Droit à la citoyenneté et à la sécurité juridique au Bénin : Réformer le système de délivrance de la carte nationale d’identité
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L’OPTION INFOS 22 octobre 2008 La Mission du Mécanisme africain d’Evaluation par les Pairs (Maep) a trouvé que le système de délivrance de la carte nationale d’identité est déficient au Bénin. Dans son Rapport adopté récemment par les chefs d’Etat africains à Addis-Abeba, elle a recommandé que de profondes réformes soient engagées dans ce système afin de permettre aux populations de faire valoir leur droit à la citoyenneté et à la sécurité juridique. Dans ce pays de près de huit millions d’âmes, les tracasseries administratives liées à l’établissement de la carte nationale d’identité et aux déclarations des faits d’état civil donnent froid dans le dos. Cotonou, capitale économique du Bénin. Lundi 20 octobre 2008, il est 11 heures 17 minutes. Le service d’établissement de la carte nationale d’identité de la Préfecture est débordé de monde : les demandeurs de cette pièce font la queue avant de remplir les formalités d’usage. Igor, sculpteur, est un jeune béninois de 33 ans résidant à Parakou, ville cosmopolite située au Nord du Bénin, à plus de 500 km de Cotonou. Il est né à Ouidah. A l’en croire, cela fait déjà « plusieurs semaines » qu’il a déposé ses dossiers à cette Préfecture pour établir sa carte, mais il n’a toujours pas eu satisfaction. Or, il en a besoin pour retirer de l’argent dans une banque de la place. Ces fonds lui ont été envoyés par ses partenaires belges pour lui permettre d’exécuter un projet générateur de valeur ajoutée, donc porteuse de croissance économique et d’emplois. Faute de cette pièce, les fonds, évalués à 21 millions de F Cfa, sont toujours bloqués à la banque, depuis environ 6 mois. Déçu par la lenteur et les tracasseries administratives observées dans la délivrance de sa carte nationale d’identité, Igor ne sait plus à quel saint se vouer. Désespéré, il s’est confié : « fondamentalement, je ne sais pas ce qui bloque mon dossier. On me fait reprendre les pièces chaque jour que Dieu fait. Je ne comprends plus rien, et j’ai peur que mes partenaires retirent leurs fonds. Je ne sais pas la loi qui prévaut ici, mais devant moi, des gens n’ont pas fait deux jours avant d’obtenir leur carte. Quel péché de lèse majesté ai-je commis pour subir toutes ces peines ? Ce serait très grave pour moi si jamais les fonds repartaient, car j’ai beaucoup investi pour que mon projet soit retenu. » Jeanne, elle, est une contractuelle de l’Etat en fonction à Kétou. Sa carte nationale d’identité est périmée. Pour la renouveler, elle n’a pas encore trouvé la solution idéale. Profitant d’un mouvement de grève déclenché par son syndicat, elle est descendue à Cotonou afin de pouvoir l’établir. Bien que ses dossiers soient au grand complet, elle continue de traîner ses bottes à la Préfecture de Cotonou. « Je croyais que les choses seraient plus faciles ici qu’ailleurs, mais erreur… », confie-t-elle avec beaucoup de regrets. A quelques pas d’elle, se trouve un jeune garçon apparemment soucieux. Mathias, c’est son nom. Il est élève en classe de 5ème dans un Collège d’enseignement général de la place. N’ayant pas été déclaré à l’état civil, donc ne disposant pas d’acte de naissance, il a passé trois ans au CM2 sans aller à l’examen du Certificat d’études primaires (Cep). C’est seulement l’année dernière qu’il a pu passer son examen grâce au Projet Ravec du gouvernement qui lui a délivré un jugement supplétif. « J’ai honte de savoir que je ne suis pas déclaré à l’état civil. Cela a eu des répercussions graves sur mon cursus scolaire. J’ai passé disons quatre ans au CM2 avant d’aller à l’examen. J’ai aujourd’hui 19 ans et, en classe, mes camarades et mes professeurs se moquent de moi. Je dois tout au Ravec qui m’a sorti de l’anonymat. C’est avec ce jugement supplétif que je suis en train de m’établir une carte nationale d’identité. Et comme vous le constatez, ici, les choses sont compliquées. Je n’ai pas été au cours ce matin, pensant régler ce problème définitivement, mais je ne suis pas encore au bout de mes peines », raconte-t-il amèrement. Comme Igor, Jeanne et Mathias, beaucoup de Béninois détenteurs de leurs actes de naissance rencontrent de sérieuses difficultés avant d’établir leur carte d’identité, considérée dans le pays comme une denrée très rare. Il faut la croix et la bannière avant de l’avoir. Seuls les plus chanceux et ceux qui maîtrisent bien le circuit arrivent à s’en sortir vite. Les populations démunies sont laissées à elles-mêmes. « C’est à cause des tracasseries administratives que je suis encore sans carte nationale d’identité », fait savoir Théodore Kpadonou, plombier à Abomey-Calavi, 2ème grande ville du Bénin avec une population estimée à 307.745 habitants. Ces divers exemples patents montrent à quel point le système d’octroi des cartes d’identité est défectueux au Bénin. Les populations, notamment celles des coins les plus reculés, sont confrontées à des difficultés à faire valoir leur droit à la citoyenneté. Problèmes de pièces Des sources proches de la Direction départementale Atlantique/Littoral de la police nationale indiquent que, pour établir une carte nationale d’identité, il faut réunir au moins neuf pièces, à savoir : une attestation de possession d’état, l’original de l’acte de naissance ou du jugement supplétif, un extrait du registre d’état civil certifié, l’acte de mariage pour les femmes mariées, l’autorisation parentale pour les mineurs âgés de moins de 18 ans, la preuve de la profession, un certificat de nationalité pour les Béninois nés à l’étranger, les étrangers naturalisés ou les personnes nées au Bénin de parents étrangers, 2 photos d’identité récentes et enfin une fiche de saisie achetée à la caisse de la préfecture d’établissement à 2.400 F. Pour renouveler la carte, 4 de ces pièces sont exigées en plus de l’ancienne carte. Dans le cas ou le postulant a changé de domicile, de profession ou d’état matrimonial, il doit le prouver par les pièces constatant ces changements. Les difficultés rencontrées par les populations pour réunir toutes ces pièces expliquent généralement leur réticence à s’établir une carte nationale d’identité fiable. A cela s’ajoutent la méconnaissance du lieu où sont délivrées les cartes, l’éloignement de ce lieu, la corruption et les rançonnements dont elles sont victimes régulièrement, les tracasseries qu’imposent parfois les formalités d’enregistrement des dossiers et qui entraînent le découragement (beaucoup d’usagers ignorent le cheminement de leurs dossiers), la fausse croyance que l’obtention d’une carte d’identité induit à terme les recensements à but fiscal ou militaire et le coût élevé des frais d’établissement (2.400 F Cfa). « Dans un passé récent, c’est à la mairie de Toffo que j’ai déposé mes dossiers pour établir ma carte. Pour la renouveler, on me demande d’aller désormais à la préfecture de Cotonou. N’ayant pas encore les frais de déplacement, je circule en toute illégalité, avec une carte périmée », affirme Louis Hounkpèvi, artisan à Coussi, une localité très populaire de la commune de Toffo. Par ignorance ou par négligence, la grande partie des citoyens béninois ne se soumet pas encore aux exigences légales en matière d’état civil avec pour conséquence immédiate, par exemple, un très faible taux de déclaration des naissances. Très peu de naissances sont donc portées à la connaissance de l’officier de l’état civil pour leur enregistrement. Selon une enquête démographique et de santé réalisée par l’Institut national de la Statistique et de l’Analyse économique (Insae), la méconnaissance de l’obligation légale d’enregistrer les naissances à l’état civil, la méconnaissance du lieu où sont enregistrés les naissances, la pauvreté qui pousse la femme indigente, incapable de payer ses frais d’accouchement, à fuir le centre de santé sans avoir rempli les formalités d’établissement de la fiche de naissance sont, entre autres, les principales raisons invoquées pour expliquer le non enregistrement des naissances à l’état civil au Bénin. Toutes choses qui privent bon nombre de citoyens d’actes de naissance pouvant leur permettre de s’établir une carte nationale d’identité en bonne et due forme. « Très souvent, nous rejetons des dossiers dont l’authenticité de l’acte de naissance n’est pas établie. Nous savons très bien que des gens en fabriquent. C’est pourquoi, nous sommes vigilants et le moindre doute nous amène à prendre nos responsabilités. Les gens dont les dossiers sont rejetés n’ont qu’à chercher à savoir pourquoi au lieu de raconter n’importe quoi », fait remarquer un haut gradé de la police nationale sous le couvert de l’anonymat. Ce qu’il faut retenir Le Rapport fait sur le Bénin par le Maep révèle, d’ailleurs, que plusieurs citoyens sont gérés par l’Etat dans l’anonymat. Or, fait observer Marie-Angélique Savané qui a conduit la Mission d’évaluation du Maep, on ne saurait diriger un peuple dont on n’a pas la maîtrise. C’est la raison pour laquelle elle a recommandé que des efforts concrets soient faits pour améliorer le système actuel d’état civil et le processus d’octroi de la carte nationale d’identité qui sont très peu performants. Heureusement que le gouvernement béninois a lancé, depuis 2006, un vaste projet de délivrance de jugements supplétifs aux citoyens qui ne les ont pas encore. Il s’agit bien du Ravec qui fait son petit bonhomme de chemin et qui permettra de doter chaque membre de la société d’un acte de naissance et donc d’une carte d’identité fiable. Somme toute, il va falloir opérer les changements nécessaires afin de bannir les pratiques malsaines qui compromettent dangereusement la fiabilité des données démographiques nationales. L’Etat doit engager très rapidement de profondes réformes particulièrement au niveau du processus d’établissement de la carte d’identité qui doit être accessible à tous les citoyens où qu’ils se trouvent et quelle que soit leur situation sociale.
Léonce HOUNGBADJI |