STATUT DE L’OPPOSITION: Du décret d’application à la réalité
Pour coller à l’actualité, tout en restant dans le cadre des préoccupations qui sont les nôtres à Res Publica, le présent papier porte sur le statut de l’opposition. Il analyse surtout la situation telle qu’elle se présente, à notre avis, après la prise du décret n°2008-649 du 20 novembre 2008 portant modalités d’application de la loi n°2001-36 du 14 octobre 2002 portant statut de l’opposition.
Le conseil des ministres, en sa séance du 19 novembre 2008, a adopté le décret n°2008-649 du 20 novembre 2008 portant modalités d’application de la loi n°2001-36 du 14 octobre 2002 portant statut de l’opposition. Le seul décret d’application prévu par le statut de l’opposition étant ainsi adopté par le Gouvernement, l’on peut dire à partir de ce moment-là, ne serait-ce que théoriquement, que plus rien ne devrait faire obstacle à l’application complète du statut de l’opposition adopté par l’Assemblée nationale et promulguée depuis la fin de l’année 2002. Maintenant que ce décret – réclamé à cor et à cri par beaucoup de gens – est pris, il nous faut apporter des réponses à au moins deux questions principales. Premièrement, l’on doit chercher à savoir ce qui va se passer à partir de maintenant en ce qui concerne le comportement d’une partie de la classe politique nationale. Deuxièmement, l’on devrait également chercher à savoir à quoi les citoyens devraient s’attendre en terme d’amélioration du fonctionnement du système démocratique national du fait de la complète application du statut de l’opposition. Avant toute chose, une série de remarques importantes s’impose.
Un statut pour l’opposition
Il s’agit en fait de la nécessité de rendre justice au Gouvernement et à son Chef, pour au moins deux raisons. Premièrement, il faut saluer à sa juste valeur la volonté du Président de la République d’avoir pris ce décret d’application, quel que soit ce qu’on pourrait en penser par ailleurs. Ceci d’autant plus que le Président Kérékou et ses différents Gouvernements n’ont pas voulu de cela tout le long du deuxième quinquennat du Général Président. Deuxièmement, il nous paraît également juste de reconnaître que le Chef de l’Etat et le Gouvernement ont pris le décret tel que prévu par la loi n°2001-36 du 14 octobre 2002 portant statut de l’opposition. De sorte que l’essentiel des faiblesses qui seront trouvées au statut (aujourd’hui considéré ensemble avec son décret d’application) seraient moins le fait du Gouvernement que de celui du texte lui-même à l’origine, texte adopté par l’Assemblée nationale. Mais avant d’en arriver aux questions principales posées ci-dessus, commençons, comme nous en avons l’habitude à Res Publica, par poser le problème que l’on est supposé résoudre dans une société démocratique à l’aide d’un statut de l’opposition.
En effet, l’on est obligé de créer des conditions particulières à un groupe de partis politiques (appelés partis de l’opposition) parce que ces partis sont supposés aider à l’amélioration du fonctionnement de la démocratie. Dans le cas du Bénin, le statut de l’opposition lui-même se définit essentiellement comme l’ensemble des règles juridiques permettant aux partis de l’opposition de : (1) critiquer le programme, les décisions et les actions du gouvernement ; (2) développer des programmes propres ; (3) proposer des solutions alternatives à la nation ; et (4) œuvrer pour l’alternance au pouvoir par voies légales. A travers ces attributions de l’opposition définies par le statut (et d’autres encore), les partis qui la composent sont supposés contribuer à rendre plus transparente la gestion des affaires publiques, à réduire le coût de l’accès à l’information des citoyens, à rendre plus aisée l’opération des choix politiques par les citoyens (par exemple, au moment d’une élection), (éventuellement) à éclairer les gouvernants (surtout l’Exécutif) dans la prise de certaines décisions, à l’amélioration des politiques publiques mises en œuvre par l’Etat, etc.
Avant de répondre aux deux questions fondamentales qui nous préoccupent dans le présent papier, il nous faut donc d’abord apprécier la qualité du statut de l’opposition. Il s’agit en fait de voir dans quelle mesure le texte tel qu’il est aujourd’hui, crée les conditions nécessaires pour une opposition de qualité au Bénin, c’est-à-dire pour une opposition capable de jouer les rôles qui sont les siens. Cette appréciation, se fera par rapport à quelques-uns des facteurs qui, à notre humble avis, sont importants pour la détermination de la qualité d’un statut de l’opposition. Pour des questions de limitation d’espace, la présente analyse (du statut) se focalisera essentiellement sur quelques-uns des éléments qui ne sont pas encore complètement pris en compte par le texte dans son état actuel. Ces éléments (non encore pris en compte) pèseront dans la détermination du sort qui sera fait au statut, et donc aideront à répondre à nos deux questions fondamentales. Nous présenterons également, à chaque fois que c’est possible, des dispositions de statuts de l’opposition de pays de la sous région relatives aux questions qui nous intéressent.
Espace d’opération de l’opposition
Le premier élément qui peut poser problème dans le texte est la quasi absence de distinction entre les différents espaces d’opération de l’opposition. En effet, l’opposition opère dans au moins deux espaces distincts : (1) la scène publique nationale et (2) le Parlement. Et selon l’espace où l’opposition s’exprime et agit, les moyens nécessaires correspondants doivent être prévus par le statut de l’opposition. Le texte, dans son état actuel, en ce qui concerne l’opposition au Parlement, ne fait que reprendre le Règlement intérieur par rapport aux conditions de composition du Bureau de l’Assemblée nationale. Alors que dans un Parlement, il est possible d’assurer une meilleure contribution de l’opposition en lui prévoyant un traitement spécifique dans les commissions, dans le Bureau de l’Assemblée, dans la distribution de la parole et des temps de parole en plénière, dans la constitution de l’ordre du jour de l’Assemblée, etc. Quelques exemples de pays de la sous région peuvent être utiles.
Au Burkina Faso, par exemple, la loi portant statut de l’opposition fait la distinction entre l’opposition au niveau de l’Assemblée nationale et l’opposition au niveau des Assemblées locales (les conseils communaux) et reconnaît la nécessité de la présence de l’opposition dans le Bureau de l’Assemblée nationale. Au Mali, la loi portant statut de l’opposition octroie aux partis de l’opposition le bénéfice d’un droit de représentation en fonction de leur poids politique au sein des organes et institutions où ils siègent, notamment au niveau de l’Assemblée nationale (art.6). Cette disposition est reprise quasiment dans les mêmes termes dans l’article 8 du statut de l’opposition de la République du Niger. Même s’il est vrai que les différents textes cités ci-dessus sont encore largement en deçà de ce qui peut être attendu d’un statut de l’opposition de qualité (vis-à-vis du traitement qui doit être fait à l’opposition au sein de l’Assemblée), ils sont quand même un peu plus en avance par rapport au texte actuellement en vigueur au Bénin.
Accès à l’information
Un second élément qui peut poser problème dans l’application du statut de l’opposition au Bénin est le silence du texte sur les questions relatives à l’accès à l’information. Alors qu’il est clairement établi que l’opposition ne peut convenablement jouer aucun des rôles qui lui sont attribués sans un niveau d’accès raisonnable aux informations disponibles sur la gestion des affaires de l’Etat. En effet, pour ne reprendre que le contenu de notre statut de l’opposition, comment peut-elle critiquer le programme, les décisions et les actions du gouvernement sans disposer d’informations fiables sur la réalité des faits ? Comment peut-elle développer des programmes propres et proposer des solutions alternatives à la nation sans avoir des informations nécessaires sur l’état des affaires de la cité ? Etc. Ici également, un détour dans les pays de la sous région peut-être utile.
En République du Niger, le statut de l’opposition dit clairement, en son article 7, que «les partis de l’opposition ont le droit à l’information sur toutes les questions importantes relatives à la vie de la Nation». Le même article poursuit en précisant que ce libre «accès à l’information leur est octroyé par les ministères et les administrations publiques.» De la même manière en République du Mali, le statut, également en son article 7, reconnaît aux partis de l’opposition «un libre accès aux renseignements par voie d’audience spéciale dans les ministères et administrations publiques.» Une petite enquête nous a révélé qu’au Mali, les partis de l’opposition font souvent usage de ce mécanisme et qu’ils obtiennent des informations et/ou de la documentation sur des questions spécifiques de l’administration au moins 80 fois sur 100. Même s’il est vrai que chez nous au Bénin, les parlementaires ont la possibilité de poser des questions et de demander des informations au Gouvernement, ceci non seulement ne prend pas en compte le cas de l’opposition extraparlementaire (reconnue par le texte), mais en plus, pour une multitude de raisons, il ne suffit même pas pour garantir la nature d’information dont les partis de l’opposition pourraient avoir besoin.
Accès équitable aux média officiels
La manière d’assurer à l’opposition le bénéfice d’un accès équitable aux moyens officiels d’information et de communication (art. 8) est le troisième élément par rapport auquel des problèmes peuvent se poser dans l’application de notre statut de l’opposition. Il est évident que sans une bonne application de cette disposition – c’est-à-dire la disposition relative à l’accès équitable aux média d’Etat – de la loi, il est illusoire d’espérer ériger une opposition véritable et crédible dans une démocratie pluraliste. En effet, à quoi sert-il d’apprécier les actions et programmes du Gouvernement et de formuler des critiques s’il faut les garder pour soi, si l’on n’est pas en mesure de les partager avec les citoyens qui ont le besoin et le droit de savoir ? Comment l’opposition peut-elle œuvrer à l’alternance sans avoir la possibilité, dans des conditions sérieuses, de partager ses points de vue sur la gestion des affaires de la cité (la gestion du Gouvernement et les problèmes préoccupant les populations) avec les populations ? Mais la question de l’accès équitable aux moyens d’information officiels va au-delà de cela.
En effet, la gestion de l’accès équitable aux média officiels doit prendre en compte la logique fondamentale qui sous-tend l’idée même de l’existence de l’opposition dans une démocratie. Accepter et créer des conditions spéciales pour l’activité des partis d’opposition, c’est reconnaître la possibilité de l’existence de plusieurs opinions valables sur les questions relatives à la gestion des affaires de la cité. C’est reconnaître et accepter qu’en dehors du Gouvernement, d’autres groupes de citoyens, en l’occurrence les partis politiques de l’opposition, peuvent détenir des avis pertinents et utiles pour la détermination et la mise en œuvre des politiques publiques. Cela suppose donc que l’occasion doit être donnée aux citoyens, à chaque fois, d’entendre les différents sons de cloche. En d’autres termes, l’accès équitable aux média officiels doit également vouloir dire qu’à chaque fois que le Gouvernement (ou son Chef) se prononce officiellement sur des questions majeures, l’opposition doit avoir la possibilité d’en faire autant dans des conditions bien déterminées.
Le Chef de file de l’opposition
Finissons, dans le cadre de cette analyse sommaire, par une ou deux questions mineures qui peuvent également poser quelques problèmes à la mise en œuvre du statut de l’opposition. La première question est relative à la situation qui est faite au leadership de l’opposition par le texte. En effet, le statut de l’opposition, dans son état actuel, définit (art. 7) les conditions dans lesquelles l’on peut devenir chef de l’opposition et prescrit ensuite que les chefs de l’opposition choisissent en leur sein un porte-parole. De façon générale, cet exercice peut ne pas être facile parce que cela dépend de l’étendue et de la profondeur des différences du point de vue des principes entre les partis d’opposition. Qui peut imaginer, par exemple en France, que Jean-Marie Le Pen (extrême droite) et Olivier Besancenot (extrême gauche), bien qu’étant tous deux opposants à l’UMP, puissent avoir un porte-parole commun ? Pire, lorsqu’on sait comment la désignation des responsables, des leaders est objet de toute de sorte de tractation, d’intrigue et de marchandage au Bénin, on peut s’inquiéter par anticipation pour les conditions dans lesquelles ce porte-parole sera choisi et pourra accomplir sa mission. Pour résoudre ce problème dans plusieurs démocraties, l’on a recours à des critères permettant de choisir l’un des chefs de l’opposition comme le leader de l’opposition ou l’opposition officielle. Par exemple, au Burkina Faso, il est prévu dans leur statut de l’opposition, la position du «chef de file de l’opposition» qui est attribuée au premier responsable du parti de l’opposition ayant le plus grand nombre d’élus à l’Assemblée nationale (art.12).
La deuxième petite question découle de ce que le décret d’application de la loi portant statut de l’opposition ne prévoit pas de rémunération financière aux chefs de l’opposition. Si l’on peut, en exagérant un tout petit peu, comprendre que le député qui est en même temps Chef de l’opposition a déjà un certain niveau de revenu, qu’adviendra-t-il d’un Chef de l’opposition extraparlementaire ? Dans les démocraties établies et/ou vieilles, même lorsque l’on est député et qu’on est en plus chef de l’opposition, un traitement (financier) particulier est prévu pour celui qui joue ce rôle pour la société.
A quoi s’attendre ?
Sous l’éclairage de ces commentaires, il faut maintenant répondre à nos deux questions fondamentales posées au début du présent papier à savoir : (1) à quoi les citoyens devraient s’attendre en terme d’amélioration du fonctionnement du système démocratique national du fait de la complète application du statut de l’opposition et (2) ce qui va se passer à partir de maintenant en ce qui concerne le comportement d’une partie de la classe politique nationale.
A la première question, la réponse, sans grande exagération de notre part, est : pas grand-chose. Ceci pour la simple raison, comme nous l’avons vu ci-dessus, que le statut de l’opposition, dans son état actuel, ne donne pas de véritables moyens aux éventuels partis de l’opposition pour apporter la contribution qui est attendue d’eux dans le cadre d’un système démocratique. Au mieux, les plus courageux et les plus vaillants vont se battre pour obtenir des informations et essayer de se faire entendre vaille que vaille par les populations. Ceci est d’autant plus vrai que les dispositions du statut relatives à l’accès équitable aux média officiels, ont toujours été pleinement en vigueur sans jamais se traduire véritablement dans les faits.
En ce qui concerne le comportement de la classe politique après l’adoption du décret d’application du statut de l’opposition, la réponse mérite d’être nuancée. Il est possible que certains groupes, remplissant les conditions requises pour être de l’opposition et mériter d’avoir un chef, acceptent de se déclarer officiellement comme tels. Parce que les conditions faites au chef de l’opposition, bien que insuffisantes (de notre point de vue), peuvent, par exemple, aider à réduire les tensions qu’on observe au sein de certains partis lors de la désignation des présidents de groupes parlementaires et/ou de présidents de commissions permanentes à l’Assemblée. Mais il est également parfaitement possible, que certains partis politiques, remplissant les conditions quantitatives (nombre de députés ou pourcentage de suffrages aux dernières législatives) ne cherchent pas à y aller soit par stratégie politique purement conjoncturelle, soit parce que le contenu du décret d’application ne serait pas suffisamment attractif.
En guise de conclusion, nous dirons simplement que sans chercher à aller dans les détails dans l’analyse du statut de l’opposition tel qu’il est complété par le décret d’application pris par le Gouvernement, le 20 novembre 2008, nous avons essayer d’apporter quelques éléments de réponse aux deux questions fondamentales qui se posent actuellement. A notre humble avis, du fait de l’adoption du décret, rien ne risque de changer en ce qui concerne la contribution d’une éventuelle opposition à l’amélioration du fonctionnement de la démocratie béninoise. Cependant, il n’est pas exclu que quelques groupes de partis se déclarent de l’opposition, le cas échéant, beaucoup plus pour jouir des prérogatives prévues par le décret que pour véritablement jouer les rôles prescrits aux partis par le statut de l’opposition. C’est ce que nous croyons.
[Res Publica]
Mathias Hounkpè
Notes
1 Par statut de l’opposition, nous entendons dans la suite du présent papier la loi et son décret d’application.
2 Partis est utilisé dans ce papier au sens aussi bien de partis que de groupes ou d’alliances de partis.
3 L’on pourrait ajouter les conseils communaux et municipaux, mais nous ne le faisons pas ici pour éviter de compliquer inutilement l’analyse.
4 Loi n° 007-2000/AN (JO n° 30 2000) portant statut de l’opposition politique au Burkina Faso.
5 Loi n° 95-073 portant statut des partis de l’opposition en République du Mali du 15 septembre 1995.
6 Ordonnance n° 99-60 du 20 décembre 1999.
7 Même au Bénin, qui peut imaginer le parti communiste du Bénin et n’importe quel autre parti de l’échiquier politique national avoir un porte-parole unique ?
8 Et c’est ce dernier (le chef de file de l’opposition) qui, au Burkina, prend place dans le protocole d’Etat lors des cérémonies et des réceptions officielles.