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 18/05/2013

 

BENIN : Etat de droit ou Raison d’Etat ? L’honneur du Juge Angelo HOUSSOU jeté aux chiens par son employeur, l’Etat béninois

 

Par Benoît ILLASSA

 

 

« J’ai retenu que servir l’Etat ne signifie pas plier devant lui. Un fonctionnaire n’est pas un automate programmé pour obéir aux ordres, sans esprit de discernement, sans liberté d’initiative, sans responsabilité et sans créativité. Son éthique se confond avec celle de l’homme. C’est par rapport à cela que je me suis insurgé contre ce qui m’était apparu contraire aux droits de la personne humaine au cours de mon incursion dans les arcanes de la fonction publique » Adrien HOUNGBEDJI.

 

LE JUGE D’INSTRUCTION

 

Le juge d'instruction, Angelo HOUSSOU, a prononcé vendredi 17 mai un non-lieu pour l'homme d'affaire réfugié en France et ses présumés complices emprisonnés au Bénin. Ils sont accusés de tentative d'assassinat et association de malfaiteurs pour avoir tenté d'empoisonner Thomas Boni YAYI en octobre dernier. Le juge d'instruction aurait estimé que, comme il n'y a pas eu de passage à l'acte, il n'y a donc pas d'infraction constatée de tentative d'assassinat.

 

Suite à cette ordonnance de non-lieu, l’Etat béninois a déployé un arsenal médiatique et policier sans précédent pour manipuler l’opinion publique et jeter l’opprobre sur le juge, nonobstant l’appel interjeté par le Procureur de la République.

 

Selon le Code de procédure pénale, le juge d’instruction est un magistrat chargé d’instruire à charge et à décharge les enquêtes judiciaires. Il ne peut se saisir d’office et ne peut effectuer d’enquête que dans la stricte limite de sa saisine, cette limite étant fixée par le procureur de la République. Le juge d’instruction a pour mission de faire tout acte utile à la manifestation de la vérité. Il est libre d’enquêter comme il l’entend. Personne ne peut lui donner d'ordres et il est libre de mener les investigations qu'il juge utiles.

 

Enfin, à l'issue de l'enquête, le juge décide s'il y a des charges suffisantes pour renvoyer les mis en examen devant un tribunal ou une cour d'assises. Le juge ne se prononce donc pas sur la culpabilité, mais simplement sur le caractère suffisant des charges. S'il n'y a pas assez de charges, le juge d'instruction rend un non-lieu. Si le non-lieu a été décidé suite à une cause légale (les faits ne constituent pas une infraction, par exemple) l'ordonnance est irrévocable. C’est ce qu’a décidé le juge Angelo HOUSSOU dans le cas d’espèce.

 

Dans un pays comme la France, le juge d’instruction est très redouté. C’est le cas, par exemple, de la juge d’instruction Eva JOLY qui a instruit, dans les années 1990, les dossiers politico-financiers très médiatisés et très sensibles tels que des affaires concernant Bernard Tapie et l’entreprise ELF. En 1998, elle ira jusqu’à mettre en examen Roland Dumas alors Président du Conseil constitutionnel qui est contraint à la démission.

 

Cette supposée puissance du juge d’instruction va amener le Président français, Nicolas Sarkozy, à proposer, le 7 janvier 2009, la suppression du juge d’instruction. Cette proposition va soulever de vives critiques de la part des magistrats et de l’opposition quant à ses effets sur l’indépendance de la justice. La proposition ne fera pas long feu.

 

LE JUGE ANGELO HOUSSOU PEUT DEMMISSIONNER…POUR DEVENIR AVOCAT...

 

…Comme un certain Commissaire du Gouvernement, Adrien HOUNGBEDJI (1) :

 

« Le 30 novembre 1967, je débarquai à Cotonou, rempli d’espoir et bercé d’illusion. La réalité me rattrapa aussitôt. Dix-sept jours après mon retour au Bénin, un coup d’Etat militaire renversait le général Christophe SOGLO, lui-même arrivé au pouvoir suite à un putsch. A peine installé, le nouveau gouvernement manifesta la volonté de remettre le pays à l’endroit, en déclarant la guerre à la corruption. Emporté par son élan, il prit la décision de créer un tribunal militaire d’exception chargé de juger les actes de prévarication. Cette juridiction était composée d’un magistrat Président, de huit officiers assesseurs et d’un magistrat commissaire du gouvernement faisant office de ministère public.

 

Le nouveau pouvoir chercha un jeune homme pour assumer cette délicate fonction. Je fus choisi. J’avais vingt-cinq ans.

 

Dans le pays, la tension était à son comble. La vie quotidienne était rythmée par de nombreuses arrestations de hauts fonctionnaires, d’administrateurs et d’officiers. Impossible de dire si la volonté de nettoyer les écuries était le seul mobile, ou si les règlements de compte avaient pris le dessus. La campagne de moralisation de la vie publique lancée par le gouvernement semblait bénéficier de l’assentiment de la population.

 

Les deux premiers cas déférés furent instruits et jugés sans accroc et je pus soutenir l’accusation sans autre contrainte que ma conscience. Le troisième fut l’épreuve de vérité. Il s’agissait de juger l’intendant des forces armées, le commandant Chasme. Officier, il comparaissait devant ses pairs. Garde des sceaux trois semaines auparavant, il avait lui-même signé le décret de nomination des membres du tribunal.

 

La seule et unique pièce du dossier était une lettre du gouvernement demandant au ministère public de le faire comparaître. Mon embarras fut d’autant plus grand que la procédure imposée était celle du flagrant délit. Je sollicitai des instructions écrites. Elles vinrent sans tarder. Je devais requérir vingt ans de réclusion contre le présumé coupable ! L’audition de témoins à laquelle je fis procéder publiquement pour étayer l’acte d’accusation laissa apparaître qu’aucun fait de corruption n’était prouvé. Je suspendis donc la séance et informai le gouvernement que je réclamais la relaxe.

 

Mais l’ordre de requérir vingt ans fut au contraire confirmé ; Chasme devait être condamné au nom de la raison d’Etat.

 

Je décidai de ne pas céder ! Au nom de l’Etat de droit. A la reprise de l’audience, je donnai lecture des instructions du gouvernement, et requis l’acquittement. La défense, constituée de la quasi-totalité des avocats du Dahomey et du Togo, s’engouffra dans la brèche !

 

Après une demi-heure de délibération, le tribunal rendit son verdict : vingt ans de réclusion ! En sortant du prétoire, j’eus le sentiment du devoir accompli et la certitude que ma carrière, à peine commencée, venait de prendre fin. Ma démission fut instantanée.

 

L’affaire fut grand bruit. L’opinion s’émut qu’un homme puisse être condamné sans preuve. Le gouvernement y perdit de son crédit, et la juridiction de son prestige. D’autant plus qu’au lendemain de ma démission, le Président rendit lui-même son tablier. Le tribunal fut aussitôt dissous, et les condamnés libérés.

 

Pour ma part, abandonnant la magistrature, je rejoignis le barreau pour y mener une carrière d’avocat ».

 

IB

 

(1) Il n’y de richesse que d’hommes, Adrien Houngbédji, éd. De l’Archipel, sept. 2005

 

 
 
 
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