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Célestin Monga: l'Afrique, la France et le regard d'un "bantou"

 

Célestin Monga à Paris, en novembre 2007 (Pierre Haski/Rue89)

 

On avait laissé Célestin Monga intellectuel dissident à Douala. On le retrouve quinze ans plus tard "lead economist" auprès du Vice-Président de la Banque Mondiale à Washington... Et auteur d'un essai passionnant, bilan personnel d'un itinéraire conduisant des geôles camerounaise et de l'idéalisme des années 80 en Afrique au réalisme froid d'aujourd'hui.

Si les apparences et le statut sont ceux de la réussite, le parcours de Célestin Monga aussi l'histoire d'un échec: celui de la deuxième génération post-indépendance qui a cru qu'elle pourrait démocratiser et transformer les Etats néo-coloniaux d'Afrique francophone, et qui s'est, pour beaucoup, fracassée sur le mur de la répression, de la récupération, de la réalité. C'est le cas du Cameroun, le pays natal de Célestin Monga, où Paul Biya va sur ses 25 ans de pouvoir ininterrompu en ayant surmonté toutes les crises. Dont celle, rappelée dans ce livre, "un bantou à Washington", qu'avait déclenchée Célestin Monga en publiant une lettre ouverte à un chef de l'Etat jugé incompétent et médiocre, qui conduisit son auteur en prison...

Retour un peu amer sur une période où, écrit-il, "pris individuellement, chacun de mes compatriotes me semblait capable de créativité, de stoïcisme et de génie. Mais ensemble, nous étions trop souvent piégés par une dose de paranoïa qui stimulait notre besoin d'autodestruction". Avec le recul que lui offre son exil doré à Washington, Célestin Monga médite, en s'aidant de Cioran et de Schopenhauer, sur ce qu'il qualifie "la splendeur de notre défaite".

Pour Rue89, Célestin Monga revient, à l'occasion d'un passage à Paris, sur ces années turbulentes. Pour écouter, cliquez ci-dessous:


Qu'a-t-il manqué, à ces idéalistes des années 80 pour réussir à insuffler démocratisation et dynamisme dans des sociétés infantilisées par les pouvoirs mis en place lors des indépendances ou issus de coups d'Etat à répétition?


Formé en France, Célestin Monga n'a aucune illusion vis-à-vis de la "patrie des droits de l'homme". Elle l'a trop déçue, et lorsqu'il lui a fallu choisir une terre d'exil, les Etats-Unis lui sont apparus plus accueillants. Aujourd'hui, il s'amuse d'entendre Rama Yade, la Secrétaire d'Etat aux droits de l'homme, dire que "l'Afrique de papa c'est fini", ou d'entendre les polémiques autour du discours de Dakar de Nicolas Sarkozy...


Malgré les difficultés, Célestin Monga ne perd pas confiance en l'Afrique. Et pas seulement en raison des taux de croissance qui augmentent... De Washington, il appuie un projet d'université privée au Cameroun (l'université des montagnes), et voit dans l'acharnement des Africains à s'en sortir un motif d'espoir.


Reste une question inévitable, sans doute, vu de Paris: passer de la lutte contre un régime corrompu à un poste de conseiller à la Banque Mondiale, n'est-ce pas, là aussi, une "trahison"?


Dans cet ouvrage, les réflexions de Célestin Monga sont suivies de la réimpression d'un texte antérieur, "un bantou à Djibouti", publié il y a vingt ans, et qui avait fait pas mal de bruit. On lira avec plaisir -ou déplaisir si on est Djiboutien et amoureux de ce que Monga appelle "le vide"...- ces pérégrinatons d'un "bantou" qui, des rives de la mer rouge aux berges du Potomac, porte un regard sans complaisance sur le monde. Et sur lui-même.

► "Célestin Monga, Un bantou à Washington", éditions Puf, 2007, 204 pages, 14 euros.

Tag(s) : #COUPS DE COEUR
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