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LA CROIX DU BENIN
Hebdomadaire Catholique: Justice - Vérité - Miséricorde
15/01/2009
 

STATUT DE L’OPPOSITION: Le contrôle parlementaire de l’action gouvernementale

 

Le présent Res Publica vient en complément de celui paru dans la Croix du Bénin n°969 du 21 novembre 2008 sur les préalables pour un contrôle parlementaire efficace et l’article sur le statut de l’opposition publié dans La Croix du Bénin n°970 du 28 novembre 2008 a pour principal objectif, de montrer la place centrale de l’opposition (au parlement) dans l’efficacité du contrôle de l’action gouvernementale par le Parlement.

Dans le présent numéro de Res Publica nous essayons de faire le lien entre deux textes publiés dans des numéros antérieurs de la Croix du Bénin. Le premier texte, paru dans la Croix n°969 du 21 novembre 2008 portait, entre autres, sur 4 des conditions préalables à tout contrôle parlementaire efficace. Le deuxième, publié dans la Croix du Bénin n°970 du 28 novembre 2008 a porté sur les limites du statut de l’opposition et ce qui peut être attendu de la prise, par le Gouvernement le 20 novembre 2008, du décret d’application que ce texte prévoit. Ce numéro de Res Publica tente d’établir un lien entre ces deux papiers dans la mesure où il se penche sur l’importance et la place centrale de l’opposition dans l’effectivité et l’efficacité du contrôle parlementaire de l’action gouvernementale. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, un rappel de certains des éléments contenus dans les deux précédentes publications, est nécessaire pour la compréhension de celui-ci.


Dans le numéro de Res Publica paru dans la Croix du Bénin n°969 du 21 novembre 2008, nous avons évoqué 4 conditions préalables pour un contrôle efficace de façon générale. Les trois premières conditions sont relatives aux moyens (légaux et autres) qu’il faut prévoir pour rendre possible l’exercice du contrôle d’un agent ou d’un groupe d’agents B par un autre A (qui peut également être un groupe). La quatrième condition préalable, quant à elle, est relative aux facteurs qui pourraient donner envie, inciter le contrôleur A vouloir se servir des moyens et des instruments prévus pour l’exercice du contrôle de B. On avait alors évoqué deux types de situations où un contrôleur pourrait ne pas avoir envie d’utiliser au maximum les mécanismes de contrôle prévus pour cela. Il s’agit du cas où, il est de l’intérêt direct de A de ne pas être agressif et volontaire dans le contrôle de B et de celui où l’environnement de travail (de fonctionnement) de A le dissuade d’être agressif, déterminé contre B. Cette quatrième condition est celle qui nous intéresse le plus dans le présent papier parce qu’elle nous permettra d’établir la place centrale qui devrait revenir à l’opposition dans le contrôle parlementaire de l’action gouvernementale.


D’un autre côté, dans n°970 du 28 novembre 2008, nous avons mis en exergue un certain nombre d’insuffisances dont souffre, à notre humble avis, le statut de l’opposition tel qu’il est aujourd’hui (considéré  ensemble avec son décret d’application). L’un des reproches que nous faisions à ce texte tient de ce que quasiment aucune différence n’y est faite entre l’opposition au Parlement et l’opposition dans l’électorat (sur la scène publique nationale). Ceci constitue une faiblesse sérieuse dans la mesure où la prise d’un statut de l’opposition, et les ressources de toute sorte que ce texte prévoit pour ceux qui accepteraient d’occuper cette position sur la scène politique nationale, repose sur l’hypothèse que le pouvoir et les groupes politiques qui le soutiennent ne détiennent pas la totalité des informations et des moyens suffisants pour garantir la bonne gestion des affaires et le développement du pays. Ou, dans une démocratie digne de ce nom, peut-on espérer trouver des acteurs (politiques) mieux à même d’apporter des informations complémentaires et/ou de contribuer à la bonne gestion des affaires (à travers, par exemple, le contrôle) en dehors du Parlement ? Cette faiblesse – c’est-à-dire la non prise en compte de l’opposition au parlement dans le statut de l’opposition – devrait, à notre avis, réduire la performance du Parlement en matière de contrôle de l’action gouvernementale. C’est du moins ce que nous allons tenter d’établir dans la suite du présent papier en commençant par son impact sur l’envie du Parlement d’utiliser les moyens légaux de contrôle de l’action gouvernementale.
Tout le monde devrait naturellement s’entendre avec nous sur le fait que dans une Assemblée nationale, les députés de l’opposition devraient normalement être plus enclins à se servir des instruments de contrôle que leurs homologues de la mouvance présidentielle (c’est-à-dire ceux qui soutiennent l’action gouvernementale). Ceci ne serait-ce que pour la  simple raison, si tant est qu’il est encore nécessaire de donner une raison, que ceux-là devraient avoir plus de raisons que ceux-ci de vouloir révéler au grand jour les faiblesses et les fautes éventuelles (délibérées ou non) de ceux qui sont aux affaires. En effet, c’est de l’intérêt de l’opposition, qui doit normalement se positionner en alternative en ce qui concerne la gestion du pouvoir, que le peuple soit informé des insuffisances de ceux qui gèrent le pouvoir Exécutif ; c’est donc directement de son intérêt de recourir à, et d’utiliser à fond, tous les moyens disponibles pour jeter des faisceaux de lumière sur les agissements de l’Exécutif, surtout ceux qui laissent à désirer. Voilà pourquoi, quelle que soit la qualité des instruments prévus par les textes légaux pour le contrôle parlementaire, la performance de l’institution dépendra pour beaucoup des dispositions qui sont prises pour rendre leur utilisation plus aisé pour les groupes de l’opposition parlementaire.
Par conséquent, en élaborant les textes qui régissent le cadre d’évolution de l’opposition, l’on se doit de s’assurer que les mécanismes prévus pour le contrôle parlementaire sont, de manière raisonnable, accessibles aux groupes de l’opposition. Ceci veut dire qu’il faudrait rendre facile le recours aux questions au gouvernement, c’est-à-dire, par exemple, non seulement rendre les conditions d’interpellation du gouvernement aussi simples que possibles mais également leur positionnement sur l’ordre du jour des séances plénières. Il est, en effet, presqu’inutile de permettre à tout député de poser des questions au gouvernement (ce qui est le cas dans notre Parlement au Bénin aujourd’hui) – c’est-à-dire mettre l’instrument de contrôle que constituent les questions au Gouvernement à la portée de l’opposition quelle que soit sa taille, même lorsqu’elle est réduite à un seul député – si un autre groupe peut décider de quand la question sera discutée en plénière. Parce que ce dernier a ainsi la possibilité de considérablement réduire la portée et l’intérêt d’une question en la programmant tardivement et hors de son contexte. Ceci est encore plus vrai lorsque nous sommes dans un environnement, tel que le nôtre au Bénin, où les questions orales avec ou sans débats ont (à juste titre) la préférence des députés.


De la même manière, l’on se doit de s’assurer, en élaborant les textes relatifs à l’opposition, que le recours aux commissions d’enquête et d’information est aussi raisonnablement  accessible aux groupes de l’opposition parlementaire. Ceci veut dire, qu’il faudrait faire attention aussi bien aux conditions de mise sur pied des commissions d’enquête qu’à celles d’adoption des rapports qu’elles produisent. Si, par exemple, comme c’est le cas actuellement au Bénin, il faut l’accord de la majorité des députés pour mettre sur pied une commission d’enquête et que le rapport de cette dernière doit être adopté en plénière, l’on peut s’attendre à ce que cet instrument ne produise pas beaucoup de résultats probants. En effet, on ne mettra de commission parlementaire sur pied  que si la majorité le souhaite, et lorsque la commission a fini son travail, la majorité peut influencer (par le biais des amendements) le contenu de ce rapport. Il faut donc, en l’état actuel des choses, pour que cet instrument ait des chances d’être efficacement utilisé, que la majorité parlementaire soit de l’opposition. Même là, des problèmes peuvent demeurer si l’opposition n’obtient la majorité qu’en cours de législature, c’est-à-dire après formations de tous les organes de l’institution parlementaire (commissions permanentes, bureau, et une bonne partie de la conférence des présidents).
Pour résoudre les problèmes ci-dessus, plusieurs solutions, dont nous présentons juste quelques-unes ici, ont été expérimentées dans les démocraties à travers le monde. Par exemple, en ce qui concerne les questions au gouvernement, l’on peut accorder à l’opposition le droit de choisir les questions à porter sur l’ordre du jour d’un certain nombre de séances plénières pendant une session ordinaire et/ou extraordinaire. Quant aux commissions d’enquête parlementaires, l’on peut faire en sorte que tout groupe parlementaire puisse en mettre sur pied. C’est-à-dire, en d’autres termes, que dès que l’opposition peut à elle seule former un groupe parlementaire, elle peut également décider de la mise sur pied d’une commission d’enquête. L’on peut ajouter à cela la possibilité que les avis divergents de ceux de la majorité parlementaire puissent être annexés au rapport d’enquête parlementaire à la demande des groupes qui épousent ces avis-là. Tout ceci rendrait plus aisé l’utilisation de cet instrument quelle que soit la configuration politique de l’institution parlementaire.
L’usage que l’on peut faire de la disposition (l’inclination) quasi naturelle de l’opposition à contrôler (et donc à se servir des mécanismes légaux de contrôle) va au-delà de tout ce qui  précède. L’on peut s’en servir, par exemple, pour crédibiliser la gestion de l’Assemblée et légitimer les décisions de cette dernière en s’assurant, dans les textes relatifs à l’opposition, que cette dernière occupe une bonne place dans le fonctionnement de l’institution et dans les processus de prise de décision. Pour cela, il faudrait, par exemple, s’assurer que l’opposition est représentée proportionnellement à sa taille dans tous les organes de l’institution et que, dans tous les cas (c’est-à-dire quel que soit son poids), sa présence ne serait-ce symbolique est garantie à tous les niveaux. Par exemple, dans plusieurs démocraties dignes de ce nom, la présidence de la commission des finances (qui joue un rôle important dans l’étude du Budget général de l’Etat) est systématiquement attribuée à l’opposition quelle que soit la taille de cette dernière.


Au-delà du contrôle de l’action gouvernementale, l’opposition peut également contribuer, toujours au niveau du parlement, à la formulation des politiques et à l’éclairage de l’opinion.
En effet, aussi bien au niveau des travaux en commission (qui, en général, ne sont pas publics) que lors des débats en séances plénières, l’opposition peut enrichir les discussions par ces apports et contribuer à éclairer l’opinion sur son appréciation des choix opérés par le Gouvernement et ses alliés au niveau du Parlement et des alternatives disponibles. Mais pour jouir (bénéficier) de ces atouts dont devrait normalement disposer une opposition au Parlement digne de ce nom, il faudrait également que des dispositions soient prises, que des mesures soient prévues dans l’organisation et le fonctionnement de l’Assemblée nationale. L’on peut, par exemple comme cela se fait dans la plupart des vieilles démocraties et/ou établies, réserver un certain nombre de séances plénières (par session parlementaire) uniquement aux préoccupations (propositions de lois, etc.) de l’opposition et permettre à cette dernière d’annexer ces points de désaccord avec le Gouvernement (et ses alliés au parlement) aux rapports et décisions de l’institution. Avant de passer au deuxième aspect qui nous intéresse dans la présente parution, c’est-à-dire celui  relatif à l’environnement et à son effet éventuellement dissuasif sur le recours aux mécanismes de contrôle, une remarque s’impose.
Tout ce qui précède repose sur l’hypothèse que l’opposition parlementaire est minoritaire et qu’il faut donc non seulement la protéger contre la majorité (qui devrait donc être du côté du Gouvernement), mais également lui prévoir les moyens de s’exprimer et de faire entendre ses opinions. Au cas, il est vrai dans la réalité, où l’opposition serait plutôt majoritaire, une partie des craintes exprimées ci-dessus n’aurait plus leurs raisons d’être. Mais dans ce cas, c’est plutôt vis-à-vis de la minorité parlementaire (qui cette fois soutient l’action du gouvernent) qu’il faut prévoir des mécanismes qui permettent à cette dernière de se faire entendre et de ne pas être submergée par l’opposition. En réalité, il est question ici de faire la différence entre les mesures prévues pour la protection et l’expression de la minorité parlementaire de celles prévues pour une meilleure contribution de l’opposition au Parlement. Nous promettons de revenir sur ces questions dans nos publications à venir sur l’organisation et le fonctionnement de l’institution parlementaire. Passons maintenant au deuxième aspect de cet article.
Le deuxième aspect qui est abordé dans ce numéro de Res Publica est relatif aux effets de l’environnement (du contexte) sur l’efficacité des textes relatifs au statut de l’opposition au Parlement. Nous devrions, comme ci-dessus, aisément nous entendre également sur le fait que le contexte dans lequel évoluent les acteurs politiques peut avoir un effet positif et/ou négatif sur leur tendance à faire usage ou non des mécanismes de contrôle légalement prévus. Nous nous contentons, pour le moment, de donner deux situations qui illustrent à merveille le fait.
Supposons, par exemple, que l’on soit dans une société où, les citoyens (les électeurs) donnent le sentiment de préférer (prioritairement) les actions d’assistance sociale – dons pour diverses raisons (funérailles, scolarisation des enfants, soin de santé, etc.), aides pour placer les sans emploi, etc. – au fonctionnement régulier des institutions. Dans un tel cas, le député de façon générale, et celui de l’opposition en particulier, se trouvera face à des attentes qui dépassent les moyens que lui procure sa position de parlementaire. Il se trouvera dans l’obligation, pour assurer sa carrière politique (tout au moins au niveau de l’Assemblée), de rechercher des moyens au-delà de ce qu’il a au niveau de l’Assemblée pour assouvir les besoins de ses électeurs. Dans ces conditions, il peut être difficile pour le député d’exiger la bonne gestion des ressources de l’Etat, d’exiger, par exemple, le mérite pour l’embauche dans les fonctions publiques, d’exiger, en un mot, le respect des règles de la bonne gouvernance. Il peut même, dans certains cas, tenter d’utiliser les mécanismes de contrôle prévus pour extorquer des ressources auprès de ceux qu’il est supposé contrôlé afin de pouvoir mieux satisfaire ses «clients politiques».
L’on peut également, en guise de deuxième exemple, considérer la situation où les électeurs pratiquent le vote ethnique et considèrent la participation à la gestion des affaires de la Nation par un de leurs fils comme un moyen de prendre sa part du gâteau national. Dans une telle situation, tous ceux qui tenteraient d’empêcher le fils d’un terroir de prendre sa part (en fait la part de son groupe ethnique) du gâteau national est considéré comme un ennemi par les membres dudit groupe. Ceci peut rendre difficile pour tout député de l’opposition qui souhaiterait pouvoir compter à l’avenir sur le vote des membres d’un groupe ethnique donné d’initier des actions qui conduisent à la sanction d’un des membres dudit groupe. En d’autres termes, plus un groupe de l’opposition est relativement grand avec ses leadeurs ayant la chance d’être un jour aux affaires (c’est-à-dire d’avoir besoin des voix des membres d’autres groupes ethniques) plus difficile il sera pour les députés de ce groupe là d’être agressifs dans l’utilisation des mécanismes de contrôle parlementaire.


En guise de conclusion provisoire (puisque nous reviendrons nécessairement sur toutes  ces questions dans d’autres  numéros de Res Publica),  nous dirons simplement que le statut de l’opposition a besoin d’être amélioré pour permettre à l’opposition de mieux contribuer à la gestion des affaires publiques. Mais le statut a également besoin de tenir compte des spécificités de l’environnement électoral national pour éviter que les mécanismes normalement prévus pour lutter contre la mauvaise gestion ne deviennent des instruments d’extorsion de ressources. Nous y reviendrons.

 

 

Mathias Hounkpè

Tag(s) : #EDITORIAL
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