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Le Nouveau Brooklyn, une invasion blanche des quartiers noirs ? Par Antoine Wave Garnier 

Antoine Wave Garnier est un fin observateur de l’interculturalité, diplômé en civilisation américaine il s’est passionné pour la culture populaire africaine américaine et la révolution Hip-Hop. Son regard sur ce bouillonnement entrepreneurial, économique, culturel qui a transformé des jeunes de ghetto en stars planétaires aux commandes d’une industrie musicale et culturelle qui imprègne largement l’ensemble des sociétés modernes dans leurs styles de vie, l’a conduit à commettre un ouvrage instructif : «Les Suprêmes -2006». Un croisement d’approche journalistique avec quelques illustrations choisies et une lecture sociologique pénétrante des dynamiques à l’œuvre dans ce que l’auteur, très proche de l’univers qu’il décrit nomme en sous-titre «La révolution Vibracultic».

De retour d’un de ses nombreux voyages d’observateur-participant à la transformation de l’Amérique et du monde par les «Suprêmes», Antoine Wave Garnier a livré à Afrikara.com et à ses Karanautes, son appréciation sur les phénomènes émergents de la réalité urbaine africaine américaine et sur la gentrification dans les quartiers noirs traditionnels. Précaire, bousculé trop souvent par le règne de la suprématie racialo-économique blanche, la gouvernance ethno-policière, et la ghettoïsation des Africains américains, ce régime presque ségrégationniste tend à enfler au gré de l’accumulation matérielle des nouvelles bourgeoisies qui contractent, réduisent, atomisent le cadre de vie es plus faibles dans une indifférence généralisée. Le cas de Brooklyn, boroughs (arrondissement) de la ville de New York, qui accueille une importante population africaine américaine, environ 36% de la population totale, et qui a vu naître des légendes vivantes comme Mike Tyson ou Michael Jordan, est analysé par l’œil du journaliste et sociologue Antoine Garnier. Afrikara.

 

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Rentré depuis quelques mois de New York, j’ai eu, passé le pont Williamsburg, la désagréable impression de retrouver les premiers quartiers de Brooklyn qui m’étaient familiers, complètement métamorphosés. Non seulement, les projets de réhabilitation de ses quartiers noirs amorcés il y a déjà quelques années produisaient leurs, désormais, impressionnant fruits (construction d’un nouveau centre commercial à Fulton, projet d’y faire déménager le nouveau stade de football des Yankees, ...), mais surtout, l’effet 11 septembre était passé par là, convoquant une énorme masse de New-yorkais(e)s blanc(he)s à se précipiter ici et à y provoquer un nouveau tremblement de terre social.

 

Car l’arrivée de ces Blanc(he)s manhattanites - c’est-à-dire, soient issus de situations confortables, aisés, riches, soient pleins aux as, a entraîné, du même coup, un boom conséquent de l’immobilier. Leurs valises de dollars présentées à la face de membres de classes ouvrière moyenne en peine, installés depuis des décennies, auront vite fait de les convaincre de céder leurs maisons, appartements, propriétés à un prix, c’est vrai, qu’ils n’auraient jamais pu obtenir avant l’attentat. Ainsi, comble du comble, des barres entières de HLM autrefois réputées pour leur dangerosité ont été transformés en appartements de luxe, les anciens locataires étant sommairement priés d’aller voir ailleurs, plus loin dans Brooklyn, là ou les transports sont moins nombreux, la sécurité moins assurée, comme les habitations : au cœur de Bedford-Stuyvesant, le plus grand ghetto noir du continent, et de poursuivre d’en amplifier l’importance. Imaginez le choc sur des populations déjà instables.

 

Des brownstones - maison de pierre de taille à plusieurs étages - achetés 250.000 dollars il y a dix ans se vendront ainsi 1,5 million, au grand bénéfice de leurs propriétaires, mais en défaveur du quartier qui verra, un à un, ses piliers et “role-models” déménager vers d‘autres Etats du Sud type Virginie, Texas, Floride, Nouvelle-Orléans,…. 

 

Curieusement, aucun média blanc, (presse ou télé), aucune association de virulents bénévoles de la protection de quartier, aucune milice, ne dénonce une situation qu’à l’inverse, ils se seraient empressés de combattre bec, ongles, batterie d’avocats à la rescousse au besoin. En effet, à l’inverse de ce qui se passe quand les Noirs emménagent dans un quartier blanc, aucun de ces médias ne crient aujourd’hui à l’invasion de ces quartiers majoritairement noirs par des Blanc(he)s et aux conséquences économiques et culturelles surprenantes et choquantes. Car en important leur style de vie de bobos, chiens de compagnie omniprésents dans les rues et dans les parcs, installation de café-terrasse aux tarifs prohibitifs, comportements inhospitaliers de nouveaux propriétaires vis-à-vis de traditions de quartiers, mépris pour la chose noire (homme et culture), de véritables sentiments d’invasion et d’expropriation nourrissent un ressentiment chez les familles noires encore restantes ou forcées à partir.

 

La dépréciation culturelle est significative dans des quartiers historiques de la «black-belt» - ceinture que forme les premiers quartiers où se sont concentrés les premières familles de classe moyenne et de haute-bourgeoisie noire fin du 19ème et 20ème siècle; telle que Fort Greene, l’ancien quartier des Spike Lee, Rosie Perez, des boutiques afro conscientes, des restaurants sénégalais où se retrouvaient les jeunes cadres noir(e)s branché(e)s. L’arrivée des Blanc(he)s s’est automatiquement accompagné de l’augmentation significative des patrouilles de police et de leurs binômes en faction au coin des rues, de la réfection de la chaussée, de son lavage plus fréquent, d’un nombre incalculable de panneaux de signalisation avertissant le conducteur de ralentir (sous peine d’amendes, du jamais vu !), de magasins d’alimentation dont l’achalandage de produits s’est subitement transformé pour proposer, désormais, non seulement une gamme de produits plus large, mais également de bien meilleure qualité ainsi que de nouvelles prestations offertes au client(e)s, des offres inédites,... Car Blanc signifie argent et une certaine forme avérée de pouvoir. Quel choc culturel que de croiser dans ces rues une population qui, il y a encore quelques années, trouvait au minimum insultant que l’on puisse ne serait-ce que lui suggérer de traverser le bridge – le pont-frontière séparant Manhattan de Brooklyn.

 

 

Lire Antoine Wave Garnier, «Les Suprêmes. La révolution vibracultic», 2006

http://www.les-supremes.com/

Tag(s) : #COUPS DE COEUR
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