Etre cadre au Bénin et en Afrique
Lundi 20 octobre 2008
Qui appelle-t-on cadres dans un pays ? C’est généralement l’ensemble des personnes, de catégorie supérieure, vouées aux tâches de conception et de direction, ceci dans toutes les sphères d’activités, aussi bien dans le public que dans le privé. C’est peu donc de dire que, pour penser son avenir, assurer son présent et baliser le chemin de son développement, tout pays a besoin de cadres. Et n’y a pas d’exception à la règle.
Le colonisateur français, hier, l’avait bien compris. Pour mener à bien son entreprise d’exploitation et de domination, il s’était adossé à un corps de cadres autochtones, instituteurs, médecins, administratifs, formés dans des institutions créées à cet effet. L’Ecole William Ponty de Gorée ou l’Ecole des Institutrices de Rufisque, au Sénégal, étaient alors comme des centres d’excellence au cœur du dispositif français de formation des cadres coloniaux.
En formant, aujourd’hui, nos cadres sur place ou à l’extérieur, nous ne faisons que poursuivre une tradition bien établie. Il n’est de développement d’un pays que d’hommes. Il n’est de conception, de direction, d’encadrement de ce développement que de cadres. C’est à ces derniers, qu’il revient, en effet, la tâche complexe de mettre en musique, après les avoir traduites en objectifs opérationnels, après les avoir chiffrées et planifiées, les aspirations des populations.
Si c’est cela l’essentiel de la mission dévolue aux cadres, aucun pays ne pourrait objectivement s’en passer. Et il ne viendrait à l’esprit de personne d’en faire les souffre-douleur de la société, des gens que l’on vilipende, affublés comme tels de qualificatifs peu honorables, genre « tarés », des gens que l’on abreuve d’injures inacceptables, genre « pourriture ».
Loin de nous l’idée de soutenir que tous nos cadres, sans exception, sont des anges, des saints aux mains pures, la vertu, la droiture, la compétence, la conscience du devoir faites homme, faites femme. Loin de nous également l’idée d’insinuer que le seul fait d’être cadre gratifie d’un visa qui exempte de tout reproche, place au-dessus de toute critique. Le détenteur d’un tel visa pourrait alors se croire un intouchable autorisé à toucher à tout avec irrespect et arrogance.
Le cadre, selon nous, n’a de sens et de consistance que par rapport au service qu’il rend à sa société. S’il devait se révéler inutile, nocif, voire dangereux, alors il vaudrait encore mieux qu’il reste et qu’il demeure cadre d’une porte, cadre d’une fenêtre ou cadre d’une photographie. Passe encore pour un élément de décor. Mais le cadre qui pénalise et parasite sa société, nous n’en voulons point.
A la vérité, tout pays a le cadre qu’il mérite. Dans un milieu où l’intelligence est constamment insultée, dans une société où la compétence est réduite à du papier à jeter, il y a gros à parier que les cadres ne peuvent que servir de serpillière ou de chiffon pour lustrer la scène où viennent se produire et s’illustrer les plus médiocres. La frustration, dans ces conditions, ne peut être que grande.
Le malheur du cadre commence du jour où il prend conscience du fossé qui existe entre ce qu’il est intrinsèquement, la charge ou la mission qui lui est confiée conséquemment et les conditions de vie et de travail qui lui sont offertes effectivement. C’est un pari quasi impossible de croire que nos leçons de patriotisme, de civisme et de morale suffisent à mettre un cadre hors d’atteinte de la corruption. Alors que ce cadre commis à traiter, chaque jour, des dossiers à milliards, n’a d’avenir ou d’horizon que celui d’un gagne petit condamné à la portion congrue, en bagarre permanente contre la pénurie et la nécessité. Il nous faut prendre le plus grand compte des conditions de vie et de travail de nos cadres. La réflexion à mener à ce niveau, pour une solution heureuse, n’est pas facultative. Elle est de l’ordre d’un impératif catégorique.
Et pourquoi pensez-vous donc que la plupart de nos cadres n’ont pas de cesse qu’ils n’aient atterri dans un ministère ? Ils y vont ainsi monnayer contre de dérisoires avantages leur compétence technique dont on n’aurait pourtant grand besoin ailleurs, sur d’autres chantiers, si la ressource humaine avait été mieux gérée, mieux répartie. Plutôt être conseiller technique, directeur de cabinet ou chargé de mission que de passer son temps à vociférer dans des amphithéâtres encombrés et décorés de toiles d’araignées.
Et pourquoi pensez-vous donc que la plupart de nos cadres n’ont pas de cesse qu’ils n’aient bataillé dur pour obtenir, loin de leur pays, un poste de fonctionnaire international ? Ils y vont trouver la respectabilité dont on les prive chez eux. Ils y vont pour des gains plus substantiels, plus consistants, des gains qui pourraient leur permettre de se réaliser socialement et de se mettre à l’abri du besoin, venue l’heure de la retraite.
Et pourquoi pensez-vous donc que la plupart de nos cadres n’ont pas de cesse qu’ils ne se soient taillés un destin de politicien, la politique étant devenue leur rampe favorite de lancement ? La politique se révèle ainsi incontournable pour qui veut bénéficier de l’impunité, de la notoriété, de la visibilité, de la prospérité. Qui est fou, dirait l’autre, pour ne pas aimer les bonnes choses ? Mais à quel prix ?
Jérôme Carlos
La chronique du jour du 20 octobre 2008