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Amadou Ngom, PDG de la SSII "Des Systèmes et des Hommes"
 

Grioo.com est allé à la rencontre de Pap Amadou Ngom qui revient sur son aventure entrepreneuriale à la tête de la SSII "Des Systèmes et des Hommes", créée en 1990 et qui emploie aujourd'hui plus d'une centaine de personnes

 

Par Paul Yange
 
 
Amadou Ngom
© DR
 

Vous êtes originaire du Sénégal. Y avez-vous vécu ?

Je suis né au Sénégal et j'y ai grandi jusqu'à l'âge de 12 ans. Mes parents sont allés à l'étranger pour y travailler et je les ai suivis. Je suis arrivé en France à 15 ans. J'ai vécu toute la partie de notre vie qui nous structure grandement au Sénégal puisque j'ai passé mon enfance à Dakar, où j'ai fait mon école primaire et le début de mon secondaire.

Je suis arrivé en France en seconde. J'y ai fait mes études supérieures et j'ai obtenu après mon baccalauréat ce qui s'appelait à l'époque une maîtrise de gestion puis un DEA de finances. J'étais formé au départ pour travailler dans la banque et la finance.

Après cette formation initiale, avez-vous immédiatement travaillé dans la banque et la finance ou un secteur différent ?

Au cours de mon année de maîtrise, j'ai eu l'opportunité de travailler comme formateur dans une société qui formait sur des outils micro-informatiques qui faisaient tout juste leur apparition dans l'entreprise. On était dans les années 1983. Les premiers micro-ordinateurs arrivaient dans les entreprises, on en était encore aux disquettes pouvant stocker au maximum 360 Ko de données, c'était un peu la préhistoire (rires).

La création d'entreprise est une aventure exaltante, qui demande beaucoup d'investissement personnel, d'énergie, mais qui est très gratifiante
Amadou Ngom


Cette expérience m'a donné l'opportunité d'être en contact avec le secteur de l'informatique et de la micro-informatique. J'ai fait le constat que ces technologies étaient quasi révolutionnaires, les outils qui apparaissaient n'avaient jamais été utilisés auparavant dans les entreprises. Les sociétés comme Microsoft, Lotus, Appel venaient de se créer. Toutes ces entreprises commençaient à créer leurs filiales en France.

Je me suis dit que c'était une industrie nouvelle où tout le monde partait du même point, et de ce point de vue, le secteur me paraissait offrir beaucoup d’opportunités.


C'est à cette occasion que vous êtes entré dans la micro-informatique...

A la fin de mon DEA, j'avais deux propositions d'embauche. L'une de la part d'une filiale d'un éditeur américain qui s'appelait Lotus et qui a été racheté par IBM par la suite. J'avais une autre proposition d'une société française qui s'appelle Econocom et qui avait été créée à partir du rachat d'une société américaine. Une de ces filiales opérait dans la formation informatique.

J'ai été recruté comme consultant-formateur, poste que j'ai occupé un an. Ils m'ont ensuite proposé de prendre la responsabilité des formateurs et un an plus tard, ils m'ont proposé de prendre la responsabilité de leur filiale de formation micro-informatique. Je suis resté avec eux trois ans et j'ai démissionné pour me lancer dans la création d'entreprise.

Je voulais me lancer dans la création d'entreprise dès la fin de mes études, mais j'ai écouté les conseils d'un de mes oncles qui m'a dit de commencer par travailler comme salarié
Amadou Ngom


Vous étiez plutôt jeune. Qu'est ce qui vous a poussé à vous lancer dans la création d'entreprise ?

Pendant que je faisais mes études de gestion, mon envie ultime était de créer une entreprise et j'ai failli le faire juste à la fin de mes études. Mais j'ai écouté les conseils d'un de mes oncles qui vivait à l'époque au Sénégal et qui lui était patron de filiales de Lesieur en Afrique de l'Ouest. Il m'a conseillé de travailler d'abord, et d'apprendre car m'a t-il dit, "si tu as l'impression que tu sais beaucoup de choses, en fait tu ne sais pas grand chose. En travaillant comme salarié, disait-il avec humour, tu commettras des erreurs, mais au moins pendant que tu les commettras tu seras payé. Dans ta propre entreprise, il n'y a personne pour te couvrir quand tu commets des erreurs". J'ai suivi son conseil et j'ai commencé par travailler comme salarié pendant trois ans dans le but d'apprendre pour pouvoir créer mon entreprise.


Quand vous avez commencé des Systemes et des Hommes, aviez-vous déjà une idée des métiers sur lesquels vous alliez évoluer ?

Quand j'ai quitté Econocom, je leur avais présenté un plan de développement qui intégrait d'autres types de services que la formation. Les responsables de la société, m’avaient fait comprendre que ce n'était pas le moment pour Econocom. J'ai donc sauté le pas en créant ma propre société. En commençant des Systèmes et des Hommes, on a eu une vision assez claire de ce qu'on voulait faire puisque globalement le plan qu'on a suivi était celui que j'avais présenté.

Nous avons des filiales en Suisse, en Inde et au Sénégal. Notre conviction est qu'il y a beaucoup à faire en Afrique
Amadou Ngom


L'idée était de commencer par un métier qu'on connaissait parfaitement, qui était la formation des utilisateurs de systèmes informatiques, et d'ajouter ensuite des services d'ingénierie informatique. Aujourd’hui le métier d'origine ne représente plus que 8% de notre chiffre d'affaires. L'essentiel de notre activité aujourd'hui tourne autour de l'implémentation de systèmes d'information de gestion des ressources humaines, et le développement de systèmes de business intelligence autour de la gestion des ressources humaines.

Comment avez-vous démarché vos premiers clients ?

J'ai un associé qui est par ailleurs un excellent commercial, Mard Edouard Bellest et c'est lui qui avait la responsabilité du développement commercial. Il fallait prendre contact avec les clients et ensuite montrer que notre savoir-faire était maîtrisé. C'est sur cette partie que j'intervenais. Trouver nos premiers clients s'est passé aussi bien qu'on l'imaginait, ce qui est plutôt miraculeux quand je regarde les choses rétrospectivement.

Le plus dur pour nous n'a pas été le démarrage, mais le moment où nous avons voulu étendre notre palette d’activité. Nous étions sur un métier que nous connaissions bien et pour lequel nous n'avons pas eu trop de soucis. Mais c'est quand nous avons essayé de faire de nouveaux métiers (ingénierie informatique) au bout de quatre ou cinq ans que nous avons rencontré le plus de difficultés.

 
Amadou Ngom
© monster.fr
 

Qu'est ce qui était difficile ? Démontrer votre savoir-faire, convaincre vos interlocuteurs...?

Effectivement il fallait :

-convaincre nos interlocuteurs que nous savions faire autre chose. Quand vous travaillez avec les entreprises, elles ont tendance à vous ranger dans des "cases", et nous avions été rangés dans la "case" formation des utilisateurs de systèmes d'information. Donc quand nous venions leur dire "nous savons développer des applications client-serveur", elles nous regardaient avec scepticisme.

Changer de métier impliquait également un changement de modèle économique : ce qui fait la rentabilité d'une activité de formation n'est pas ce qui fait la rentabilité d'une activité d'ingénierie et de développement.

Il fallait aussi recruter les bonnes personnes. Nous avions l'habitude de recruter des formateurs et pouvions savoir rapidement si le profil était bon ou non. Recruter des chefs de projet de développement était beaucoup plus problématique pour nous car nous ne l'avions jamais fait et le risque de nous tromper était beaucoup plus élevé.

Aujourd'hui, on peut considérer que la société marche plutôt bien...

Effectivement on peut considérer que la société marche bien même si l'environnement économique cette année sera un peu plus difficile. En 2008, nous avons fait une croissance du chiffre d'affaires de 24% environ. Ce qui est plutôt positif. En 2009, nous devrons travailler plus vite et mieux. Nos clients subissent la crise économique et nous faisons partie des "variables d'ajustement".

Vous avez créé "des systèmes et des hommes" à une époque où une thématique comme celle "de la diversité" n'était pas encore à la mode. Quelles ont été les rapports entre vous et les clients, les collaborateurs etc ?

Globalement le premier constat est que les choses se sont bien passées. J'ai cependant en tête deux anecdotes, deux couacs si l'on peut dire.

Dans le premier cas, il s'agissait d'une jeune femme que nous avions recrutée comme formatrice, et qui deux ou trois semaines après son embauche avait démissionné. Sur le coup je n'ai pas bien compris pourquoi, mais c'est une de mes collaboratrices qui m'a dit qu'elle était "très embêtée" d'avoir un patron noir. Ça paraît ahurissant, mais c'est la réalité. Cela dit, cela ne m'a pas perturbé plus que ça.

Globalement ma couleur n'a pas posé de problèmes même si je garde en tête quelques anecdotes comme le fait qu'une collaboratrice ait démissionné il y a quelques années car elle se disait "embêtée" d'avoir un patron noir
Amadou Ngom



En ce qui concerne les rapports avec les clients, ça se passe plutôt bien. Maintenant, quand ça se passe mal, on n'est pas toujours capable de dire pourquoi. Mon attitude a toujours été de dire que si ça se passait mal, c'est parce que nous n'étions pas assez performants.

J'ai su chez un client qu'il y avait une ou deux personnes, pas forcément au bas de l'échelle, qui n'étaient pas très favorables au fait que je signe le contrat car "je n'étais pas français". J’imagine que c'était une façon pudique de dire que j'étais noir. Paradoxalement, j'ai quand même signé le contrat car la personne qui gérait le projet était favorable à ma proposition et elle a eu le courage de la défendre.

Y a t-il des gens qui ont été étonnés de vous rencontrer et de découvrir que vous étiez noir ?

Vu que je m'appelle Amadou Ngom, mes interlocuteurs s'attendent en général à voir un Noir. Il y a cependant une anecdote dont je me rappelle et que mon associé et les quelques collaborateurs qui étaient là à l'époque aiment à raconter. A nos débuts, nous recevions les collaborateurs de certains de nos clients qui venaient se former dans nos locaux, et un jour j'étais arrivé très tôt au bureau. La formation commençait à 9H et à 8H15, une dame a sonné. Je lui ai ouvert la porte, elle a dit qu'elle venait pour la formation, je lui ai proposé un café et je suis retourné à mon bureau.

A l'heure du déjeuner, le formateur est venu me voir pour me raconter l'anecdote. La dame lui avait dit quelle "avait été très bien reçue par l'homme de ménage qui lui avait ouvert la porte". Elle était fort embarrassée quand le formateur lui a expliqué qui j’étais. Les stéréotypes existent "Un Noir tôt le matin dans un bureau est un homme de ménage".

Fort heureusement la société française évolue plus vite qu’on ne le croit.

 
 

Pensez-vous que l'élection de Barack Obama peut avoir une influence sur la façon dont vous êtes perçus, à l'international par exemple...

La vérité c'est que Barack Obama a été élu aux Etats-Unis, par les Américains, pour être leur président. Mais la vision que l'on porte d'une manière générale dans le monde sur les Noirs est tellement peu positive et uniforme que quoiqu'on dise, le fait que ce soit un Noir qui dirige la première puissance du monde peut changer à mon avis cette vision. Certains insisteront sur le fait que Barack Obama est métis. Ce qui est indiscutable. Mais sincèrement, si, au lieu d'être président, il était dealer dans un quartier mal famé de Chicago, personne ne s'interrogerait pour savoir s'il est noir ou métis...Cela dit, le symbole est tellement important qu'il va pousser les gens à s'interroger sur la vision qu'ils ont des Noirs. De ce point de vue, il y a un côté symbolique à cette élection.
Est-ce que cela va rejaillir dans mes affaires ? Sincèrement je ne le crois pas.

Quels conseils donneriez-vous à des jeunes voulant se lancer dans la création d'entreprise ou créer une SSII ?

Globalement, je dirais trois choses qui me paraissent importantes :

1- Je pense qu'il faut avoir un savoir-faire dans un métier particulier et lancer son entreprise dans ce métier là.

2- Il ne faut pas compter sur les banques pour financer le démarrage de son activité. Donc, il faut trouver d’autres sources de financement.

3- Si on peut commencer avec des clients, c'est beaucoup mieux, mais surtout, je crois beaucoup aux aventures en équipe. Mon associé et moi formons un bon tandem, et c'est ce qui nous a permis d’être là où nous en sommes. Travailler en équipe implique des contraintes, car il faut faire attention aux points de vue des autres, écouter, discuter, négocier...Mais ça apporte d'autres avantages comme éviter la solitude du chef d’entreprise. Seul, on n'est pas challengé dans ses idées. En équipe on évite plus facilement les erreurs.

 
Le Sénégal
 

Comment avez vous traversé les moments difficiles qu'on vit quand on est créateur d'entreprise ?

Dans les moments de grandes difficultés, on peut avoir une tendance au découragement, et c'est là où le fait d'être entouré de gens solides est un véritable atout. Le responsable qui doute ou se décourage, risque d'entraîner son équipe dans une spirale négative. C’est toujours plus facile de passer les moments difficiles lorsqu’on peut se soutenir entre associés.

Votre entreprise compte-t-elle se développer à l'international ?

Depuis 2001, nous avons une filiale en Suisse à Genève qui marche plutôt bien. En 2008, nous avons créé une filiale en Inde, à Puna. C était d'abord une demande de certains clients suisses. Ce que nous cherchons à faire est de développer notre activité off-shore également sur la France. L'idée étant d'expliquer au client que sur des projets informatiques, le fait qu'une partie du projet soit traitée ailleurs que sur le site principal ne pose pas de problèmes si on a les bons processus pour gérer ce mode de fonctionnement. C'est ce que nous faisons avec des clients comme les Nations-Unies à New-York avec une partie des équipes qui sont en Inde, et cela fonctionne très bien.

Un mot pour les griooonautes ?

La création d'entreprise est une aventure exaltante, qui demande beaucoup d'investissement personnel, d'énergie et un peu d'argent, mais qui est très gratifiante. On a beaucoup de satisfaction dans le domaine relationnel, dans les rapports avec les clients et les collaborateurs. L'entreprise est un lieu où on apprend à négocier. Tout ce qu'on fait pour développer l'entreprise, pour sa pérennité, est le résultat de décisions négociées. C'est dans l'entreprise qu'on apprend le plus vite que les bonnes décisions sont les décisions qui ont été négociées, et non celles qui ont été imposées. C'est une condition de survie de l'entreprise elle-même.

Notre conviction est qu'il y a beaucoup à faire en Afrique, et nous avons créé depuis trois ans une société qui fait du business process outsourcing, de l'externalisation de processus administratif et financier pour nos clients. Nous avons une équipe qui travaille dans ce domaine au Sénégal. On fait de l'Offshore informatique en Inde, et de l'Offshore sur du business process outsourcing au Sénégal.

Un dernier mot : il faut que dans nos différents pays en Afrique, on réfléchisse à ce que peuvent être nos avantages compétitifs pour profiter de la mondialisation. Il y a une place pour nos pays dans la mondialisation, mais il faut un bon système éducatif, de bonnes infrastructures (route, téléphone, électricité…), une bonne stratégie, et une réelle volonté politique de la mettre en œuvre.


Voir le site web de la société "Des Systèmes et Des Hommes"

"www.s-h.fr"



Tag(s) : #Contribution de la Diaspora
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