20-04-2009 - LA NOUVELLE TRIBUNE | | Il y a dix ans Jean-Roger Ahoyo dénonçait déjà le fait Au nombre des recommandations issues de la deuxième conférence des ambassadeurs tenue du 26 au 28 février dernier sur la relance de la diplomatie béninoise, il y figure celle qui traite de la problématique du placement des cadres béninois dans les institutions internationales ». Or, en 2000 déjà, l’ancien conseiller régional de l’Unesco pour la Culture, Jean-Roger Ahoyo avait attiré l’attention du président Mathieu Kérékou sur la mauvaise politique du Bénin en la matière. L’état des lieux fait il y a près de dix ans par cet ancien ministre de Soglo est plus que jamais d’actualité et mérite qu’il soit porté à la connaissance des autorités gouvernementales et tout le peuple béninois. United Nations Educational, scientific and Cultural Organization Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture REGIONAL OFFICE lN DAKAR BUREAU REGIONAL DE DAKAR 12. avenue L.S. SENGHOR Boîte Postale: 3311 DAKAR République du Sénégal Téléphone: 235082 Câble UNESCO-DAKAR Télex: 51410 SG- 21735 SG Facsimilé 823 4949 UHDAK (a) UNESCO. ORG
Dakar le 23 février 2000 A Son Excellence le Président Mathieu KEREKOU, Président de la République du Bénin, Chef de l’Etat, Chef du Gouvernement à COTONOU Objet : Pour la définition et la mise en œuvre d’une Politique hardie de placement des cadres béninois dans les Organisations Internationales Excellence Monsieur le Président de la République Le 7 Mai 1999, au cours de l’audience que vous avez bien voulu m’accorder, j’ai eu à évoquer devant vous, pour le regretter, le cas de notre compatriote, Monsieur Théophile KOMACLO, qui venait d’échouer après sa candidature au poste de Directeur Général d’AIR-AFRIQUE! Des années avant lui, notre compatriote Moïse MENSAH avait déjà échoué après sa candidature au poste de Directeur Général de la FAO ! Actuellement, nous ne sommes que trois cadres béninois occupant des postes assez importants à l’UNESCO: - Monsieur Nouréini TIDJANI-SERPOS, Sous-Directeur Général de l’UNESCO, chargé du Département Priorité Afrique. - Monsieur François GUEZO, Administrateur du Bureau d’Haïti - et moi-même, Conseiller Régional de l’UNESCO pour la Culture en Afrique de l’Ouest. En cherchant bien ou trouvera certainement deux à trois cadres en plus comme les Jeunes AHANHANZO-GLELE et KOSSOU qui sont les fils de Monsieur Maurice AHANHANZO-GLELE et de feu Basile KOSSOU. Mais c’est bien tout, c’est à dire peu de monde en définitive! Les autres Béninois qu’on peut rencontrer à l’UNESCO sont des chauffeurs ou des gardiens. Ils ne sont pas membres du Secrétariat! Je connais encore quelques cas de Béninois présents au H.C.R., à la F.A.O., à l’O.M.S., au FNUAP, au F.M.I., à la Banque Mondiale, au PNUCID, au P.N.U.D, à l’lJEMOA, à l’O.U.A.; mais dans chacune de ces Institutions, on peut les compter sur les doigts d’une seule main! J’ai commencé par ces constats amers pour vous souligner deux phénomènes complémentaires qui nuisent énormément à notre pays: - L’impréparation de nos cadres à affronter la compétition internationale et, par conséquent, -Notre très faible présence dans les Organisations Internationales ou Interrégionales, pour ne pas parler de notre quasi-absence. Monsieur le Président, il est urgent de corriger cette situation si nous voulons que notre pays relève, dans de bonnes conditions, le double défi de l’intégration régionale et de la mondialisation. La définition et la mise en œuvre d’une politique de formation et de placement de cadres compétents dans les Organisations internationales peut nous y aider. Mais avant d’en arriver là, voyons encore une fois l’exemple Sénégalai. 1) LE PALMARES DU SENEGAL Le Sénégal est certainement le pays francophone d’Afrique qui a le plus grand nombre de cadres dans les Organisations Internationales et Interrégionales. De 1974 à 1987, pendant 13 ans, c’est le Sénégalais Amadou- Mahtar M’BOW, qui a été Directeur Général de l’UNESCO. C’est le Seul Directeur Général à avoir fait 13 ans! Ceux qui l’ont précédé ou suivi ont fait 4,5 ou 12 ans. La Banque Africaine du Développement (B.A.D) a été dirigée pendant dix ans par le Sénégalais Babacar NDIAYE avant d’être remplacé par le Marocain qui est là actuellement. Monsieur Jacques DIOUF vient d’être reconduit Directeur Général de la F.A.O. Monsieur Kéba MBAYE est actuellement Vice-Président du C.I.O. après avoir été Juge à la Cour Internationale de la Haye. A la Banque Mondiale nous rencontrons deux Sénégalais à des postes importants: D’abord Monsieur Pape Ousmane SAKHO ; et, depuis Août 1999, Monsieur Cheikh FALL au poste de Vice-Président et de Secrétaire Général de la Banque, après une longue carrière à la B.A.D. Depuis 1992, Amnesty International est dirigé par un Secrétaire Général Sénégalais du nom de Pierre SANE. Monsieur Ibrahima FALL occupe depuis 1997 le poste de Sous-Secrétaire Général aux Affaires Politiques à l’O.N.U. Monsieur Moussa TOURE est le Président de la Commission de l’UEMOA. Monsieur Lamine DIACK vient d’être porté à la tête de la Fédération Internationale d’athlétisme amateur (F.I.A.A.) La Confédération africaine de Tennis (C.A.T.) est dirigée par Mamadou DIAGNA NDIAYE. Faut-il ajouter Monsieur Aziz DIEYE, Président d’Honneur de la Fédération Internationale des Experts Comptables francophones (FIDEF) ! Enfin, last but not the least, notre multinationale AIR-AFRIQUE a été dirigée à sa création par le Sénégalais Cheikh FALL ; et c’est encore un Sénégalais qui a pris les commandes de la Compagnie avec l’élection de Pape Sow THIAM début 1999. Monsieur le Président, voilà bien une bonne dizaine de Sénégalais qu’on retrouve à la tête de leurs Institutions ou aux toutes premières loges. Je suis convaincu que si nous descendons un échelon plus bas et que nous pénétrons à l’intérieur de ces Organisations, ce n’est plus une dizaine de Sénégalais que nous compterons, mais bien des dizaines pour ne pas parler d’une centaine au moins! Comment nos frères Sénégalais ont-ils pu réaliser cette performance? Par une politique délibérée de placement de leurs cadres dans les Organisations Internationales. Il est grand temps que nous nous décidions, Monsieur le Président, à imiter nos frères Sénégalais. Il QUELQUELS ELEMENTS POUR LA DEFINITION D’UNE POLITIQUE Je me souviens, Monsieur le Président, que quand je vous ai parlé du cas de mon promotionnaire et ami Théophile KOMACLO, vous avez évoqué la jalousie béninoise pour expliquer son échec. Le résultat de cette politique ne s’est pas fait attendre et s’étale lamentablement devant nos yeux: Au sein des cadres désormais, c’est l’opportunisme érigé en règle de conduite, et l’abandon de l’effort pour une lutte confuse fondée sur l’appartenance politique ou le népotisme. Cette manière de gérer le personnel, qui ne permet aucun suivi sérieux des dossiers en instance, est de toute évidence contre productive et, en définitive, ruineuse pour un développement harmonieux. Si nous voulons vraiment aller de l’avant, nous ne pouvons pas continuer à changer, du jour au lendemain, des cadres techniquement valables et compétents, par des médiocres pour des raisons politiques ou par pur népotisme. Nous devons sécuriser nos cadres pour leur permettre de s’épanouir pleinement afin que nous puissions choisir les meilleurs parmi eux, le moment venu, sur des bases claires et solides. Deux mesures fondamentales me semblent nécessaires pour parvenir, à terme, à ce résultat: a)Généraliser le concours de recrutement dans la Fonction Publique Depuis et à cause des programmes d’ajustement structurel, nous avons dû recourir aux concours pour recruter dans certains secteurs de notre Administration. Nous devons généraliser cette méthode de recrutement par voie de concours pour trois raisons : -D’abord le concours est la méthode la plus démocratique pour départager des candidats à un poste. C’est une invention de la Révolution Française qui s’est imposée à tous les Etats Modernes, et plus précisément aux Républiques Modernes. Contrairement à l’arbitraire royal, le concours assure l’égalité des chances entre les citoyens d’une République Moderne. -Ensuite, avec le développement de la scolarisation à tous les niveaux (primaire, secondaire, supérieur!) nous avons désormais plus de postulants que de postes à pourvoir dans notre Administration. Il faut bien les départager. -Enfin, le concours garantit un recrutement de qualité. Et nous devons désormais tabler sur la qualité dans notre Administration. Elle ne sera vraiment performante qu’à partir du jour où elle sera constituée d’agents de qualité et bien rémunérés. b)Revenir à la gestion coloniale Ne soyez pas choqué, Monsieur le Président, par ce retour que je propose à la période coloniale. En effet les colons appliquaient, dans la gestion des cadres et agents, deux principes qui me paraissent excellents: -D’abord, la promotion par ancienneté. Au cours de la période coloniale, c’est le plus ancien dans le grade le plus élevé qui est responsable. En réalité ce sont le mérite et l’ancienneté qui sont les critères de promotion. Au lieu qu’aujourd’hui on voit souvent des « jeunots » « bombardés }) Directeurs prématurément pour des raisons politiques ou de népotisme, et qui, après, sont relégués dans des « bureaux-garages » ! Cette gestion « coloniale » n’est en réalité qu’une gestion inspirée par le bons sens. Elle est prudente et suffisamment juste pour permettre à chacun d’élaborer et de suivre un véritable Plan de carrière. Cela est nécessaire pour que les gens s’épanouissent dans l’accomplissement de leurs fonctions et révèlent le meilleur d’eux-mêmes en le donnant. -Ensuite la mobilité territoriale Sous la colonisation le fonctionnaire savait qu’il pouvait être affecté partout où besoin sera. Le meilleur exemple pour moi est celui de mon père, Instituteur formé à l’Ecole Normale William Ponty de Gorée et sorti en 1927 ! Il a servi dans toute la colonie du Dahomey dans les localités ci-après: Kandi, Djougou, Porto-Novo, Allada, Athiémé, Parakou (où votre humble Serviteur est né !), Ouidah et enfin Abomey, chez lui, où il a pris sa Retraite.Pendant sa carrière, il a donc parcouru toutes nos anciennes provinces à savoir l’Atacora, Atlantique, le Borgou, le Mono, l’Ouémé et le Zou. Cette « promenade » lui a permis de mieux connaître le pays et de contribuer à la formation des Jeunes esprits dans plusieurs de nos communautés ethniques. Si bien que partout où je vais au Bénin aujourd’hui, il y a toujours un ancien élève de mon père pour m’accueillir! ! ! L’exemple de mon père m’a toujours fait penser qu’il faudrait instituer au niveau de l’affectation des cadres et agents un système de rotation qui leur permette au cours du déroulement de leur carrière, de découvrir et de connaître leur pays à travers ses régions. 3.- Une Structure de suivi Une fois les cadres bien formés et mis dans les meilleures conditions pour une compétition loyale, il faut mettre en place une structure de suivi de leurs carrières pour sélectionner, le moment venu, les meilleurs. Je me suis laissé dire qu’il existe, au niveau de la Présidence de la République du Sénégal, une Cellule de Suivi des cadres de la Nation. Je n’ai pas pu vérifier cela, mais je pense qu’une pareille structure est nécessaire au niveau de notre pays. Elle devrait être basée à la Présidence, avec, éventuellement, des correspondants dans les Ministères. Je propose trois fonctions essentielles pour cette Structure de Suivi. a) La gestion des CV des Directeurs Le but poursuivi est de positionner nos cadres dans la Fonction Publique Internationale. Les Directeurs et Directeurs-Adjoints de nos structures nationales sont donc les candidats potentiels pour ces postes La Structure de Suivi doit rassembler leurs CV à la Présidence pour les gérer. Chaque fois qu’un cadre accède à un poste de direction ou de responsabilité élevée, il doit envoyer son CV à la Cellule de Suivi pour être pris en compte. Je pense même qu’il faut recruter plus large en envoyant à la Cellule les CV des cinq (05) ou dix (10) « plus anciens dans le grade le plus élevé » dans chaque Structure. Car nous ne devons pas viser seulement les postes de premiers responsables des Organisations Internationales. Nous devons avoir comme ambition de placer autant de cadres que nous le permet la politique des quota ou de répartition géographique pratiquée par les Agences des Nations-Unies. b)Un rôle de prospection et de prospective. La Structure de Suivi doit connaître parfaitement les Organisations Internationales et Inter-régionales et les suivre dans leurs politiques de recrutement. Elle doit connaître le quota qui revient à notre pays dans chaque Organisation et le nombre de postes occupés effectivement par notre pays. Elle doit aussi établir un calendrier précis des changements de mandat à la tête des Organisations et préparer des candidats nationaux en conséquence. Cette préparation peut inclure une formation complémentaire pour améliorer un profil. c) Une tâche d’appui et de protection Notre Etat ne peut pas se donner tout ce mal pour positionner un cadre et l’ « oublier» ensuite dans la Jungle de la Fonction Publique Internationale, le laisser se débrouiller tout seul. Beaucoup de réseaux, dont certains sont pratiquement mafieux, sont présents ou sévissent dans les Organisations Internationales. La Structure de Suivi doit accompagner les cadres positionnés pour les appuyer (en vue d’une promotion !) ou les protéger (contre les coups bas et les complots) en cas de besoin. Je parle en connaissance de cause après avoir fait un peu plus de deux ans à l’UNESCO! Voilà, Monsieur le Président, quelques éléments pour la définition et la mise en œuvre d’une politique de formation et de placement de mes cadres dans la Fonction Publique Internationale Nous devons rompre résolument avec la pratique artisanale actuelle qui consiste à laisser pratiquement nos cadres se débrouiller tout seuls pour se trouver des strapontins dans les Organisations Internationales. Le placement de nos cadres dans les organisations internationales et interrégionales doit devenir pour nous une priorité d’Etat. En effet il est bénéfique pour nous sur trois plans : -Primo - Il nous permet de participer à la gestion des affaires du monde aux côtés des autres peuples de la Planète. Secundo - Il aide nos cadres à acquérir un surplus de formation professionnelle, de compétence technique qu’ils reviennent mettre à la disposition de leur pays à la fin de leur mandat. C’est pour cette raison que la Conférence Nationale du Bénin, de Février 1990, a préféré choisir le Premier Ministre de la Transition parmi eux. -Tertio - Il drainera vers notre pays des projets et des financements pour impulser son développement. En conclusion, Monsieur le Président, nous n’avons pas le droit d’hésiter à adopter une politique d’Etat dans ce domaine. Je ne doute pas que vous partagez cette conclusion et que vous mettrez tout en œuvre pour doter notre pays d’une telle politique. Soyez assuré, Monsieur le Président, de mon profond respect. Jean-Roger AHOYO Conseiller Régional de l’UNESCO pour la Culture en Afrique de l’Ouest Vous avez certainement raison et nous ne devons pas écarter la jalousie comme facteur d’explication à ce genre d’échecs dans notre pays. Mais nous devons, précisément à cause de cela, nous attacher à définir une politique de recrutement et de placement de nos cadres, et prendre toutes les dispositions utiles pour sa mise en œuvre effective, malgré les obstacles subjectifs. Permettez-moi de vous proposer ci-après quelques éléments pouvant contribuer à définir une pareille politique. 1.Une formation solide Nous ne pouvons envoyer compétir sur le plan international que nos éléments les mieux formés. Une formation solide constitue donc la première condition pour affronter la concurrence aussi bien sur le plan régional que mondial. Autrement dit, nous devons commencer par définir et appliquer une politique de l’excellence qui nous donnera les éléments bien armés et préparés pour participer victorieusement à la compétition internationale. 2.Une dépolitisation de notre administration ou fonction publique. C’est la condition sine qua none pour que nos cadres s’épanouissent entièrement dans l’accomplissement de leurs fonctions. Le fonctionnaire béninois ne peut pas concevoir et suivre un plan de carrière s’il sait qu’il est à la merci d’un remaniement ministériel. En effet chaque nouveau ministre qui arrive se croit obligé de changer tout le monde jusqu’au planton! | | |