COLIBRI
Une leçon de dignité
La lutte aux poignards pour l’occupation des « kakaklè » se poursuit inlassablement dans le hameau. Elle s’amplifie même dangereusement jusqu’à bloquer le recrutement des tatas et des tontons qui doivent travailler avec notre Papa National dans la grande Case. De mémoire d’homme, jamais une telle situation ne s’est vue dans notre hameau. Des hommes et des femmes qui refusent de travailler dans la grande Case. Les amis de Papa maçon, de Dèkpè Saki, de Dadjè et même d’Oba Adjaokouta refusent d’y aller. C’est le monde à l’envers. Qui l’eut cru ? Mais pourquoi cet entêtement dans un refus carré, à prendre langue avec notre Papa National?
La situation est de plus en plus inextricable. Nous sommes dans un sac de nœuds. Des accusations de trahison fusent de partout. Contre Dansou, le fou Codjo, le filou et d’autres avortons en mal de célébrité. Que dis-je ? Plutôt à la recherche de l’argent sale et facile. La danse des marionnettes continue. Je mens, tu mens, tu mens, je mens. Personne ne croit en personne et les gens sont contre les gens !
Nous en étions là, quand la toile mondiale se mit à bruire des plus folles rumeurs. Le digne successeur de Madiba abandonne le navire South Afrika.
Quoi, quitter volontaire-ment le trône ! Quel toupé ! Madiba et les siens nous étonneront toujours. Non, ils nous émerveilleront toujours.
Alors Colibri se tourna comme d’habitude vers son octogénaire de maman qui sait tout.
Mon cher Colibri.
Il y aurait été contraint à la suite d’une fronde de ses propres frères. Une fronde menée de main de maître par le truculent Yakoubou dit le Mazout. Le vrai gars de toutes les filles du hameau, du nourrisson à l’octogénaire, le capteur invétéré de tous les sous sales et des comptes bancaires en déserrance. Plus intrigant que lui, tu meurs.
Alors maman ! Que fit Botha ?
Non, plutôt Thabo. Deux noms syllabiquement antisymétriques et deux destins délibérément opposés. Le premier personnage est le négatif de la photographie en noir et blanc - c’est le cas de le dire - du second. Les deux personnes sont le crépuscule et l’aube du soleil qui éclaire un même peuple, la nation Arc-en-ciel. Seul le génie de Madiba a pu les faire vivre et travailler ensemble sous le même ciel et dans le même hameau.
Le parti m’a envoyé, le parti m’a rappelé, j’obéis et je me retire. Mais après un demi-siècle de militantisme, je demeure dans le parti, déclara Thabo.
Aussitôt son successeur fut désigné et il lui passa service.
Quelle grandeur d’âme et d’esprit !
Au pays de Madiba et de Yèwénongan Tutu, il y a et il y aura toujours de grands hommes.
Quelle prestance !
Quelle leçon de morale politique, disons de morale tout court, pour les dinosaures et autres fossiles vivants qui ont la main mise sur Afrika. Nos pachydermes, fondateurs de dynastie à succession en ligne directe, de père en fils, dont l’arbre généalogique se confond allègrement avec l’organigramme des préda-teurs du hameau devraient en rougir. Disons plutôt qu’ils devraient, comme la couleur de leur tronche, en noircir.
Chez nous, quand une tata ou un tonton sort de la grande Case, il crée son club de menteurs ou il prend le maquis. Il oublie son ancienne clique de menteurs. Jamais on n’a vu un Papa National laisser le trône même si son peuple croupit dans la misère. Il les vend pour avoir des sous afin d’organiser la nouba et envoyer en villégiature sur les bords de la Seine les gens de son clan et autres griots à sa solde.
Ne nous étonnons pas, car l’histoire n’a jamais changé de cours. Nos pères étaient attrapés, ligotés et vendus outre-mer. Aujourd’hui les enfants sont vendus in situ. C’est plus avantageux pour les vendeurs et les acheteurs, ils ne font plus les frais de transport à travers la grande eau et il n’y a plus de perte sur la marchandise.
Et après tout cela, dire qu’il n’y a pas d’hommes ou de femmes dignes dans notre village Afrika ! Il n’y a qu’un pas que seuls certains blancs-becs franchissent allègrement. Au moins les enfants de la Nation Arc-en-ciel sont l’exception qui confirmerait peut-être la règle.
En tout cas, Dieu sauvera les siens. Ainsi parlait Zarathoustra.
Le colibri