LE CHANGEMENT: Un levain ou une geste ?
Si le changement était un levain, que faut-il donc faire pour qu’il finisse par prendre ? Car les faits se multiplient pour le prouver : la geste, aussi héroïque qu’elle soit d’un acteur ou deux, ne suffit pas pour faire advenir le changement rêvé de tous. Le cri de cœur de Roger Gbégnonvi, ministre de l’Alphabétisation et des Langues nationales en dit long. Pour lui, Boni Yayi est le seul qui croit au changement au niveau de l’administration centrale du gouvernement. Et dans son département, il est le seul qui ne soit pas corrompu. Et comme pour corroborer sa conviction, le ministre chargé des Relations avec les Institutions, et les promoteurs du changement ont organisé un séminaire pour mieux définir et communiquer le concept. Après deux ans et demi de pratique, ils ne sont pas sûrs que leurs cadres comprennent correctement ce que c’est que le changement.
Il faut prendre très au sérieux le déroulement quotidien des faits contraires au changement et l’expression des difficultés, émanant de plus en plus de l’intérieur du système. Personne n’a intérêt à ce que l’effort du changement soit interrompu ou inversé. Car nous n’avons que ce Bénin ! Voilà pourquoi il faut engager par tous les moyens civiques possibles des discussions avec les acteurs publics qui se cachent un peu facilement derrière le fameux et perpétuel argument de l’entourage. Depuis le président Kérékou, il est loisible de dire que c’est l’entourage qui est corrompu et le Chef de l’Etat a toutes les qualités souhaitées par les Béninois pour gérer ce pays. Ce raisonnement est, sinon une manière bien futée de paraître critique sans prendre des risques, ou simplement, c’est une erreur sincère dans la lecture du diagnostic de nos problèmes de société. Mais en dernière analyse, est-ce sur la sincérité ou la bonne volonté des dirigeants qu’il faut les juger ou sur leur exercice du pouvoir ? N’est-ce pas sur leurs résultats ?
Pourtant, l’argument qui condamne l’entourage des dirigeants, et le charge de tous les péchés d’Israël s’étend aussi sur le Bénin tout entier. On entend facilement dire : « il faut reconnaître que les Béninois sont difficiles ». On le dit pour expliquer et excuser les difficultés des dirigeants à conduire notre société vers un mieux-être. Mais, n’est-ce pas parce qu’une masse est difficile à conduire et que l’instinct grégaire est toujours présent au sein des foules, qu’une société se donne des dirigeants pour en faire un peuple et une nation ? Et les dirigeants savent très bien que les Béninois sont difficiles avant de se porter volontairement candidats à les diriger. Pour accéder au pouvoir, ils nous promettent ciel et terre. Ils nous font la cour. Ils nous convainquent ou ils achètent notre conscience. Alors, pourquoi faire tout cela pour se plaindre après que nous sommes difficiles ? En acceptant de devenir ministre, Roger Gbégnonvi ne savait donc pas ce à quoi il s’engageait ? Sa description de la pourriture et de la corruption autour de lui, a été à tort appelée « révélation ». Ce n’est qu’une confirmation.
Il faut plutôt que l’opinion publique soit exigeante envers les dirigeants s’ils ne réussissent pas à trouver des solutions à nos problèmes, et à nous conduire à changer tous ensemble. Si l’effort du changement revient à nous tous, il doit commencer par les premiers parmi nous. Car si nous passons le temps à chanter leur geste et qu’ils se laissent duper en croyant aux flatteries, ils ne donneront rien de bon. S’il ne faut pas espérer des miracles d’eux, il faut exiger qu’ils soient comme le levain qui lève la pâte, pour enclencher un mouvement, une dynamique assez bien pensée. Ils ont besoin de notre exigence et non de nos excuses et de nos flatteries. Ainsi, nous ne les laisserons pas faire de nous ce qu’ils veulent, même dans leur plus grande sincérité.
Abbé André Quenum