savent que c’est une procédure régulière et courante lorsque le dialogue n’aboutit pas. Au demeurant, cette pratique participe du fonctionnement de la démo-cratie. Les cas récents du Congo démocratique et du Sénégal en attestent. Nos médecins ont pu ainsi, après une grève sèche (sans service minimum), obtenir l’amélioration de leurs primes. Pourquoi, aujourd’hui, le dialogue semble bloqué entre les pouvoirs publics et les 16 syndicats du reste de personnels hospitaliers qui eux aussi réclament l’amélioration de leurs primes de risques en utilisant les mêmes moyens de pression?
Pourtant, ces grévistes auraient donné leur accord sur des taux de primes de risques revus à la baisse et proposés pour chaque catégorie de personnel. Cet accord a été signifié au ministre de la santé depuis le 14 août 2008. Depuis lors, le ministère serait rentré dans un assourdissant silence, alors qu’un protocole d’accord devrait être signé par les deux parties pour finaliser les négociations et mettre un terme à la grève. Si le gouvernement ne veut plus donner suite et concrétiser les engagements pris le 13 août, il est en devoir de le justifier. A défaut, son silence peut s’interpréter comme du mépris vis-à-vis des syndicats, ou comme une volonté de briser le mouvement en laissant pourrir la situation et faire porter la responsabilité des conséquences néfastes aux partenaires sociaux. D’ailleurs, les informations sur les décès survenus dans les hôpitaux mettent souvent en relief la responsabilité des grévistes. La décision de défalquer du salaire les jours de grève en application des dispositions de la loi n° 2001-19-09 du 21 juin 2002 peut, quant à elle, participer de cette volonté de décourager les grévistes.
Des alternatives palliatives existent pourtant qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Cette même loi offre, en effet, des solutions et des compromis «acceptables» pour remédier à l’inorganisation du service minimum par les grévistes. Elle dispose en son article 15 «qu’en cas de non organisation par les travailleurs du service minimum obligatoire, les autorités dont ils relèvent procèdent à la réquisition…». Le ministre de la Santé a donc, en attendant que les négociations aboutissent, la possibilité de contraindre par réquisition un certain nombre d’agents à assurer le service minimum afin que la sécurité des patients soit préservée.
La satisfaction des demandes des grévistes est une autre alternative. Si les médecins ont vu leurs revenus mensuels nettement améliorés par des primes depuis avril 2008 et si les agents des services financiers ont obtenu par décret présidentiel (décret 2008-140 du 28 juillet 2008) des indemnités de caisses, pourquoi la satisfaction des revendications du personnel hospitalier est-elle gelée, alors que leurs prétentions initiales ont été revues à la baisse?
Enfin, la reprise du dialogue dans le respect des droits des travailleurs me semble la solution qui respecte le mieux le processus de négociation entre Etat et partenaires sociaux. Elle devient urgente et s’impose aux deux parties. Les travailleurs pourront alors saisir l’opportunité ainsi offerte d’organiser eux-mêmes le service minimum tout en poursuivant les négociations.
En tout état de cause, il faut agir vite pour sortir du blocage afin que des vies humaines ne soient pas prises en otage. De plus, la crédibilité des services hospitaliers déjà si peu hospitaliers a besoin d’être restaurée. En laissant pourrir la situation, le gouvernement prend le risque de voir l’opinion publique se retourner contre lui et le rendre comptable des conséquences désastreuses de cette grève. L’Etat a en effet l’obligation de faire respecter par les moyens légaux la sécurité de la population et de soulager les souffrances des patients. Cela fait partie de ses missions régaliennes qui s’appuient sur les notions fondamentales d’intérêt collectif et d’intérêt général. En la matière, le gouvernement ne peut pas éluder sa responsabilité.
Dans le contexte actuel, hélas peu amène de cherté de la vie, cette mission prend une dimension particulièrement sociale pour assistance à population en danger de mort imminente. Les structures hospitalières publiques de notre pays reçoivent surtout les malades les plus démunis ainsi que les cas sanitaires graves nécessitant des interventions délicates et urgentes pour des personnes qui ne peuvent ni se payer des soins dans les structures privées ni bénéficier (par procédure d’évacuation) de soins à l’extérieur du pays. Malheureusement, les clients potentiels que nous sommes en majorité, n’ont d’autres alternatives aujourd’hui, après avoir prié pour obtenir le pain du jour, que de prier encore pour demander à Dieu de nous faire éviter le lit de l’hôpital public, où nous attend une mort certaine malgré les médicaments chèrement et péniblement acquis. Pour conjurer la situation et calmer nos angoisses, faisons nous des vœux de «santé de fer pour nous-même et tous les nôtres».
Lydie Akibodé Pognon