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Images de sous-développés et du sous-développement
(L'Araignee 16/07/2007)


Vous êtes bel et bien à Cotonou. Du rond point Concorde au rond point Sobebra, on s’active, en ce début du mois de juillet qui annonce la fin de la grande saison des pluies, à nettoyer et à curer les caniveaux. La moisson est plus que bonne : bouillie épaisse et noirâtre de terre suintant et empestant les profondeurs des égouts.


Intervention salutaire, mais tardive. Cela donne la fâcheuse impression qu’on est resté trop longtemps inactif, trop longtemps à regarder mourir un patient. Mais qu’on ne s’est décidé à intervenir que quand ce dernier eut rendu l’âme. Que reste-il donc à faire que de confesser son impuissance : le sérum à ressusciter un mort, c’est pas demain la veille. Un tel sérum est encore à inventer.


Dans le cas de nos caniveaux, la suite coule de source : c’est tard, très tard, c’est trop tard. Les eaux de pluies ont eu le temps de transformer la voie en une piscine. Et les riverains, victimes impuissantes, n’on pu s’éviter le désagrément de faire bon ménage avec les batraciens. Cette année, comme toutes les autres années, ils payent leur facture d’eau… de pluie !


Restons toujours à Cotonou. Le marché international de Dantokpa, l’un des plus grands marchés d’Afrique, bat son plein à cette heure-ci de la journée, dans le va et vient des hommes et des femmes, dans le tintamarre des klaxons des deux et quatre roues. L’absence d’une passerelle à la naissance du second pont, le pont Martin Luther King, direction Concorde, nous a fait payer, des années durant, un lourd tribut à la bêtise humaine avec des accidents mortels sans nombre.


Le plan de construction de la voie n’a pas prévu, en effet, la réalisation d’un tel ouvrage dont pourtant l’utilité saute aux yeux. Une âme charitable, admirablement dévouée à la défense des bonnes causes, décida de ne pas s’en tenir à ce simple constat. Elle décida d’oeuvrer pour mettre fin à l’hécatombe. Se substituant à la puissance publique, elle fit construire une passerelle qui depuis enjambe la voie.


Mais l’ouvrage végète tel un monument inutile. Tous les jours que Dieu fait on meurt à ses pieds. Tout se passe comme si ceux qu’il devait sauver s’étaient passés le mot pour l’ignorer, le bouder, après qu’ils eurent jeté aux orties son offre de salut. Plutôt se faire faucher mille fois, semblent-ils ronchonner, que d’emprunter une seule fois cette voie aérienne qui aura mobiliser, pour sa construction, des millions de nos francs.


Ne quittons pas Cotonou. La cité ambitionne d’être la vitrine du Bénin. Quoi de plus légitime ! Elle a d’énormes atouts dans son jeu, mais autant de handicaps. Passons en revue quelques situations qui appellent Cotonou à faire un choix clair et à prendre des décisions hardies, étant entendu qu’on ne gagne qu’avec ses forces, mais jamais avec ses faiblesses.


Les berges de lagunes, ailleurs, valent, pour ainsi dire, de l’or. A Cotonou, les berges de lagunes valent leur pesant « d’or dur », prises d’assaut qu’elles sont par des bidonvilles qui achèvent ainsi d’en faire des zones de rupture, des zones livrées à elles- mêmes, totalement en contrebande des lois de la République.


Les trottoirs, ailleurs, libèrent des espaces à la circulation des piétons ainsi protégés et sécurisés. A Cotonou, les trottoirs sont encombrés de tout et de rien dans l’indifférence de tous : carcasses de voitures, étals de marchands en tous genres, le tout s’étirant en un chapelet sans fin de bazars pour marchands de bric-à-brac.


Sur ces étals de fortune, aviez-vous remarqué ces dames-jeannes au contenu jaune citron ou ambré ? C’est tout ce qu’il y a de plus inflammable, à savoir de l’essence qui se trouve ainsi exposée à ciel ouvert et vendue à tout venant. Et c’est parce que ce sont des tonnes d’essence qui sont ainsi stockées dans les maisons, dans tous les quartiers, que Cotonou est, au vrai, une bombe, une bombe qui peut exploser à tout instant. Le danger n’en est plus à frapper à la porte, il a trouvé à se loger au cœur même de la cité.


Tenir propre la ville est une tâche ardue, à la limite de l’impossible, une tâche qui n’est pas sans faire penser à la punition infligée à Sisyphe, ce personnage de la mythologie grecque condamné à rouler éternellement jusqu’au sommet d’une montagne un rocher qui en retombait aussitôt.


Une armée d’hommes et de femmes s’affaire ainsi à désensabler et à nettoyer des rues et des artères qui s’ensablent et se salissent au fur et à mesure, comme si salisseurs et nettoyeurs étaient engagés, en concurrents résolus, dans une course à mort. Les nettoyeurs marqueraient un point décisif s’ils accédaient à la compréhension toute simple qu’ils ne sont utiles à personne à occuper nos rues et artères aux heures de pointe. Les écriteaux de la Mairie proclament que celle-ci travaille pour nous. Pourquoi alors les nettoyeurs, au service de la Mairie, choisiraient-ils de travailler contre nous ?


Voilà, à la suite d’une courte promenade dans Cotonou, quelques images du sous-développement dans lequel nous nous complaisons et des sous-développés que nous nous obstinons à rester. Point n’est besoin d’un cours magistral pour camper le sombre décor qui barre notre vision et colore l’horizon de nos ambitions. Mais aucune expérience n’est mauvaise en soi. Aussi vrai qu’un homme informé en vaut deux, ce petit tour de Cotonou nous a, sans doute, édifié. Nous connaissons, à présent, le solde de notre compte à la banque du changement sur les chemins d’un Bénin émergent.


Jérôme Carlos
La chronique du jour du 16 juillet 2007

Posté le 16 July 2007 à 02:58:56 par willeandre


Note : Jérôme Carlos
La chronique du jour du 16 juillet 2007

 

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Tag(s) : #COUPS DE COEUR
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